Les vraies questions posées par le « contrat d’engagement républicain »

A l’occasion du Comité interministériel de la laïcité du 9 décembre dernier, un certain nombre d’organismes associatifs, parmi lesquels le CNAJEP (dont fait partie l’UFAL, qui n’a pas été consultée…), ont publié un communiqué dénonçant « une laïcité détournée contre nos libertés ». Mais depuis quand la laïcité s’opposerait-elle aux libertés ? Voilà qui égare les signataires dans des critiques aussi générales qu’excessives, et les empêche d’aborder les vraies questions que peut poser aux libertés associatives, non la laïcité, mais le nouveau « contrat d’engagement républicain ».

Faut-il crier au totalitarisme ?

On a certes le droit de critiquer le gouvernement : l’UFAL ne s’en fait pas faute, qui a jugé « négatif pour la laïcité » le bilan de la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République ». Mais parler, comme le fait le communiqué associatif, d’un « point de vue dogmatique sur la laïcité » témoigne d’un singulier mépris pour la liberté de conscience –objet même de la laïcité, qui s’oppose justement à tout dogme. Ce sont les cléricaux qui ont inventé, voici plus d’un siècle, l’expression « dogme laïque ! Par pitié, laissons-la leur : chacun sa culture…

Sur sa lancée, le communiqué annonce rien moins qu’un déferlement de mesures totalitaires à souhait, qui viseraient à imposer « les dogmes du gouvernement ». C’est à la mode avec les mesures de santé publique. Citons : mise sous contrôle des collectivités locales, des associations, et des entreprises privées, menace pour « l’unité de la société » ou la démocratie locale. Pas moins ! Or ce qui est excessif est insignifiant, et l’on connaît les dangers de « crier au loup » à tout bout de champ.

Rappelons quand même que le Conseil constitutionnel, saisi de la loi « confortant le respect des principes de la République », a prononcé deux censures et deux réserves portant explicitement sur des libertés publiques : liberté d’association, droit des étrangers (le « rejet des principes de la République » justifiant un refus de titre de séjour étant un motif trop imprécis, ouvrant la porte à l’arbitraire), liberté de conscience (critères retenus pour l’instruction à domicile). On peut, comme l’UFAL, trouver cela trop timide. Il reste que dans une vraie dictature, aucune Cour suprême, même fantoche, ne censure le pouvoir. N’attendons pas d’en faire l’expérience pour en être convaincus.

Il est pour le moins téméraire de hurler, comme le fait le communiqué des associations, au « risque d’interprétations arbitraires des principes républicains ». Mais qui donc a peur des principes républicains ? Depuis quand ouvriraient-ils la porte à l’arbitraire ? Rappelons que, dans un Etat de droit, un principe est défini par le droit positif, et que son application se fait sous le contrôle du juge. Mais tout cela ne serait rien sans la vigilance des citoyens : le tout est de la solliciter à propos.

Faut-il craindre le « contrat d’engagement républicain » ?

Ce contrat, qui concerne directement les associations, avait préventivement suscité, il y a un an, une levée de boucliers à laquelle l’UFAL n’a pas jugé opportun de s’associer. Prévu par l’article 12 de la loi du 24 août 2021, il doit être souscrit par toute association qui sollicite des subventions publiques. En cas de manquement à ses engagements, l’association peut être tenue de rembourser les sommes perçues depuis ce manquement.

La simple bonne foi impliquait de prendre d’abord connaissance des termes exacts de ce contrat qui figure en annexe à un décret du 31 décembre 2021. Ce que n’ont pu faire, trois semaines plus tôt, les signataires du communiqué associatif, qui ont donc « crié avant d’avoir mal ».

Cela veut-il dire que ce contrat soit dépourvu d’ambiguïtés, voire de risques ? L’UFAL en donne, à froid, son analyse d’association d’éducation populaire.

Le Conseil constitutionnel, en cas de manquement au « contrat d’engagement républicain », a certes limité l’obligation de remboursement des subventions à la date de leur versement (excluant les sommes antérieurement perçues). Néanmoins, comme l’a relevé l’UFAL, estimer que ce contrat ne porterait pas atteinte à la liberté d’association puisqu’il ne concernerait pas « les conditions de formation et d’exercice des associations » relève, de la part des « neuf Sages », d’une méconnaissance de la réalité. En effet, nombre d’associations (formation, animation, médiation, notamment) tirent des subventions publiques une part prépondérante de leurs ressources((NDLA : ce n’est pas le cas de l’UFAL.)). Un retrait des subventions impacterait gravement leur activité, voire leur existence.

Si les intitulés des sept engagements exigés ne suscitent pas d’inquiétude, le diable pourrait se trouver dans les détails de leurs énoncés.

  • RESPECT DES LOIS DE LA REPUBLIQUE :

Cette formulation a remplacé –c’est heureux !- celle initialement prévue de « sauvegarde de l’ordre public » (qui n’est pas, en République, de la compétence des associations privées !). Il reste que s’engager à ne pas « entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public » peut paraître limiter le droit d’organiser des actions de désobéissance civile, voire de manifester. Certes, l’adjectif « grave » -précision issue du Conseil constitutionnel- modère la portée des « troubles à l’ordre public ». Mais, compte tenu de la doctrine gouvernementale de maintien de l’ordre, on peut effectivement craindre l’arbitraire en cas de dégradations, provocations ou violences commises par des éléments extérieurs, voire par la police elle-même, comme cela se voit trop souvent.

  • LIBERTE DE CONSCIENCE ;

L’engagement de « respecter et protéger la liberté de conscience » des membres et des tiers bénéficiaires des services de l’association est anormalement limité, puisque il ne s’applique pas aux organismes « dont l’objet est fondé sur des convictions, notamment religieuses ». Ceux-ci sont autorisés à requérir « de leurs membres une adhésion loyale à l’égard des valeurs ou des croyances de l’organisation ». C’est parfaitement abusif, et représente une régression par rapport à la situation actuelle : ainsi, le scoutisme catholique, qui aujourd’hui se garde d’obliger ses membres à assister à la messe, serait autorisé à devenir lieu de prosélytisme. C’est également contraire au principe même de la subvention publique, qui suppose que les activités de l’association soient d’intérêt général, et non réservées à une communauté de conviction ! En un mot, le contraire de la liberté de conscience.

  • LIBERTE DES MEMBRES DE L’ASSOCIATION :

Rien à redire, il s’agit d’éviter les pratiques sectaires qui rendent la sortie de l’association impossible.

  • EGALITE ET NON-DISCRIMINATION ;

La désastreuse confusion entre égalité (en droit, on l’oublie trop souvent !) et non-discrimination amène ici à des incohérences. Pourquoi limiter les discriminations interdites à 7((« le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’appartenance réelle ou supposée à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée »)), alors que le code pénal en comporte pas moins de 23 (voire 27) ? Cela veut-il dire qu’on pourrait traiter différemment les personnes à raison, par exemple, de leur handicap, ou de leurs opinions politiques (autres items visés par le code pénal) ?

Et pourquoi avoir retenu « l’identité de genre » ? Cette notion repose, par définition, sur l’appréciation subjective de la supposée victime : il est donc impossible de l’opposer objectivement aux tiers. Comment dès lors caractériser une infraction qui n’existe que par un ressenti individuel imprévisible ?

  • FRATERNITE ET PREVENTION DE LA VIOLENCE ;

S’engager à « ne pas provoquer à la haine ou à la violence envers quiconque » est certes bel et bon, mais à l’heure où les procès en « islamophobie » (Sciences-Po Grenoble) ou en racisme sont déclenchés pour un oui ou pour un non, de façon tout à fait arbitraire, il y a lieu de se méfier.

  • RESPECT DE LA DIGNITE DE LA PERSONNE HUMAINE ;

L’intention peut paraître louable : elle est malheureusement inopérante. En effet, la notion de « dignité de la personne humaine » ne va de soi que pour l’Eglise catholique. Du point de vue des lois de la République, elle est extrêmement fragile, et d’invention récente((Conseil d’Etat, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge (à propos du « lancer de nains »).)) Rappelons que la Cour européenne des droits de l’Homme a refusé de considérer que le port de la burqa était contraire à la dignité des femmes concernées((CEDH, 1er juillet 2021, SAS c. France.)).

Il en découle que tous les engagements souscrits à ce titre sont soumis à l’appréciation souveraine du juge. Il n’appartient pas à la personne publique qui subventionne de déterminer si l’association respecte ou non ses engagements de : ne pas « porter atteinte à la sauvegarde de la dignité de la personne humaine », « ne pas créer, maintenir ou exploiter la vulnérabilité psychologique ou physique de ses membres et des personnes qui participent à ses activités », « n’entreprendre aucune action de nature à compromettre le développement physique, affectif, intellectuel et social des mineurs ».

Mieux : il est naïf d’ignorer que les sectes et les organismes communautaristes ont précisément pour caractéristique de se réclamer de la dignité de la personne, et prétendent justement agir pour son bien ou pour le salut de son âme. De la manipulation mentale aux cas d’exorcismes mortels en passant par l’excision « rituelle », jamais aucun gourou, marabout, ou directeur de conscience ne reconnaîtra viser autre chose que l’amélioration du sort de sa victime.

  • RESPECT DES SYMBOLES DE LA REPUBLIQUE.

S’engager à « respecter le drapeau tricolore, l’hymne national, et la devise de la République » ne mange pas de pain, mais on ne voit guère quelles activités associatives seraient concernées, et surtout quelles conséquences pratiques cela pourrait entraîner. Les symboles de la République sont malheureusement plus souvent ignorés que foulés aux pieds…


Non, ce n’est pas la dictature. Mais c’est un encadrement qui se resserre. La question à se poser est alors : supposons qu’une majorité extrêmement à droite, ou simplement réactionnaire, soit élue. Quel usage pourrait-elle faire de ce contrat d’engagement républicain ? On n’ose imaginer la mise au pas des associations qui en résulterait. C’est probablement cela qui doit inquiéter le plus.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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