À l’UFAL, il nous a plutôt paru essentiel qu’un homme assassiné pour sa liberté d’expression ne meure pas une deuxième fois. Il fallait donc que la pièce soit jouée et que la liberté d’expression passe, coûte que coûte. Sans quoi, quel sens auraient ces forêts de crayons pointés vers le ciel ce 15 janvier, place de la République et partout ailleurs ? D’un élan aussitôt essoufflé ? De belles manifestations non suivies dans les faits ? Un simple crayon pointé vers le ciel, symbole de notre détermination incassable à être libres, multiplié à l’infini par cette marée humaine, symbole décisif de notre invulnérabilité : il faudra nous tuer tous. Condition irréalisable donc annonciatrice de la défaite des barbares. Les assassins de Charlie et des autres malheureux ont perdu avant même d’avoir livré bataille. Et s’ils parviennent à nous peiner grandement et à nous faire pleurer les disparus, encore dernièrement sur les Champs-Elysées, ils ne peuvent pas nous vaincre. Au final, les crayons seront toujours infiniment plus forts que le bruit métallique des culasses de kalaschnikov.
S’il est souvent nécessaire de tempérer et d’ « arrondir les angles », il faut néanmoins prendre garde à rester inflexible sur certains principes lorsqu’ils constituent le socle de notre société. Or, la liberté, première chez Rousseau, est aussi le premier terme du triptyque Républicain. Elle est la raison même de notre association politique. Mieux ; notre République laïque fait plus que simplement « porter » la liberté ; elle « assure » la liberté de conscience donc la liberté de pensée (illimitée) et la liberté de la manifester (limitée). Nous voilà aux prémisses de la liberté d’expression d’où découle, en particulier, la « garantie » du libre exercice des cultes. Dès lors, à l’UFAL, on condamne les uns qui, non contents que leur liberté de culte soit garantie, voudraient parfois étouffer la liberté d’expression des autres. Ou encore, ceux qui promeuvent la liberté mais sans la liberté d’expression, la tolérance aux autres mais uniquement si l’autre nous ressemble, donc quand il n’est plus un autre… Nous sommes surpris de ces postures, car il n’existe pas de demie-liberté. La liberté est pleine et entière, et n’est du reste, jamais acquise. C’est une lutte continue de l’esprit envers lui-même qui justement puise sa vigueur dans l’altérité dans toutes ces différences qui nous renseignent sur nous-même. Elles se retrouvent dans les livres, dans la musique, la peinture, le théâtre, les rencontres… Et même -faut-il le rappeler ?- dans la caricature et le dessin satirique quand ils nous poussent dans nos retranchements, quand nous sommes bousculés dans nos certitudes ou simplement provoqués, sans méchanceté, par l’humour… Le rire… Simplement essayer de nous faire rire… De nous même ? Là est le véritable humour. Le fascisme ne rigole pas de lui-même, jamais. Ces artistes de l’humour, ces épris de liberté, font appel à notre tolérance mais surtout à notre intelligence, car, souvent, lorsque le dessin est grinçant, il est aussi pertinent. Au final, cela s’appelle progresser sur soi, cela s’appelle évoluer.
Merci à vous tous Charlie Hebdo,
Merci pour les larmes de joie qui libèrent.