Le Vade-mecum officiel « La laïcité à l’école », paru le 30 mai dernier, se substitue au pâle « Livret laïcité » de Mme Vallaud-Belkacem. Précédé d’annonces fermes du ministre Blanquer, supervisé par un « Comité des Sages » comprenant plusieurs laïques rigoureux, il constituait un test significatif des orientations du pouvoir actuel. L’UFAL retire de sa lecture une impression plus favorable, « en même temps » qu’une totale insatisfaction sur le chapitre des sorties scolaires.

Une analyse plus ferme et plus développée, systématiquement appuyée sur des cas pratiques

Le vade-mecum se compose d’une introduction présentant le cadre juridique – incomplètement (voir encadré ci-après) –, et de 22 « fiches-ressources », évoquant des cas concrets, rappelant les textes applicables et indiquant la conduite à tenir. Elles concernent : les élèves, les personnels, les parents, les intervenants extérieurs.

On se félicitera de trouver affirmés sans circonlocutions un certain nombre de principes salutaires : « La loi démocratique [on eût préféré : républicaine]prime sur les lois religieuses » ; la loi du 15 mars 2004 (art. L.141-5-1 du code de l’éducation) s’applique à toutes les activités scolaires (ratione materiae : en raison de la matière), et pas seulement à l’intérieur de l’établissement (ratione loci, en raison du lieu) ; « les pratiques religieuses s’exercent dans un temps différent de celui de l’école ».

On retiendra particulièrement la distinction nette entre sciences et croyances, notamment en SVT : « L’enseignement transmet un savoir scientifique incontestable ((Epithète épistémologiquement malheureuse, tout énoncé scientifique devant être « réfutable ».)), des connaissances argumentées, démontrées, vérifiées. Les croyances, elles, font l’objet d’un sentiment de vérité mais ne sont pas démontrables. » On se souvient que la version d’origine du précédent Livret de 2016 indiquait, à propos du « discours religieux et du savoir scientifique » : « il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de l’un sur l’autre comme de les mettre à égalité.» – formulation contestée à juste titre((Remplacée ultérieurement par : « [opérer] la distinction entre les savoirs et les croyances, sans pour autant les confronter ou les comparer, en laissant la liberté de conscience à chacun. » – tout aussi vaseux : en SVT, on ne note pas la « liberté de conscience » des élèves !)).

La fiche 3 développe très justement la question des « signes et tenues » manifestant « ostensiblement une appartenance religieuse ». Elle invite à ne pas s’en tenir à la liste (très limitative) de la circulaire d’application de la loi, mais à examiner la façon dont les élèves arborent des signes qui ne seraient pas par nature religieux, et l’intention des porteurs. La jupe longue, l’abaya, le qamis, sont enfin concernés.

Les jurisprudences paraissent bien actualisées, certaines constituant même d’intéressantes découvertes. L’éducation sexuelle, l’égalité femmes-hommes, les certificats médicaux de complaisance, sont abordés… sans complaisance. La grande diversité des cas de contestation de la laïcité rend compte des « remontées du terrain », et de la gravité des atteintes -quel qu’en soit le nombre. Voilà qui contraste heureusement avec le panorama lénifiant présenté jusqu’ici par l’Observatoire de la Laïcité.

Des insuffisances, voire des provocations

En matière d’alimentation (qui concerne essentiellement les collectivités), il est dommage que ne soit pas mentionnée la question de la nourriture rituelle (hallal ou casher), exigée par certaines familles. Or l’achat de ces aliments (comme l’ont rappelé l’UFAL et la Ligue de l’Enseignement, entre autres) constitue une subvention illégale aux cultes, via les organismes religieux certificateurs.

Plus choquant, le souci du concret du vade-mecum ne va pas au bout : il se moque du monde lorsqu’il renvoie au « médecin scolaire » le soin de vérifier les certificats suspectés de complaisance, au « médecin ou à l’infirmier scolaire » celui de participer au dialogue avec la famille sur le jeûne ou l’alimentation religieux. En effet, ces personnels, pourtant essentiels, sont quasiment en voie de disparition, scandale dénoncé depuis longtemps par tous les membres de la communauté éducative !

Enfin, le sujet des aumôneries (fiche 16) est malheureusement l’occasion de réaffirmer une pratique de l’administration de l’EN, à la fois contraire à la laïcité, et inutile à la liberté de culte. Dans les établissements comportant un internat, où les élèves ne jouissent pas de la liberté de circulation, l’art. 2 de la loi de 1905 prévoit à juste titre la possibilité de financer des aumôneries, pour assurer la liberté de culte (comme dans les hôpitaux, les casernes et les prisons). En revanche, la quasi-totalité des établissements secondaires ne sont pas (plus) dotés d’un internat : leurs élèves ont tout loisir de suivre un enseignement religieux à l’extérieur. Or l’Education nationale considère qu’une aumônerie « peut être instituée si des parents d’élèves [il suffit d’une seule famille !] en font la demande ». Pratique qui profite quasi-exclusivement au culte catholique. Et que penser du conseil du vade-mecum « d’impliquer l’équipe pédagogique et éducative » ?

Sorties scolaires : un pas en avant, deux pas en arrière !

On savait J-M Blanquer favorable à une interdiction du port de signes religieux par les adultes accompagnateurs de sorties scolaires((Sénat, 19 avril 2018 réponse de J-M Blanquer à une question : « … le Conseil d’État précise qu’un chef d’établissement peut recommander aux mères de ne pas porter le voile dans les sorties scolaires. Pour ma part, c’est ce que je recommande aux chefs d’établissement (…) »)) – il s’était même dit prêt à le spécifier par circulaire. « En même temps », J. L. Bianco a toujours affirmé que « l’interdiction était l’exception ». La dernière fiche (n° 21) du vade-mecum nous sert une synthèse à l’eau de boudin.

Premier temps, la fiche rappelle l’étude du Conseil d’Etat du 19 décembre 2013 : « Les exigences liées au bon fonctionnement du service public de l’éducation peuvent conduire l’autorité compétente (…) à recommander [aux parents accompagnateurs]de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. » Saluons cette audace : c’est le passage que Jean-Louis Bianco a toujours censuré ! « L’autorité compétente », c’est-à-dire le ministre((L’étude du Conseil d’Etat cite l’arrêt Jamart de 1936, qui concerne le pouvoir réglementaire du ministre.)), n’a plus qu’à pondre une circulaire d’application nationale… comme la circulaire Châtel, écrite à l’époque par … J.M. Blanquer. Eh bien, pas du tout !

Or la fiche affirme ensuite exactement le contraire : « Les parents d’élèves peuvent lorsqu’ils participent à l’encadrement d’une classe en sortie scolaire, porter un signe ou une tenue par lequel ils manifestent une appartenance religieuse… ». On a bien lu : une sortie scolaire n’est donc pas une activité de l’école publique laïque !

La seule restriction posée relève de la pire hypocrisie : « …sauf si leur comportement ou leur discours traduisent une volonté de propagande ou de prosélytisme. » Parce que porter un signe religieux dans une sortie scolaire ne relèverait pas en soi du prosélytisme ? C’est nier qu’il s’agit d’une forme de pression communautariste, spécialement sur les parents qui ne souhaitent pas afficher leur religion – réelle ou supposée ! On reconnaît là le langage de l’Observatoire de la Laïcité…

Une fois de plus, la responsabilité de l’interdiction est renvoyée au « terrain », donc à la diversité des situations et des revendications locales : voile à Bobigny, pas à Neuilly ? « Les IEN, les directeurs d’école et les chefs d’établissements peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, recommander aux parents d’élèves((Paradoxalement, rien n’est dit sur les accompagnateurs autres que les parents (qui pourraient être des DDEN, des animateurs d’activités périscolaires, des membres de la réserve citoyenne, etc.))) de s’abstenir de manifester leur appartenance religieuse lorsqu’ils participent, sous la responsabilité de l’institution scolaire, à l’encadrement de sorties ou d’activités éducatives. » Mais au nom de quelles « circonstances » pourrait-on permettre qu’une activité scolaire publique puisse se dérouler dans un cadre non laïque ? La lâcheté le dispute à l’hypocrisie : on sait très bien que « pour ne pas avoir d’histoire avec les familles » (donc être mal notés par leur hiérarchie), aucune autorité scolaire ne se risquera à… appliquer l’obligation constitutionnelle de laïcité de l’enseignement public !

La seule solution conforme au principe d’égalité du service public sur tout le territoire est au minimum une circulaire du ministre, « autorité compétente » nationale. Ajoutons que (comme on l’a vu pour la loi du 15 mars 2004), la règle nationale unique est un élément d’émancipation, car elle protège les personnes concernées contre les pressions communautaristes. Plusieurs « mamans voilées » le disent : en cas d’interdiction légale ou réglementaire, elles retireraient tout simplement leur voile, car participer aux activités scolaires est pour elle le plus important. On ne peut continuer à laisser croire que l’accompagnement serait un droit !

A LA BASE DES RECULS SUR LA LAÏCITE SCOLAIRE : PLUSIEURS ERREMENTS JURIDIQUES

La remise en cause de la laïcité scolaire ne vient pas seulement des offensives communautaristes, ni de la mollesse du Conseil d’Etat ou de l’Observatoire de la Laïcité. Elle repose sur une méconnaissance juridique de fond, source de confusions délétères.

1) La laïcité scolaire, obligation constitutionnelle ignorée !

Il y a en France deux sources de la laïcité : outre celle de la République (loi de 1905, art. 1er de la Constitution), la laïcité scolaire, la plus ancienne (remontant aux lois de 1882 et 1886), est constitutionnalisée dans le Préambule de 1946, al. 13 : « L’organisation de l’enseignement public laïque et gratuit, à tous les degrés, est un devoir de l’Etat ». La laïcité, comme la gratuité, est donc une obligation constitutionnelle de l’enseignement public.

Or, dès son introduction, le Vade-mecum omet délibérément ce fondement de la laïcité scolaire, la ramenant à la laïcité de la République. C’est ignorer ses sources et sa portée bien spécifiques. En particulier, elle devrait suffire à interdire toute manifestation religieuse aux adultes accompagnant les sorties et voyages scolaires : ce qui le justifie, c’est le caractère scolaire de l’activité, non les caractéristiques ou comportements particuliers des personnes (parents, tiers au service, usagers, etc.).

2) Les « usagers » n’ont pas tous les droits !

C’est donc à tort que les partisans du port du voile par les accompagnatrices scolaires excipent de la qualité « d’usagers »(( Tiers au service » est plus exact, car peut y avoir d’autres accompagnateurs que des « parents ».)) des personnes. Mais, même en cela, ils travestissent le droit applicable. En effet, en France, aucun usager du service public ne peut en méconnaître le caractère laïque. Mieux : il est tenu d’y contribuer (pour ce qui le concerne), en respectant notamment ses règles de fonctionnement. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même en a « pris acte »((CEDH, 26 nov. 2015, Ebrahimian c. France : « [En France] la Cour observe que l’hôpital est un lieu où il est demandé également aux usagers, qui ont pourtant la liberté d’exprimer leurs convictions religieuses, de contribuer à la mise en œuvre du principe de laïcité en s’abstenant de tout prosélytisme et en respectant l’organisation du service et les impératifs de santé et d’hygiène en particulier (…)»)).

Par ailleurs le Conseil d’Etat, dans son étude du 19 décembre 2013, rappelle que les « usagers » peuvent légalement voir leur liberté de manifestation religieuse limitée, soit par des textes particuliers, soit dans l’intérêt de l’ordre public ou du bon fonctionnement du service. Il cite dans ce dernier cas : les élèves demandant une autorisation d’absence pour motif religieux, les usagers de l’hôpital public, les personnes assistant à une audience de justice, et les parents accompagnateurs de sorties scolaires.

En l’espèce, la notion de « bon fonctionnement du service » ne peut qu’inclure le respect de son caractère laïque, constitutionnellement obligatoire. Il ne tient nullement à des « circonstances » particulières, ni au « comportement » des usagers, qui s’apprécieraient « au cas par cas ». Il s’agit d’une prescription générale et absolue, puisque constitutionnelle. Charger chaque responsable de sortie d’apprécier le comportement d’un parent (fiche 21) est donc à la fois infondé juridiquement et dissuasif.

Quant aux « intervenants extérieurs » (fiche 22), quand ils participent à l’action éducative, on ne voit pas pourquoi ils pourraient manifester ostensiblement leurs convictions philosophiques ou religieuses !

3) Et les parents dans un conseil d’école, un conseil d’établissement, ou un conseil de classe ?

On ne saurait oublier la situation totalement absurde dans laquelle se trouvent les parents d’élèves exerçant une mission liée au fonctionnement du service : conseils d’école et d’établissements, ou directement éducative : conseils de classe. Si la loi du 15 mars ne s’applique pas à eux, c’est qu’elle ne concerne que les élèves ! En déduire (fiche 21) qu’elle les autoriserait à manifester leur appartenance religieuse relève du sophisme. Il s’agit en réalité d’un vide juridique qui reste à combler.

L’affichage d’un particularisme culturel et/ou religieux est en effet incompatible avec l’exercice d’un mandat public de représentation de l’ensemble des familles, ou la délibération d’un conseil de classe qui concerne tous les élèves. Le représentant ne saurait offrir une apparence laissant penser qu’il pourrait favoriser ou défavoriser une famille ou un élève en raison de sa religion.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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