La presse annonce que la basilique du Sacré-Cœur serait bientôt classée monument historique. Il s’agit d’abord d’un avantage supplémentaire accordé par la République — pourtant laïque — à l’Église catholique, qui n’en cumule déjà que trop ; à commencer par le financement public de ses établissements d’enseignement. Les subventions du ministère de la Culture pourront désormais bénéficier directement à cette pièce montée d’un goût architectural douteux, mais au sens symbolique assurément clivant.
Après le Temps des Cerises, le temps des cilices((Chez les catholiques, vêtement rugueux porté à même la peau par pénitence.)) ?
Car reconnaître le Sacré-Cœur « d’intérêt public » par voie de classement, c’est faire insulte à l’histoire, à la République, et au chapitre des luttes sociales du « roman national ». La basilique fut en effet explicitement érigée « en expiation((C’est écrit en lettres dorées au-dessus du chœur : « Gallia poenitens » (la France repentante).)) » de la Commune de Paris. Cela fut dit lors des débats sur la déclaration « d’utilité publique » de ce bâtiment à l’Assemblée nationale, le 24 juillet 1873 (la laïcité n’existait pas encore). Cela fut répété en 1875, lors de la pose de la première pierre sur la butte Montmartre, car « C’est là où la Commune a commencé ». Depuis 130 ans, l’orgueilleux symbole de la domination sanglante de la bourgeoisie surplombe le Paris qui fut populaire.
Le classer monument historique, c’est considérer que la Commune est « derrière nous » — comme le dit peu élégamment la ministre de la culture. À l’heure où d’aucuns veulent déboulonner les statues de Colbert parce qu’auteur du « Code noir », voilà un paradoxal exemple de « cancel culture » : la mémoire des dominants effaçant l’histoire ! C’est la deuxième mort des révolutionnaires de 1871, massacrés par la soldatesque de Thiers et du général Galliffet((Qui s’illustra aussi dans la répression coloniale en Algérie, et dans l’aventure impérialiste, au Mexique.)) pour avoir osé la première « République sociale ».
Or la France, en 1946, est constitutionnellement devenue une République « sociale » : pour cela, il aura fallu des milliers (voire des dizaines de milliers) de morts en 1871, puis ceux de la Résistance. Le 29 novembre 2016, l’Assemblée nationale a d’ailleurs voté un texte proclamant la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune. Ainsi, la République doit autant aux héritiers des Communards qu’à ceux des républicains fusilleurs, et ceci n’est pas « derrière nous ».
Certes, la maire adjointe de Paris en charge du patrimoine argue que sera également inclus dans le classement le square Louise-Michel attenant à la basilique. Mais quel déséquilibre entre le souvenir de l’héroïne de la Commune, que seuls l’enseignement de l’histoire et les mémoires militantes perpétuent, et la notoriété mondiale du deuxième monument le plus visité de Paris ! Ce n’est pas ce « pâté d’alouette et de cheval » (une alouette communarde, un cheval versaillais) qui « réconcilier[a]ces deux histoires ».
Madame Bachelot, ne commettez pas cette réécriture symbolique de l’histoire. Madame Hidalgo, qui avez poussé le souci de la population de Paris jusqu’à participer à la bénédiction archiépiscopale du 9 avril 2020((« Pour demander à Dieu de protéger la ville et ses habitants en ces temps de crise sanitaire ». (Vatican News))), n’évacuez pas la mémoire populaire.
Mais que devait donc « expier » la France, par l’érection du Sacré-Cœur — si l’on ose dire ?
Le Monde du 14 octobre résume : « Selon le ministère de la Culture, c’est à “une mauvaise lecture de l’histoire” que le Sacré-Cœur doit de ne jamais avoir été classé. Longtemps, la basilique a été associée aux événements de la Commune de Paris, la croyance publique laissant entendre que son édification avait été décidée pour “expier les crimes des communards”.
De fait, c’est au sommet de la butte Montmartre que débuta l’insurrection des Parisiens [emmenés par les Parisiennes !] le 18 mars 1871, lorsque les troupes d’Adolphe Thiers vinrent enlever les canons de la Garde nationale qui y étaient entreposés. Mais la décision d’édifier la basilique a été prise dès 1870, affirment les historiens. “Ces querelles sont derrière nous mais ont retardé le processus de protection”, reconnaît [sic] Roselyne Bachelot. »
Un « symbole de l’ordre moral((Gouvernement à majorité monarchiste. Le rétablissement de la République n’eut lieu qu’en 1875.)) alors triomphant, de la réaction la plus cléricale »
Que disent au juste les historiens, de cette question de date ? Citons cette fois Le Point((Article de François-Guillaume Lorrain : https://www.lepoint.fr/culture/mais-pourquoi-veulent-ils-detruire-le-sacre-coeur-01-03-2017-2108556_3.php)) — que l’on ne suspectera pas d’être la voix des Communards :
« (…) ce fut une initiative privée, qui débuta sans pour autant viser la Commune. (…) Alexandre Legentil, propriétaire de grands magasins de tissus, (…) demanda pardon en raison des “malheurs qui désol(ai)ent le pays et des attentats sacrilèges commis à Rome (envahie par les troupes françaises qui mirent fin au pouvoir temporel du pape)”. (…) l’évêque de Nantes, Mgr Felix Fournier, venait d’attribuer la défaite de la France à une punition divine pour un siècle de déchéance depuis la Révolution (…) argumentaire, qui moins d’un siècle plus tard reviendra avec succès sous Vichy (…).
Il servit à un lobbying clérical efficace “après la chute de la Commune. Après des débats houleux, le vote de l’Assemblée nationale composée en 187[3] à majorité de royalistes cléricaux permet de reconnaître l’église d’utilité publique et autorise l’expropriation. (…) Financée par une souscription publique — près de 10 millions de Français vont verser leur écot pour une pierre —, ce projet, symbole de l’ordre moral alors triomphant, de la réaction la plus cléricale, ne va être achevé, ironie de l’histoire, qu’en 1891, alors que la République a déjà versé dans l’anticléricalisme. Le conseil municipal tentera bien en 1904 d’ériger en face la statue du chevalier de La Barre, symbole de l’intolérance religieuse [elle le fut en 1905], celle-là sera finalement éloignée.((En 1926, dans le minuscule square Nadar ; puis fondue sous Pétain en 1941 pour les canons allemands. Une nouvelle statue fut érigée en 2001, dans le même endroit discret.))”
On a donc le choix dans la date : 1870 pour “le symbole de la réaction la plus cléricale”, ou 1873 pour “l’expiation de la Commune” ? C’est dans les deux cas aussi laid que le monument lui-même (remarquait déjà Zola), qui mérite pour cela d’être laissé en place… avec les explications historiques qui s’imposent !
C. A.
8 commentaires
Excusez moi mais là je ne suis pas d’accord. Le raisonnement suivi est le même que celui des déboulonneurs.
Ce monument fait partie de notre Histoire, on n’y peut rien. Il témoigne de la connivence de l’Église et de la Réaction. Oui, c’est un monument historique. Il faut s’en servir pour faire connaître l’Histoire. Ne soyons pas aussi fermés que les religions et cultivons l’intelligence.
Une solution radicale, inviter quelques islamistes radicaux pour régler le problème de cette tarte à la guimauve…que les religions règlent leurs problèmes entre elles…islamistes contre intégristes de St nicolas du chardonnet, église non fermée depuis plus de 40 ans malgré un arrêté d’interdiction..beau match en perspective…enturbanés contre ensoutanés…que des hommes en robes…j’achète une place … 💣
Schwartz, vous n’avez apparemment pas lu/vu l’encadré au bas de l’article, notamment sa dernière phrase…
Au delà des commentaires épidermiques que cet article et de sujet engendrent, le texte de l’UFAL est décevant et étonnant…
Sans être favorable au classement au titre des monuments historiques de la basilique du Sacré-Coeur à Paris, il est quand même étonnant de voir l’UFAL, association républicaine par excellence, se fourvoyer dans des raisonnements de type « déboulonneurs » indigénistes et autres racialistes qu’elle dénonce à juste titre par ailleurs lorsque, éperdus aux aussi d’une juste émotion, ils réclament n’importe quoi.
En effet, ce n’est pas sur le terrain de la mémoire des communards qu’il faut se situer pour s’opposer à un classement du Sacré-Coeur, car alors il faudrait admettre que d’autres sont fondés, au nom de la mémoire des esclaves, de revisiter notre histoire et ses érections monumentales ou statuaires, ce qui serait pure folie.
En réalité, il faut dans cette affaire revenir au texte de la loi sur la protection de notre patrimoine historique immobilier (l’article L621-1 de notre code du patrimoine) mais qui le fait dans cette polémique ? Pas l’UFAL, ni aucun des commentateurs très catégoriques, c’est bien dommage.
Cet article L621-1, notre loi commune, prévoit : « Les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l’histoire ou de l’art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l’autorité administrative. »
Il faut donc que la conservation de l’immeuble présente du point de vue de l’histoire ou de l’art un intérêt public pour qu’il puisse être classé au titre des monuments historiques. C’est ce qui fut fait et décidé pour un monument similaire au Sacré-Cœur (par son époque notamment et sa ligne architecturale), la basilique Notre-Dame de Fourvière à Lyon en 2014, ce qui a abouti à son classement monument historique.
Il suffit donc de regarder au cas particulier de la Basilique du Sacré-Coeur de Montmartre, comme pour tout autre monument, si, du point de vue de l’histoire ou de l’art, la conservation de la basilique présente un intérêt public.
On peut en premier lieu répondre par la négative à ce questionnement en soutenant d’une part que la conservation du Sacré-Coeur n’est pas, à notre connaissance, menacée au point de devoir être protégée d’un intérêt public permettant de la soutenir et, d’autre part, que cette basilique n’a qu’un intérêt architectural relatif dans l’histoire de l’art ce qui ne saurait constituer l’intérêt public requis par la loi. Sans pour autant la qualifier de guimauve dégoulinante…
Cependant, il faut bien admettre que du point de vue de l’histoire cette basilique marque d’une « pierre blanche » (le travertin) un épisode mouvementé que l’on ne peut, ni ne doit certes réécrire. Mais il n’est pas, ici et aujourd’hui, question de la démolir ou de la laisser s’effondrer, il est question de la parer d’un intérêt public et des avantages sonnants et trébuchants en résultant (financement en partie par l’Etat des travaux de restauration, avantages fiscaux).
A cet égard, une République laïque et sociale peut certes être fondée à ne pas vouloir promouvoir par de nouveaux avantages un tel édifice confessionnel et, en outre, du fait du parti pris idéologique dont il témoigne dans les luttes de l’époque et leurs prolongements actuels tel le combat pour la laïcité. Que dirait-on du classement MH d’une mosquée qui se serait distinguée, ou se distinguerait, dans le combat anti-républicain ?
Cependant, une République laïque et sociale serait bien mieux inspirée de refuser un classement en se fondant, non pas sur la mémoire des communards, mais sur l’absence de menaces pour la conservation de l’édifice justifiant que l’intérêt public intervienne en soutien (car c’est cela le sens de l’article L621-1 du code du patrimoine), ainsi que sur le faible intérêt architectural de l’édifice.
Se fonder directement (et sans subtilité) sur la mémoire des communards pour refuser un classement serait même contreproductif car cela accrédite l’idée que le second critère à considérer pour justifier un classement au regard de la loi est en l’espèce réuni : la force de l’intérêt historique du monument dans un épisode clivant et sanglant de notre histoire.
A vouloir trop en faire idéologiquement on risque ainsi de se tirer une balle dans le pied.
Un peu d’habilité ne peut pas nuire surtout dans le commerce avec nos adversaires…
Pingback: Quand le ministère de la Culture réécrit l'histoire | UFAL
Bonjour, attention nous n’en demandons pas la destruction, on ne déboulonne pas,, juste l’absence de classement comme monument historique (la veille des 150 ans de la Commune qui plus est).
Enturbanés et ensoutanés ont déjà été côte à côte dans la « Manif Pour Tous ». Entre fanatiques, on se comprend (on s’admire ?)
Pingback: Pourquoi classer le Sacré-Cœur monument historique ? - Hiram.be