L’art 38 de la loi « société de confiance » aggravé par la droite sénatoriale !
Débat de tous les dangers au Sénat les 13, 14, 15 et 20 mars sur le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance ». Son article 38 s’attaque au principe de laïcité comme nous l’avons déjà exposé. Alors que l’Assemblée, en première lecture, avait renoncé à modifier l’art. 19 de la loi de 1905, voilà que la commission des lois du Sénat y revient, et en rajoute !
Tout pour « renforcer les ressources » des Églises…
Le 30 janvier, en première lecture, l’Assemblée avait abandonné la disposition de l’art. 38-I visant à modifier l’art. 19 de la loi de 1905. Il s’agissait de permettre aux « associations cultuelles »1 de détenir et gérer des immeubles à objet lucratif (et non plus exclusivement cultuel), pour « renforcer leurs ressources ». Toutefois, elle avait voté le scandaleux 38-II, exemptant les seules associations cultuelles de l’obligation de déclarer leurs actions de lobbying auprès des décideurs publics !
Eh bien, la droite, majoritaire au Sénat, a fait pire en commission spéciale. Elle a :
- rétabli la disposition l’art. 38-I modifiant l’art. 19 de la loi de 1905 : cadeau aux cultes ;
- inséré un nouvel art. 38-III protégeant contre toute préemption par une collectivité publique les immeubles acquis par donation entre vifs aux « fondations, congrégations, associations ayant la capacité à recevoir des dons » (dont les associations cultuelles). Ainsi, le patrimoine non cultuel désormais autorisé aux Eglises par le 38-I sera mis à l’abri de l’intérêt public !
Notons que les sénateurs des groupes Socialistes et républicains, et RDSE (ex-PRG) ont déposé, évidemment sans succès, des amendements de suppression, de modification ou de rejet partiel.
Mais il y a encore mieux !
Les élus locaux contre la loi sur la transparence et la lutte contre la corruption
Elargissant le 38-II maintenu, la majorité de la commission spéciale du Sénat a adopté une disposition nouvelle, qui « détricote » la loi sur la transparence et la lutte contre la corruption elle-même. Ainsi, les art. 38-IV et 38-V nouveaux rétrécissent la liste des décideurs publics, auprès desquels les démarches des « représentants d’intérêts » doivent être déclarées2. Ils en suppriment :
- du côté des fonctionnaires (manifestement pour afficher une fausse symétrie Etat/collectivités) : les membres de cabinets des autorités territoriales et la quasi-totalité des hauts-fonctionnaires ou décideurs précédemment visés par les obligations de la loi ;
- du côté des collectivités (le véritable objet poursuivi) : les présidents des grandes collectivités déconcentrées (conseils régionaux, départementaux, assemblées et exécutifs de Corse et d’outre-mer…), les maires de communes de plus de 20 000 habitants ; les adjoints au maire de celles de plus de 100 000 habitants ; les conseillers régionaux, départementaux, exécutifs, etc.
La liste des exemptés est impressionnante, et contient l’essentiel des décideurs publics en matière d’investissements – puisque l’Etat n’est plus qu’un investisseur marginal ! Le lobby des élus locaux n’aime pas la transparence sur les lobbies (principalement économiques) auxquels il ouvre ses portes (avec quelques pots de vins au passage ?). Les « représentants d’intérêt » ont de nouveau de beaux jours devant eux : la corruption pourra rester plus facilement ignorée du public.
Oui, le combat laïque et le combat social ont vraiment partie liée !
Charles ARAMBOUROU
Article 38 adopté par la commission spéciale du Sénat
I. – Après le huitième alinéa de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « Elles pourront posséder et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit. »
II. – (Non modifié) À la fin du d de l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les mots : « , dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes » sont supprimés.
III (nouveau). – Après le 4° de l’article L. 213-1-1 du code de l’urbanisme, il est inséré un 5° ainsi rédigé : « 5° Au profit des fondations, des congrégations, des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités et, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, des établissements publics du culte et des associations inscrites de droit local. »
IV (nouveau). – Les 6° et 7° de l’article 18-2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique sont abrogés.
V (nouveau). – Le b du 2° du IV de l’article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique est abrogé.
11 commentaires
A propos de braderie…L’animatrice de "C dans l’air", Caroline Roux, sur la 5, chaine du groupe audiovisuel de service public, porte chaque jour des boucles d’oreilles en forme de croix qu’elle que soit sa toilette ou sa coiffure qui change chaque jour d’ailleurs. Cette double atteinte (une par oreille) au principe de neutralité auquel est astreint le service public a été signalée à l’intéressée et à sa chaine par un tweet en direct pendant l’émission il y a huit jours. Il n’en a été tenu aucun compte. La provocation est donc délibérée et constante.Si le Christ était mort noyé arborerait-elle des aquariums aux oreilles ?L’Ufal peut-elle faire une action pour faire cesser cette entorse quotidienne au principe de laïcité du service public ?
A propos de braderie …
Caroline Roux, l’animatrice de « C dans l’air » sur la 5, chaine du groupe se service public astreint au principe de neutralité dans l’expression des convictions religieuses, porte tous les jours des boucles d’oreilles en forme de croix quelle que soit sa coiffure et sa toilette vestimentaire qui change chaque jour d’ailleurs. Si le christ était mort noyé porterait-elle des aquariums aux oreilles ?
Elle a été alertée ainsi que sa chaine par un tweet mais n’en a tenu aucun compte.
Peut être que L’UFAL pourrait envisager une intervention pour un comportement de provocation constante et évidente dès lors qu’elle a été alertée sur le caractère inacceptable sur le service public d’une telle expression de ses convictions religieuses.
A moins qu’il ne s’agisse que d’une bêtise crasse… cela resterait tout autant inacceptable.
Après examen plus approfondi et en remerciantC. Arambourou de sa vigilance, letexte modifié par le Sénat est un véritable scandale sur le terrain de la laïcité car : 1° si l’ajout à l’article 19 de la loi de 1905 estrelativement neutre puisque les associations cultuelles ont depuis bellelurette un patrimoine propre et que donc elles "puissent posséder etadministrer tout immeuble acquis à titre gratuit" est une vraieinsignifiance; (il faudrait plutôt nous expliquer pourquoi elles ne devraientpas pouvoir bénéficier de cette faculté…);2° en revanche, la modification de l’article L 213-1-1du code de l’urbanisme qui fait échapper au droit de préemption descollectivités publiques certains types d’opérations de donation entre vifs lorsqu’il s’agit de personnes physiquesen lien familial donne le même avantageexorbitant aux associations et fondations, notamment cultuelles;conception large de la famille qui désormais, pour nos vieux grigous du Sénat, englobe maintenant le divin et ses avantages matériels sur terre ! 3°enfin, le sénatrétablit la sortie générale des associations cultuelles de la loi sur latransparence en prévoyant que les associations à objet cultuel ne sont jamaisdes représentants d’intérêt ! On a envie de crier « ViveDe Gaulle ! » qui voulait supprimer cette lamentable assemblée devieux droitiers !
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Rétablissons les faits1° les associations cultuelles sont strictement limitées, pour leur objet et pour leurs biens, à l’exercice du culte par l’art. 19 de la loi de 1905. En contrepartie, elles disposent d’avantages fiscaux considérables (gratuité des dons et legs, exemption des impôts commerciaux, des taxes foncières et de la taxe d’habitation) -avantages dont la plupart seront étendus au patrimoine immobilier lucratif qui leur serait désormais autorisé !pour le coup, elles gagneront à la fois le beurre des associations culturelles loi de 1901 (posséder des immeubles de rapport) et l’argent du beurre des cultuelles (avantages fiscaux). C’est tout sauf "neutre" ou "insignifiant", ou alors je ne sais plus ce qu’est la loi de 1905 !3° c’est en réalité le gouvernement qui a entendu par l’art. 38-2 exempter les associations cultuelles (donc seules les Eglises chrétiennes et le Judaïsme) de l’obligation de déclaration de leurs actions de lobbying.
Discussion intéressante mais je ne partage pas votre analyse et il faut rétablir le droit : – je ne vois nulle part dans l’article 19 de la loi de 1905 une limitation de la capacité des associations cultuelles à n’administrer et ne gérer que des biens qui seraient affectés à l’exercice du culte; d’autant que l’article 4 de la loi de 1905 a prévu qu’elles allaient pouvoir être attributaires des biens des anciens établissements ecclésiastiques lesquels n’étaient pas tous affectés à l’exercice du culte; elles les auraient ainsi reçus en attribution sans être habilitées à les administrer et les gérer ?en outre, l’article 19 prévoit qu’elles peuvent recevoir des biens immobiliers à titre de libéralité testamentaire ou entre vifs alors qu’il peut s’agir selon cet article de biens simplement grevés de charges pieuses ou cultuelles sans être nécessairement affectés à l’exercice du culte… elles ne pourraient ni les administrer ni les gérer non plus ?Il me semble que vous confondez la limitation de l’objet de ces associations à l’exercice du culte, limitation qui est en effet réelle dans la loi, et le régime de leurs biens qui lui ne comporte pas la limitation que vous croyez voir et, ce, bien au contraire dès l’article 4 de la loi de 1905. Si, donc, votre lecture de la loi est répandue, alors en effet elle justifie la précision de clarification apportée par l’article 38-I de la loi en cours d’examen.- sur le 3° (l’exemption au regard de la loi sur la transparence) c’est bien le Sénat droitier qui a rétabli ce que l’Assemblée n’avait pas voté. Le scandale dépasse de loin les associations cultuelles puisque partis politiques et syndicats (lobbyistes par définition) sont également exonérés des obligations de cette loi et, ce, depuis son adoption dès l’origine et pas depuis Macron.Donc rendons à César…
M. Arambourou,Votre lecture de l’article 19 de la loi de 1905 m’apparaît erronée.Les dispositions de cet article i concernaient la dévolution des biens antérieurs à cette loi qui appartenaient aux différentes églises et prohibent les subventions par les personnes publiques aux associations cultuelles, leur interdisant aussi d’employer leurs ressources à des tâches autres que l’exercice de leur culte et l’entretient de leurs bâtiments.Mais les associations cultuelles étaient et sont toujours libres de recevoir des dons et legs de biens mobiliers ou immobiliers et donc d’en recueillir les fruits, par exemple en les donnant à bail. (article 19 et 22) Même si ce dernier point ne figure pas dans la loi, rien ne l’interdit et donc le droit civil commun s’applique. C’est d’ailleurs le sens du commentaire figurant dans le code Dalloz des associations et fondations, rappelant que les associations cultuelles peuvent administrer leurs biens et en gérer les revenus.Depuis une ordonnance de juillet 2005, la perception d’un legs par une association cultuelle n’est même plus soumise à autorisation administrative préalable.Rappelons aussi que la loi du 1er juillet 1901, en ce qui concerne les congrégations religieuses reconnues légalement, leur reconnaît (article 15) la capacité juridique de détenir un patrimoine mobilier et immobilier, pourvu qu’ils soient nécessaires à l’accomplissement du but de la congrégation.Une loi du 30 mai 1941, curieusement toujours en vigueur, sur les congrégations de femmes, prévoit expressément que celles-ci peuvent aliéner leurs biens immeubles, leurs rentes ou valeurs garanties par l’Etat (donc des placements financiers rémunérés, sous la seule réserve qu’ils soient émis ou garantis par l’Etat).A ma connaissance, rien n’interdit donc à une association cultuelle ou une congrégation déclarée de mettre en location un immeuble et d’en percevoir les fruits, sauf à justifier ensuite de l’emploi conforme à ses statuts de cette ressource, bien entendu.Ainsi la modification législative proposée ne vise, sur ce point, qu’à rendre plus clair la législation déjà en vigueur. Votre interprétation démontre bien la nécessité de cet éclaircissement, me semble-t-il.Inutile donc de "diaboliser" Emmanuel Macron sur ce sujet..Bruno BERTRANDmagistrat
Précision : depuis deux jours Caroline Roux n’arbore plus ses croix aux oreilles; on surveillera évidemment leur éventuel retour !
1) Il convient de diaboliser et Macron, et Hollande,puisque, comme le dit le rapporteur de la commission spéciale à l’AssembléeNationale (http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-csconf/17-18/c1718016.asp) : "les intentions du Gouvernement en cette matière étaient de répondre àdes engagements pris auprès des associations cultuelles par la majoritéprécédente, et renouvelés sous cette législature." 2) Je maintiens d’autant plus ma lecture de l’art. 19 que c’est le législateur lui-même qui la confirme, pour justifier la modification introduite par l’art. 38 de la loi société de confiance ! Je vous renvoie aux débats de la commission spéciale du Sénat (http://www.senat.fr/rap/l17-329/l17-32911.html#toc125)"Lesassociations cultuelles de la loi de 1905 sont régies par le principe despécialité, conformément à l’article 6 de la loi du 1er juillet1901 relatif au contrat d’association, en vertu duquelelles ne peuvent acquérir, posséder et administrer des immeubles, à l’exception de ceux strictement nécessaires à leurobjet. Elles peuvent toutefois recevoir, dans les conditions prévues par lecode civil, des dons et legs, dans la mesure où ilssont destinés à l’accomplissement de leur objet ou grevés de charges pieuses oucultuelles."L’objet de la disposition nouvelle est donc de faire sauter ce verrou en alignant les cultuelles sur les culturelles "d’intérêt général" (depuis 2014) pour les autoriser à "conserver la pleinepropriété d’immeubles de rapport acquis à titregratuit et en tirer des revenus de location alors même que ces immeubles neservent pas à la réalisation de leur objet statutaire."PS On ne voit vraiment pas pourquoi modifier l’art. 19 de la loi de 1905 justifierait de tels débats (et le renoncement de l’AN) s’il ne s’agissait pas d’une réelle entorse à la loi de séparation !
À propos de la note 2. Le groupe CRCE a défendu et voté les amendements du groupe RDSE dont il a partagé totalement la volonté de ne pas toucher à la loi de 1905. Il est le seul groupe du Sénat à avoir voté contre la loi.P. Ouzoulias, Sénateur des Hauts-de-Seine (CRCE)
Merci Sénateur ! On espère qu’il en sera de même à l’Assemblée nationale.