La Maison des examens, service du ministère de l’Éducation nationale qui gère l’organisation du baccalauréat en Île-de-France, a envoyé une note aux proviseurs des lycées pour leur demander de « s’assurer de la présence effective » des élèves convoqués au rattrapage le 6 juillet, jour de l’Aïd-el-Fitr (fin du ramadan). « Ceux invoquant la fête de l’Aïd-el-Fitr devront être reconvoqués le lendemain. Vous voudrez bien indiquer le plus rapidement à mes services le nombre de candidats concernés ».
Il s’agit d’une directive (« devront ») parfaitement illégale. En effet :
- elle porte atteinte aux droits fondamentaux. En effet, la « liberté de pensée, de conscience, de religion »1 comporte également, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), un « aspect négatif » : le droit de ne pas être obligé de déclarer sa religion2.
- elle impose aux proviseurs de discriminer les élèves en fonction de leur religion supposée (ou déclarée) —ordre auquel ils doivent refuser de déférer, car il est contraire à la loi (art. 225-1 à 225-4 du Code pénal).
- elle perturbe l’ordre public scolaire, et le bon fonctionnement du service public.
Le SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale) a d’ailleurs soulevé les deux derniers points.
Quant à Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, il n’a pas hésité à déclarer au journal Le Parisien : « Il n’y a pas lieu pour la Maison des examens de proposer une éventuelle adaptation en amont, qui assigne les élèves à leurs pratiques religieuses. » (…) « L’administration n’a pas à anticiper les éventuelles demandes, pour la bonne raison que cette démarche revient à assigner les élèves à leurs pratiques religieuses. C’est contraire à l’approche laïque ». On saluera cette réaction ferme et rigoureuse, appuyée depuis par le Président de l’ODL, Jean-Louis Bianco.
L’UFAL, de son côté, a réagi de même dans une interview au Figaro-Étudiant :
« On anticipe une revendication qui n’a pas encore été formulée : l’administration fabrique elle-même le problème, on marche sur la tête ! », s’indigne Charles Arambourou, responsable laïcité de l’Union des familles laïques (Ufal). (…) « Sous couvert de respect des religions, on aboutit en réalité à ficher les élèves en fonction de la leur, ce qui est clairement discriminatoire ! », juge l’Ufal.
Faut-il que l’administration ignore la laïcité pour mettre d’accord l’UFAL et l’Observatoire de la laïcité !
Mais allons plus loin, puisque certains ont soutenu que la Maison des examens aurait appliqué « une loi » (!) ou « un texte voté par la droite ». Or le texte en question est… tenez-vous bien, la circulaire du 18 mai 2004 pour la mise en œuvre de la loi du 15 mars 2004 réglementant le port de signes religieux par les élèves des écoles publiques (votée par la droite et la gauche républicaines) ! Que dit-elle ?
« (…) L’institution scolaire et universitaire, de son côté, doit prendre les dispositions nécessaires pour qu’aucun examen ni aucune épreuve importante ne soient organisés le jour de ces grandes fêtes religieuses. »
Observons qu’il s’agit d’une circulaire d’application : elle n’a donc pas le pouvoir d’ajouter à la loi une obligation supplémentaire. Le verbe « doit » s’interprète donc de façon toute relative comme une simple directive interne à l’administration : il eût été préférable d’ajouter « dans la mesure du possible » 3.
En effet, selon le directeur de la Maison des examens, « Comme la date de l’Aïd-el-Fitr n’est décidée que quelques jours avant, elle n’a pas pu être prise en compte dans le calendrier du bac établi des mois à l’avance ». Face à une telle impossibilité, la solution était donc de ne pas modifier ce calendrier, la perturbation en résultant pouvant porter atteinte aux droits et libertés de l’ensemble des autres élèves, et revêtant ainsi un « caractère disproportionné » — ce sont les termes de la jurisprudence de la CEDH. Ainsi, un avocat italien de confession israélite n’a pu exiger, au nom de sa pratique religieuse, le report d’une audience fixée le jour du Kippour4.
Nous faisons nôtre sans hésitation l’affirmation suivante, émanant « d’une source proche de l’Observatoire de la Laïcité » : « Les convictions religieuses ne sauraient être opposées ni à l’obligation d’assiduité ni aux modalités d’un examen. »
Mais qu’il nous soit permis de penser (in cauda venenum) qu’à force de répéter que la France n’aurait pas de problème avec sa laïcité et que toute intervention législative ou réglementaire nouvelle en la matière serait forcément contre-productive, on a instillé, notamment dans l’administration, une culture du principe de précaution qui conduit à anticiper la moindre demande possible, même non formulée, dès qu’elle a un soupçon de caractère religieux !
- Art. 9 de la Convention européenne des droits de l’homme[↩]
- Cf. CEDH, 17 février 2011, Wasmuth c. Allemagne.[↩]
- Comme le font les textes administratifs relatifs, notamment, à la prise en compte des demandes religieuses particulières des patients les hôpitaux publics (alimentation, consultation d’un médecin d’un sexe donné, etc.) [↩]
- CEDH, 3 avril 2012, Francesco Sessa c. Italie.[↩]
15 commentaires
on peut rajouter que les candidats aux concours de l’enseignement (par exemple) convoqués aux oraux les vendredi samedi ou le dimanche ont le libre choix de faire leur choix selon leur conscience
Il faut aussi savoir prendre ses responsabilités et faire des choix, définir des priorités.
En plus c’est un des objectifs de leur parcours scolaires : aider les élèves à faire des choix éclairés
En fait, un crime serait moins grave que de rater une fête religieuse ! si j’extrapole
Vous extrapolez en effet, au risque du ridicule…
Je ne peux que vous recommander la lecture de l’ouvrage de Jean-Louis Auduc « Faire partager les valeurs de l’éducation ». Vous y apprendrez l’existence des jours « protégés » (à propos des religions juive, musulmane puis bouddhiste, plus la commémoration du génocide arménien).
Vous y découvrirez que les premières interventions sur ce point remontent non pas à 2004 ou 1996, mais à 1907 avec G. Clemenceau.(problème de l’article 42 de la loi de 1905…)
Vous y verrez que les références en vigueur remontent non pas à 2004 mais à 1963, et surtout à la circulaire du 23.09.1967…
Enfin, je n’ose imaginer que vous ignorez qu’en 2011 l’Elysée est intervenu afin que le concours des Mines, Ponts, Supelec et Centrale soit décalé pour ne pas pénaliser les étudiants juifs orthodoxes qui fêtaient la Pâque juive les 20 et 26 avril… car par « erreur de calendrier » cette année-là, le concours ne tenait pas compte de Pessah (alors même que cette fête religieuse ne fait pas partie des jours « protégés »).
Merci pour cette remarque leçon sur la laïcité et votre remarque concernant le Vatican
La différence pour 2011 est que cela concernait toutes les personnes convoquées.
L’ajournement de la date du 6 eut surement été plus judicieux puisqu’il peut apparaitre une atteinte à la laïcité de demander à un enfant de 17 ans de passer 1/2 journée d’examen un jour férié, sans surtout laisser à penser que les injonctions communautaristes ne sont surtout pas une atteinte à la citoyenneté.
Vous n’avez apparemment pas compris qu’il n’y a pas eu « injonction », mais application de la circulaire de 1967.
Je ne défends aucune religion, je n’en pratique aucune, je déteste tout communautarisme et tout ce qui sépare les humains, mais je n’aime pas que les journalistes ne connaissent pas leur sujet lorsqu’ils écrivent un article, surtout pour s’offusquer à bon compte.
La prochaine étape est la demande d’autorisation aux dignitaires musulmans, puis aux dignitaires juifs, aux évèques, enfin à tous les autres afin de ne pas troubler l’ordre religieux. Et pour Pâques on va rigoler entre les chrétiens, les juifs et les orthodoxes. L’état français favorise le communautarisme tout en se parant des plumes de paon de la laïcité.
J’aurais aimé, pour davantage de crédibilité de la part de l’UFAL, que les réactions aient été aussi virulentes concernant la reconnaissance en 2008 des diplômes vaticanesques par l’Etat, signée par M. Sarkozy, reconnaissance historique, puisque depuis 1880 l’Etat avait seule autorité pour l’attribution des grades universitaires.
La valeur des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canoniques) ou profanes (sciences, etc.) n’est donc plus du monopole d’Etat, et l’avis Conseil nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche
Sauf erreur de ma part, l’UFAL n’a pas protesté contre cette grave atteinte à la laïcité. Pourtant, c’est bien une autorité religieuse qui depuis 2008 valide en France les diplômes des universités catholiques…
Le jour où la même demande – exigence? – émanera d’un pays où règne le droit islamique, comment pourrez-vous protester? Si la fac d’El Azar du Caire fait un jour de l’entrisme, que pourrez-vous dire, après votre assourdissant silence de 2008?
J’aurais aimé, pour davantage de crédibilité de la part de l’UFAL, que les réactions aient été aussi virulentes concernant la reconnaissance des diplômes vaticanesques par l’Etat signée par M. Sarkozy en 2008, reconnaissance historique, puisque depuis 1880 l’Etat avait seule autorité pour l’attribution des grades universitaires.
La valeur des diplômes canoniques (théologie, philosophie, droit canonique) ou profanes (sciences, etc.) n’est donc plus du monopole d’Etat, et l’avis Conseil nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche n’a plus lieu d’être…
Sauf erreur de ma part, l’UFAL n’a pas protesté contre cette grave atteinte à la laïcité. Pourtant, c’est bien une autorité religieuse qui depuis 2008 valide en France les diplômes des universités catholiques…
Le jour où la même demande – exigence? – émanera d’un pays où règne le droit islamique, comment pourrez-vous protester? Si la fac d’El Azar du Caire – sunnite -, à l’enseignement très respecté, fait un jour de l’entrisme, que pourrez-vous dire, après votre assourdissant silence de 2008?
et vous GARREC qu’avez-vous fait à cette époque ?
Racontez- nous.
Je ne suis pas une association oeuvrant pour la laïcité… Mais puisque vous voulez tout savoir, cette année-là je me faisais opérer d’une tumeur au cerveau: ça vous va? Je vais mieux, merci.
Vous ne répondez pas sur le fond… Donc, oui à l’abandon par l’Etat de sa fonction de reconnaissance des diplômes (et donc des contenus) lorsqu’il s’agit des universités catholiques?
je suis comme beaucoup, je ne sais pas tout.
oui, j’entends votre remarquable leçon et votre connaissance du sujet et vos inquiétudes.
Je ne suis pas l’UFAL et je fus un ridicule provocateur dans mon premier commentaire.
en terme d’injonction, je ne pensais pas à l’administration qui serait « aux ordres » d’une quelconque autorité religieuse, cela concernait uniquement l’attitude communautariste qui influe sur le libre arbitre de chaque citoyen :
le fait de soulever cette possibilité de dérogation à une convocation peut entrainer une stigmatisation des familles qui font passer la réussite de leur enfant avant tout.
La circulaire de 1967 est faite pour anticiper pas pour résoudre des problèmes qu’une religion ne maitrise pas (malgré les avancées de la science et des méthodes de calculs).
Je m’interroge donc aussi sur l’absence de réaction et d’anticipation des interlocuteurs religieux concernés.
Je ne vois pas pourquoi on garde tous les jours fériés d’origine chrétienne « d’ailleurs fortement dénaturée pour Noël, devenue fête commerciale), et fêter par exemple le solstice d’hiver…
Ben ! à lire ces réactions nous n’en sortirons pas de l’auberge (pardon de l’église, temple, synagogue, mosquée ou autre !) qu’elle soit catholique, juive, musulmane, etc. L’école publique doit être laïque : » Aucune hiérarchie sociale, aucun système de valeurs préétabli, aucun dogme ne doit déflorer la fraîcheur de son éveil et de son entrée [ceux de l’enfant] dans la société. S’il accepte telle ou telle règle de vie, tel ou tel mode de pensée, parmi ceux qui lui seront également proposés, c’est par inclination naturelle, ou mieux encore, à la suite de ses propres réflexions sur les choses qui l’entourent.
Ces principes de la laïcité prolétarienne [par opposition à la laïcité bourgeoise qui devait s’émanciper de l’emprise de l’Eglise et de celle du capitalisme] impliquent l’emploi de méthodes d’éducation appropriées aux objectifs à atteindre. » (Marceau Pivert, l’Eglise et l’Ecole,1932).
Assez consternant de constater que nous en sommes toujours au même point et qu’aucun gouvernement de la République n’ait le courage de s’émanciper de toute emprise pour enfin mettre en oeuvre l’application du ternaire liberté-égalité-fraternité auquel il est impératif d’ajouter laïcité.