L’Observatoire (gouvernemental) de la laïcité vient de se fendre le 14 janvier d’un de ses « avis », qui ont généralement pour but d’éviter toute vague sur la laïcité et d’épargner au gouvernement la moindre initiative en la matière. Comme cette orientation est devenue intenable face à la gravité de la situation, le président et le rapporteur général de l’OL ont apparemment évité de réunir la collégialité, et fixé eux-mêmes, hâtivement, la ligne.
Ce fonctionnement autoritaire a cette fois provoqué un « coup de gueule » de trois membres de l’Observatoire : nos amis Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République et Françoise Laborde, de l’association Egale (sénatrice PRG), ainsi que Jean Glavany (député PS des Hautes-Pyrénées.
Mais leurs critiques portent aussi sur le fond. L’UFAL, après examen de l’avis, confirme que les qualificatifs sévères qu’ils lui décernent sont mérités.
Des propositions insignifiantes
Ces propositions seraient d’abord « pour l’essentiel angéliques et pusillanimes. Cosmétiques dans le meilleur des cas ». De fait, elles font largement recours au recyclage, soit des publications précédentes de l’Observatoire (propositions n°s 1, 10), soit des annonces déjà faites dans l’Education nationale (n°s 4, 5, 6). En témoignent les termes « augmentation de leurs moyens », « [très large] développement », « réaffirmation », « multiplication » : dans la langue de bois administrative, c’est ainsi qu’on fait du neuf avec du vieux.
L’innovation des « semaines de la fraternité » (n° 7) est purement symbolique. Elles seraient organisées par chaque préfecture, avec notamment les « bénévoles et militants qui luttent contre (…) les discriminations » -mais aucunement ceux qui agissent pour la défense et la promotion de la laïcité ! A la fois « cosmétique » et discriminatoire.
Ces « mesurettes » administratives (pour éviter tout recours à la loi !), et en général de pur affichage, sont en décalage total avec les défis adressés à la laïcité et à la République. Elles justifient le terme « pusillanimité ».
Quelques innovations inquiétantes
Les vraies propositions nouvelles relèvent de l’inconséquence. Ainsi du recrutement, auprès des aumôniers des prisons, de « conseillers humanistes » (n° 2), ou (n° 6) la prise en compte à l’école de « toutes les cultures convictionnelles et confessionnelles ». L’Observatoire, qui nous assénait il y a un an (à propos de Baby-Loup) que « la laïcité n’est pas une conviction » aurait-il mangé son chapeau ? Hélas pour lui, ni la loi de 1905 (art. 2) ni aucun texte ne donnent en France le moindre fondement à de tels « conseillers humanistes » : vouloir imiter la Belgique, pays qui organise et finance des communautés, est aussi naïf que dangereux.
Quant à la proposition 6 pour l’école, c’est un écho atténué du rapport Thuot sur l’intégration et de ses suites : « prendre en compte toutes les cultures » sent fort son multiculturalisme.
Significatif enfin est le langage utilisé. Le terme « fait religieux », à l’origine purement objectif et descriptif, est systématiquement substitué à « religions », sans doute pour atténuer les abandons progressifs de la laïcité. Comme si traiter avec les religions (et non des religions) devenait une obligation intellectuelle. Et puisque l’avis ne parle nulle part de « liberté de conscience », les religions bouchent à elles-seules tout l’horizon.
Ainsi, « l’enseignement laïque du fait religieux » à l’école (inscrit dans les programmes depuis plus de 10 ans, rappelons-le à l’Observatoire !) aurait pour but d’introduire « une distance critique dans la réflexion [des]élèves » : or c’est l’ensemble des autres disciplines scolaires qui a pour objet d’y concourir ! Oubli, ou aveu d’échec de l’école « rénovée » ?
Des abandons caractérisés de la laïcité
Les trois critiques de l’Observatoire sont en outre fondés à déclarer certaines de ces propositions « anti-laïques ». C’est flagrant pour celle qui prévoit (n° 7) « le soutien à la création d’établissements privés de théologie musulmane et de formation à l’islamologie » -soit la violation de l’art. 2 de la loi de 1905 : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Le rapporteur général de l’OL s’en défend maladroitement disant qu’il ne s’agit pas de « financer», mais « d’accompagner l’organisation » ( ?) de ces établissements –mais avoue : « pour élaborer des diplômes qui soient reconnus par l’État afin d’assurer des formations sérieuses pour les ministres du culte musulman ». En quoi l’Etat devrait-il « reconnaître » des diplômes d’intérêt purement cultuel ? Il est vrai que la France reconnaît les diplômes canoniques de l’église catholique depuis 2009 ((Accords dits « Vatican-Kouchner »)) : égalité dans la violation de la loi de séparation ?
Cette proposition révèle de surcroît l’énorme naïveté qui préside à l’ensemble de l’avis : elle consiste à croire que le problème est essentiellement religieux, et que l’approche par la religion permet de le régler. Or il n’en est rien : que certains des habitants de France et de leurs enfants scolarisés refusent de condamner les assassins, voire approuvent le choix des « cibles », ou penchent pour Al Qaida et Daesh, c’est un problème politique (et même géopolitique), culturel, social. 30 ans de ghettoïsation et de désertion des services publics ont fait le mal. Il existe des territoires de la République qui lui sont hostiles. Le rejet de la démocratie dite « occidentale », de la sécularisation, de la pluralité des convictions n’est pas soluble dans le dérisoire « dialogue avec les religieux » des pouvoirs publics. Les très divers responsables du culte musulman n’ont plus de représentativité qu’aux yeux des autorités.
L’abandon de la laïcité serait donc non seulement inefficace, mais extrêmement dangereux. Les circonstances exigent aujourd’hui la plus grande fermeté dans la défense et la promotion de la laïcité –qui ne saurait dispenser, outre les mesures de sûreté, d’une inversion totale des politiques urbaines et sociales suivies jusqu’ici.
Les responsables de l’Observatoire de la laïcité, qui ont notamment soutenu, s’exprimant seuls à la place de la collégialité, que « la France n’a pas de problèmes avec sa laïcité » ou justifié l’abandon de la neutralité religieuse lors des sorties scolaires, sont aujourd’hui démentis par les faits de la façon la plus cruelle. L’Observatoire se trompe lourdement, au point que la question se pose désormais : pour la laïcité et la République, est-il une solution, ou un problème ?