La Cour d’appel de Versailles vient, par arrêt du 18 avril 2019, de condamner la société Micropole SA pour avoir licencié en 2008 une salariée refusant d’ôter son voile à la demande d’un client chez lequel elle intervenait. Cette décision inévitable ne fait que se conformer à un arrêt de la Cour de cassation déjà rendu dans la même affaire. Mais elle ne constitue en aucun cas une autorisation de porter le voile en entreprise, contrairement à ce que certains ont hâtivement conclu !

La salariée licenciée, Mme Asma Bougnaoui, avait été déboutée en première instance puis en appel (en 2013). Elle s’est pourvue en cassation : la Cour de cassation a alors saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’une question préjudicielle. La CJUE a répondu le 14 mars 2017 qu’au vu des circonstances de l’espèce, le licenciement était discriminatoire. Les lecteurs d’UFAL-Flash ont été informés en détail dès le 20 mars 2017 du raisonnement suivi par la juridiction communautaire. Notre analyse reste actuelle.

Conformément aux principes dégagés par la CJUE, la Cour de cassation avait annulé, le 22 novembre 2017, l’arrêt d’appel confirmant le licenciement de Mme Bougnaoui. L’arrêt de renvoi de la Cour d’appel de Versailles ne fait donc qu’appliquer, un an après, des règles déjà connues. Quelles sont ces règles ?

Voici ce qu’en disait la Cour de cassation : « l’employeur (…) peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service (…) une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients (…) » C’est donc une autorisation d’interdiction du voile : exactement le contraire de ce que certains ont cru devoir lire ! Evidemment, sous conditions : celle du règlement intérieur n’étant pas réalisée dans l’affaire Micropole, le licenciement était dépourvue de « cause réelle et sérieuse ».

Deuxième condition non remplie par Micropole SA :  » (…) en présence du refus d’une salariée((On remarquera l’emploi du féminin, qui sonne un rien discriminatoire…)) de se conformer à une telle clause (…) auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.«  Or cette application du principe de proportionnalité, inspirée d’ailleurs de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme((CEDH, Eweida et autres c. Royaume Uni, 24 janvier 2013 : il faut faire la « balance » entre l’intérêt de l’entreprise et les droits du salarié.)) n’avait pas été mise en oeuvre en l’espèce.

La Cour de cassation expliquait en novembre 2017 avoir retenu une solution analogue à celle de l’affaire Baby-Loup, dans laquelle elle avait jugé que la clause de neutralité exigée par le règlement intérieur de la crèche était justifiée par le fait que tous ses salariés étaient en contact avec les enfants et leurs familles. C’est peut-être ce qui peut inquiéter rétrospectivement, puisque le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, comme nous l’avons également analysé le 30 août 2018, a contesté cette jurisprudence, et que le Premier président de la Cour a annoncé qu’il fallait en tirer des conclusions sur les motivations à venir de la juridiction suprême…

Enfin, notons que les références parfois faites à l’art. L. 1321-1-2-1 du code du travail français (art. 2 de la loi El Khomri du 8 août 2016), qui permettent l’introduction d’une clause de neutralité dans un règlement intérieur d’entreprise, sont infondées : l’espèce Micropole est en effet antérieure à cette loi nouvelle. Nous avons par ailleurs relevé, dans notre article précité du 20 mars 2017, la faiblesse de cette disposition, dont à ce jour ni la constitutionnalité ni la conventionnalité n’ont été confirmées. Aucune des motivations retenues par l’art. nouveau en question ne figure dans la décision de la CJUE…

Il reste que la montée de « l’expression du fait religieux » (en réalité des revendications d’affichage de l’islamisme politique) dans l’entreprise privée est avérée, et préoccupante. Le rapport Randstadt l’a clairement mesurée de 2016 à 2018. Malheureusement, la tendance des juridictions internationales (dont les décisions s’imposent à la France en vertu des traités qu’elle a signés) est, sous l’influence à la fois du droit anglo-saxon et de la pression islamiste, à privilégier la liberté de religion de l’individu au détriment de toute autre liberté, y compris celle de gérer une association ou une entreprise conformément à son objet et sans introduire de tension extra-professionnelles entre les salariés. On lira donc avec intérêt les motivations de la décision de la cour d’appel de Versailles, sans perdre de vue le cadre précisé par la CJUE.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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