I trĂ©ma est une Ă©mission littĂ©raire de LaĂŻcidade , la chaine de baladodiffusion (podcast) de lâUFAL, prĂ©sentĂ©e par Emmanuelle Billier-Gauthier et animĂ©e par Philippe Foussier de lâUFAL Paris qui prĂ©sente des livres pour faire la RĂ©publique laĂŻque et sociale.
Dans I trĂ©ma #15 câest le livre de FrĂ©dĂ©ric Potier « La matrice de la haine » qui fait lâobjet de la recension Ă Ă©couter sur toutes les plateformes.
FrĂ©dĂ©ric Potier est dĂ©lĂ©guĂ© interministĂ©riel Ă la lutte contre le racisme, lâantisĂ©mitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). Il plaide, dans La matrice de la haine, en faveur dâune RĂ©publique « forte et gĂ©nĂ©reuse » pour endiguer cette intolĂ©rance. Praticien de lâaction publique, lâauteur ne nĂ©glige pas pour autant la rĂ©flexion, qui elle-mĂȘme dĂ©coule de convictions solides. Sa boussole, ce sont les idĂ©aux des LumiĂšres, au centre desquels il place lâuniversalisme. Il le dĂ©finit dâabord comme renvoyant « Ă lâidĂ©e dâune unitĂ© du genre humain dĂ©passant les spĂ©cificitĂ©s culturelles ou catĂ©gorielles » tout comme une philosophie « ayant pour finalitĂ© dâaccorder Ă tous les citoyens des droits reposant sur des principes communs ». Câest dans la contestation de ces idĂ©aux que naissent et prospĂšrent le racisme et les prĂ©jugĂ©s : « A lâopposĂ© des principes dâuniversalisme rĂ©publicain et de citoyennetĂ© se dĂ©veloppent les visions communautaristes de la sociĂ©tĂ© qui portent en elles le danger dâune fragmentation Ă lâinfini de la sociĂ©tĂ© tout en enfermant les individus dans une identitĂ© essentialisĂ©e ». Concernant le terme « islamophobie » vĂ©hiculĂ© par les courants intĂ©gristes ou parfois des naĂŻfs, il rĂ©plique : « Il ne faut pas ĂȘtre dupe de la volontĂ© de certaines associations communautaristes de profiter de moments de tension pour affaiblir la laĂŻcitĂ© ou contester le droit au blasphĂšme. Je prĂ©fĂšre ainsi utiliser la notion de haine Ă lâĂ©gard des musulmans (âŠ) comme le fait dâailleurs Ă©galement la Commission europĂ©enne ».
En Ă©voquant la « cyberhaine », FrĂ©dĂ©ric Potier observe que « le numĂ©rique a donnĂ© un second souffle Ă des mouvements, plus ou moins structurĂ©s, chassĂ©s des espaces mĂ©diatiques traditionnels en raison de leurs discours extrĂ©mistes ». En effet, des courants qui autrefois sâadressaient Ă quelques milliers dâindividus fanatisĂ©s peuvent dĂ©sormais disposer dâun impact potentiel sur des millions de personnes. « Les dĂ©fenseurs dâune conception universaliste de la sociĂ©tĂ©, attachĂ©s au dĂ©bat dâidĂ©es et au partage de la connaissance et de lâinformation, ont sans doute tardĂ© Ă prendre conscience que lâopinion se faisait dĂ©sormais aussi ailleurs et quâun contre-systĂšme de valeurs sâĂ©tait structurĂ© et avait prospĂ©rĂ© sur internet ». Pour rĂ©pondre Ă cette rĂ©alitĂ©, lâauteur estime que nos moyens sont actuellement inadaptĂ©s et câest la raison pour laquelle il plaide pour une Ă©volution lĂ©gislative en la matiĂšre.
Le vieil antisémitisme alimente le nouveau
FrĂ©dĂ©ric Potier consacre aussi un dĂ©veloppement spĂ©cifique Ă la haine anti LGBT et dresse un panorama historique qui permet dâapprĂ©cier le caractĂšre somme toute rĂ©cent de la lutte contre les prĂ©jugĂ©s visant lâhomosexualitĂ©. LâarrĂȘt du fichage des homosexuels, le retrait de lâhomosexualitĂ© des maladies mentales, lâabrogation de lâarticle du Code pĂ©nal sur la diffĂ©rence de majoritĂ© sexuelle pour les homosexuels ou encore lâabrogation du dĂ©lit dâhomosexualitĂ©, par exemple, nâont Ă©tĂ© actĂ©s quâen 1981-82. Et dâailleurs, si on a pu croire un moment en France que la haine contre les personnes LGBT reculait, dĂ©monstration est hĂ©las faite quâelle semble dorĂ©navant en hausse, probablement partiellement corrĂ©lĂ©e Ă la montĂ©e de lâintĂ©grisme religieux.
On lira aussi avec intĂ©rĂȘt la maniĂšre dont le prĂ©fet Potier sâest insurgĂ© contre la commĂ©moration de Charles Maurras envisagĂ©e en 2018, soulignant comment « le vieil antisĂ©mitisme alimente le nouveau » et comment « les haines dâaujourdâhui vont puiser dans des croyances anciennes ». Convaincantes aussi, ses rĂ©flexions sur « lâOrbanisation » du monde, en rĂ©fĂ©rence au dirigeant hongrois. Il suggĂšre de prendre les discours de ce dernier au pied de la lettre, notamment quand il prĂŽne « un nouvel ordre constitutionnel sur la base de fondements nationaux et chrĂ©tiens ». En conclusion, lâauteur met en garde contre les « entrepreneurs identitaires » qui prospĂšrent sur la fragmentation de nos sociĂ©tĂ©s : « Il ne faut jamais dĂ©fendre des combats de prĂ©tendus minoritĂ©s pour elles-mĂȘmes, mais toujours au nom de lâaccĂšs Ă lâĂ©galitĂ© des droits ». Une mise en garde qui prend tout son sens au regard du dĂ©voiement actuel des combats antiracistes.
Philippe Foussier
FrĂ©dĂ©ric Potier, La matrice de la haine – LâObservatoire-Fondation Jean JaurĂšs, 2020, 144 p., 16 âŹ