Voici une jurisprudence (Cour administrative d’appel de Nancy, 10 juin 2010) qui a réjoui, bien à tort, le professeur Baubérot (opposant bien connu à la loi du 15 mars 2004), mais qui intéressera les vrais laïques, soucieux de concilier ordre public scolaire et respect des libertés.

Les faits

Une disposition du règlement intérieur du lycée René Cassin, à Nancy, adopté le 27 mai 2004, interdisait « le port de tout couvre-chef ». Une élève, exclue le 15 décembre 2004 pour avoir enfreint cette interdiction, saisit les juridictions administratives, demandant l’annulation de cette décision, ainsi que du règlement intérieur. Déboutée par le Tribunal administratif, elle fit appel auprès de la Cour administrative d’appel (CAA) de Nancy, qui annula partiellement ledit règlement intérieur. Elle se pourvut alors devant le Conseil d’Etat, qui cassa partiellement la décision d’appel, la renvoyant devant la CAA de Nancy. Celle-ci, par un arrêt du 10 juin 2010, annula complètement la disposition citée.

Une confirmation de la loi du 15 mars 2004

Le Conseil d’Etat, statuant en cassation – donc définitivement – le 6 mars 2010, a confirmé l’exclusion de l’élève, considérant notamment « que les conditions dans lesquelles ces coiffures étaient portées étaient de nature à faire regarder l’intéressée comme ayant manifesté ostensiblement son appartenance religieuse ; »
L’exclusion, considère la Haute Juridiction, est conforme à la loi1 et la Convention européenne des droits de l’homme2. Il n’y a donc aucun « revirement » dont les laïques auraient à s’inquiéter.

Une seule disposition irrégulière annulée : les conséquences

En revanche, le Tribunal administratif, confirmé sur ce point par la CAA, n’avait annulé que partiellement la disposition litigieuse du règlement intérieur du lycée Cassin, « en tant qu’elle s’applique dans tout l’établissement et non seulement à l’intérieur des bâtiments scolaires ».
C’est cette partie –et cette partie seulement- de l’arrêt d’appel qui a été cassée. In fine, la CAA a donc annulé dans son ensemble « la disposition du règlement intérieur du Lycée René Cassin (…) prévoyant que le port de tout couvre-chef est interdit » – et seulement celle-ci.
Victoire à la Pyrrhus : 1° l’exclusion de l’élève est confirmée ; 2° la loi du 15 mars 2004 –norme juridique supérieure à un règlement administratif- continue de s’appliquer, y compris au Lycée René Cassin, et justifierait de nouvelles exclusions dans des cas semblables !

Pas d’interdiction « générale et absolue » dans un règlement intérieur

La CAA a pris soin de motiver son deuxième arrêt en conformité avec la jurisprudence du Conseil d’Etat :

« Considérant (…) que cette disposition institue une interdiction permanente, qui prohibe le port de tout couvre-chef, indépendamment du fait qu’il est susceptible de manifester ostensiblement une appartenance religieuse, en tout lieu de l’établissement, y compris à l’extérieur des bâtiments ; que l’institution d’une telle interdiction (…) excède, alors qu’il n’est pas établi que des circonstances particulières justifiaient une telle mesure, ce qui est nécessaire au maintien du bon ordre au sein de l’établissement et porte ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression reconnue aux élèves ainsi qu’à leur droit au respect de leur vie privée ; »

On pourra, à titre subsidiaire, contester la distinction entre « intérieur » et « extérieur » des bâtiments scolaires – qui n’est en rien conforme à la loi ! Néanmoins, on retiendra :

  • Que le juge administratif (jurisprudence classique) n’admet pas que l’administration limite les libertés garanties par la loi de façon « générale et absolue » : elle ne peut le faire qu’eu égard à des « circonstances particulières », sans aller au-delà de ce que l’intérêt général justifie dans l’espace, le temps, le nombre de personnes concernées…
  • Que les libertés (vestimentaires, et/ou d’expression) reconnues aux élèves (loi Jospin de 1989) ne peuvent être limitées que dans les cas de « signes ou tenues » à la fois religieux et ostensibles (ou portés ostensiblement). Sont donc autorisés : 1) les signes ou tenues religieux non ostensibles ; 2) les signes ou tenues ostensibles non religieux (eût dit Lewis Carroll)…
  • Que le règlement intérieur d’un établissement public a l’obligation de « rappelle[r] que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève » (Loi du 15 mars 2004), donc de se référer explicitement à ladite loi, à l’interdiction qu’elle édicte et à ses motifs : la laïcité doit s’y afficher !

Nos amis laïques, administrateurs, enseignants, parents d’élèves, auraient intérêt à vérifier que tous les règlements intérieurs des collèges et lycées sont, sur ce point, conformes à la loi et à la jurisprudence. L’UFAL est heureuse de mettre les éléments ci-dessus à la disposition de Monsieur le ministre Chatel, pour lui faciliter la rédaction d’une circulaire…

Art. L.141-5-1 (V) du Code de l’Education (loi du 15 mars 2004, art. 1er) : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit.

Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »

  1. Art. L.141-5-1 (V) du Code de l’Éducation (loi du 15 mars 2004, art. 1er) : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire est précédée d’un dialogue avec l’élève. »
    []
  2. La jurisprudence en la matière de la Cour européenne des droits de l’homme a été précédemment commentée pour l’UFAL. []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

Un commentaire

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