Suite de l’article « Baby-Loup, le retour ? Non, le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU ne peut pas « condamner la France » ! »
S’il n’existe pas de sanctions à disposition du Comité, il reste que les Etats signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ont contracté des obligations auxquelles ils ne peuvent se dérober, sauf à dénoncer le traité –ce qui serait politiquement insoutenable. Les seules réserves qu’a émises la France lors de sa signature concernent l’art. 27 (droits des « minorités », contraire à l’universalisme républicain) : elle n’a pas vu que l’art 26 (interdiction des discriminations) relevait de la même approche différentialiste.
L’art. 2.3 du Pacte engage les Etats signataires aux trois garanties a, b, et c ci-dessous :
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;
– Que faut-il entendre par « recours utile », puisque les « auteurs » 1 des communications au Comité doivent avoir préalablement épuisé les voies de recours interne, et qu’il n’en reste donc plus ? Les « constatations » du Comité du 10 août 2018 nous éclairent –et l’on voit qu’il ne s’agit plus de constatations, mais de véritables injonctions :
« l’Etat partie est tenu, entre autres : d’indemniser l’auteure de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées, incluant une compensation pour la perte d’emploi sans indemnités et le remboursement de tout coût légal, ainsi que de toute perte non pécuniaire encourue par l’auteure en raison des faits de l’espèce. »
Il ne s’agit donc plus de garantir un « recours », mais d’offrir une « compensation », ce qui est très différent –et étranger au texte du Pacte. Champagne pour « l’auteure », et aux frais du contribuable ! On rappellera simplement que l’Etat ne peut décaisser un seul Euro, sous peine d’illégalité, pour contrevenir à une décision de justice passée en force de « chose jugée »…
– Mais le Comité (pourquoi se priver ?) n’hésite pas à formuler une seconde injonction à la France :
« L’Etat partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir des violations similaires à l’avenir ».
Faudra-t-il donc décider que le règlement intérieur d’une association laïque ne s’applique pas aux « femmes musulmanes », qui auraient aussi le droit de ne pas obéir à leur responsable hiérarchique et de provoquer une altercation sur le lieu de travail (car tel sont les motifs du licenciement de Mme Afif) ? Idée difficilement applicable sans violer le principe d’égalité, mais démonstration par l’absurde de la dangerosité du concept de « discrimination », qui sert de cheval de Troie à la lutte contre l’égalité.
Plus sérieusement, la France, partie à l’Union Européenne et à la Convention européenne des droits de l’Homme, reconnaît l’autorité des juridictions correspondantes (CJUE et CEDH), aux décisions desquelles elle se soumet. La constatation éventuelle par ces juges de violations des droits ne manque jamais d’être suivie de mesures nécessaires pour éviter leur reproduction.
b) Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et développer les possibilités de recours juridictionnel ;
En l’espèce, il n’existe pas d’autre « autorité compétente selon la législation de l’Etat » que la Cour de cassation 2 ! Les signataires de ce Pacte étaient-ils bien conscients que la disposition ci-dessus pouvait les engager à instaurer une forme de « sur-cassation » 3, après décision définitive d’une juridiction suprême ? Cela paraît douteux. Toujours est-il que la France, pour sa part, n’en a rien fait.
Néanmoins, comme rappelé ci-dessus, la France a agi pour « développer les possibilités de recours juridictionnel » en adhérant en 1952 à la Cour de Justice (aujourd’hui : de l’Union Européenne), en 1974 à la Convention européenne des droits de l’Homme : désormais, la CJUE et la CEDH peuvent être saisies (et l’ont été à maintes reprises) par des citoyens qui recourent contre des décisions de la justice française. Ce point mériterait d’autant plus d’être souligné en réponse au Comité que les décisions de ces deux juridictions 4 vont plutôt dans le sens de la jurisprudence Baby-Loup !
c) Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout recours qui aura été reconnu justifié.
La notion de « bonne suite » est suffisamment vague pour que tout soit permis : ainsi le Comité exige que la France rende publique ses « constatations », et lui communique « dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour [leur] donner effet ».
Encore une fois, rien n’oblige la France à déférer aux injonctions du Comité : si elle devait néanmoins rendre publiques les « constatations » du Comité, elle devrait les assortir du rappel de la décision de la Cour de cassation et de ses motivations.
Quant aux « mesures », elles sont déjà prises, on l’a vu, du fait de l’insertion de la France dans les cadres juridiques de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe. Ces traités internationaux, qui ont force juridique supérieure à nos lois nationales, instaurent des mécanismes de protection des droits reposant sur l’intervention de véritables juridictions internationales, dont les décisions s’imposent à la France. Ces juges veillent particulièrement au respect des droits fondamentaux, parmi lesquels la liberté de religion et le principe de non-discrimination, en cause en l’espèce selon le Comité.
On peut d’ailleurs considérer qu’en renonçant à recourir devant la CEDH, Mme Afif n’a pas véritablement « épuisé les voies de recours », sinon internes, du moins juridictionnelles, à sa disposition : la recevabilité de sa « communication » paraît donc douteuse au regard de l’art. 2 du Protocole facultatif.
- Puisque le Comité n’est pas une juridiction, il ne peut reconnaître des « plaignants », mais seulement des « auteurs » des « communications » alléguant de violations du Pacte à leur encontre (Protocole facultatif, art. 2).[↩]
- L’existence de questions préjudicielles à la CJUE, ou de questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ne doit pas faire illusion : après la réponse de l’organe consulté, la Haute Juridiction qui l’a interrogée se prononce bien elle-même en dernier ressort.[↩]
- On rappellera que c’est le juge d’appel qui est saisi en dernier de l’affaire au fond. La cassation ne peut porter que sur les éléments de forme (le juge d’appel a-t-il correctement qualifié les faits, appliqué la loi, etc.) [↩]
- La CJUE a admis la discrimination indirectes du fait de l’interdiction du port de signes religieux par un règlement intérieur d’entreprise, à condition qu’elle soit « objectivement » justifiée par « la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires. » (14 mars 2017, G4S Secure Solutions) [↩]
9 commentaires
Nous serions bien inspirés de réfléchir avant de donner une quelconque suite à l’avis de ce Comité, ce que semble appeler de ses voeux le titre de cet article…En effet, je rappelle que la protection de la petite enfance fait aussi partie de nos engagements internationaux et que l’OMS, non inféodée elle aux islamistes et à leurs alliés libéraux anglo-saxons, est sans pitié pour le voilement des fillettes.Voir notamment la pétition à ce sujet de Mme Vianès :https://www.change.org/p/10345766/u/23123717?utm_medium=email&utm_source=petition_update&utm_campaign=398304&sfmc_tk=jf5kPwRcYjTAZgCzlMJ%2bTsbk9fOE3ORD7l3xLD2KKrpHrJqZzXlAsFCXoaNDbIWL&j=398304&sfmc_sub=145390987&l=32_HTML&u=64950278&mid=7259882&jb=3Alors, pour nous, l’exemple des personnes qui les encadrent ou les accompagnent en crèche doit être exemplaire.D’ailleurs nous n’avons qu’une loi c’est celle de la CEDH et de la jurisprudence de sa Cour qui refuse à l’islam radical et à la charia la protection de nos valeurs et principes fondamentaux qu’ils récusent !Bref que le Comité théodule et Mme Afif aillent donc…. se rhabiller !
J’aime bien quand on enfonce le clou comme ça et venant d’une association comme l’UFAL, c’est une garantie de "bonne tenue de route" ! Ces arguments nous seront précieux sur le terrain pour contrer toute fausses vérités que d’aucun-e-s sauront avides de diffuser, ce qui est déjà le cas. Suivez mon regard😎
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Pacta sunt servanda, cher ami ! Les traités doivent être respectés : voilà ce qu’entend simplement rappeler cet article, qui montre que la France : 1) n’a pas à payer ("recours utile" ne signifie pas "satisfaction raisonnable") ; 2) que des recours juridictionnels existent : la CJUE et la CEDH, et qu’en ne les utilisant pas, Mme Afif ne peut être estimée avoir "épuisé toutes les voies de recours".
Dans tout cela, que devient l’égalité en droits des hommes et des femmes ? C’est dans la Constitution, dans la D.U.D.H., mais cela ne compte pas. Le sens donné au voile islamique est la soumission à Dieu et aux hommes, des femmes uniquement bien sûr. Cette discrimination sexiste s’adresse à toutes les femmes, la moitié de la population mondiale. Où est la loi qui interdit cette discrimination sur un plan général et où sont les sanctions prévues ? Une religion doit-elle primer sur le Droit national et les traités internationaux (CUDH) et imposer une discrimination illégale ?
oui oui on est bien d’accord sur le fond de ce que vous dites dans cette réponse qui dit clairement que la France n’a pas grand chose à faire ; et je ne faisais que mentionner que le titre de votre article pouvait laisser penser le contraire…
Je précise car je ne l’ai pas été assez : je voulais dire pas grand chose à faire concernant le cas de Mme Afif.S’agissant de la portée du Pacte s’il advenait qu’elle devienne plus sévère pour notre conception de la Laïcité que celle qui résulte de nos engagements internationaux CEDH, alors il conviendrait d’envisager de préciser notre engagement sur ce point par l’introduction d’une nouvelle réserve portant sur l’article 27 compte tenu de la portée qu’il semble prendre.Notre régime laïque passe avant nos engagements internationaux qui deviennent circonstanciels dès lors qu’ils lui deviendraient contraire. En tous cas pour ce qui me concerne.
En effet, vous avez raison, le comité ONU défend au fond une discrimination homme femme lamentable et il le fait au nom du principe de non discrimination vis-à-vis d’une religion… cela deviendrait risible si cela n’était pas dramatique !
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