Version corrigée du 7 décembre 2017.
De perspicaces juristes nous ont fait remarquer que l’art. 38 du projet de loi que nous critiquons ci-dessous ne comportait aucun avantage fiscal nouveau. Nous les en remercions. C’est exact, bien que cela n’emporte pas absolution du texte. Voici donc notre analyse corrigée (corrigée).

Méfiez-vous de la « société de confiance » que nous prépare le pouvoir macronien ! Le projet de loi ainsi nommé, étudié en procédure accélérée par l’Assemblée Nationale, recèle des dispositions contraires à la laïcité, qu’on essaye de faire passer subrepticement. Elles se trouvent à l’article 38 (voir encadré ci-après) : l’UFAL en fait une première analyse.

Une remise en cause directe de la loi de 1905

Le I de cet article 38 modifie explicitement l’art. 19 de la loi de 1905… et son équilibre même ! Les associations « cultuelles », issues de l’art. 4 de la loi, ont pour objet exclusif d’assurer le libre exercice des cultes. Leur régime financier est fixé par l’art. 19, qui leur interdit par exemple de reverser le surplus de leurs recettes (quêtes, dons, legs) à des associations qui ne seraient pas « constituées pour le même objet » (médias, éditions…).

En contrepartie, les associations cultuelles bénéficient de la gratuité totale des dons et legs : pas de TVA sur les quêtes ! De même, l’art. 795-10° du code général des impôts exonère des droits de mutation à titre gratuit la cession d’un immeuble à une association cultuelle, donc à la stricte condition qu’il soit destiné à l’accomplissement de l’objet de celle-ci (le culte), précise l’art. 19 alinéa 8 de la loi de 1905, Le don d’une chapelle privée est concerné, si elle doit servir à la célébration du culte – boxes ou de locaux commerciaux…

Eh bien, c’est cette stricte limitation à l’objet cultuel que la loi pour une « société de confiance » entend faire sauter, permettant (par modification de l’art. 19 de la loi de 1905) aux associations cultuelles de « posséder et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit » – donc y compris un patrimoine lucratif sans aucun lien avec le culte.

Autrement dit, il s’agit d’une remise en cause d’un des principes de la loi de 1905 : le libre exercice des cultes (art.2) par des associations ayant ce seul objet (art.4), et bénéficiant à ce titre d’avantages fiscaux (art. 19).

D’ores et déjà, il est admis que les cultes puissent être exercés par des associations cultuRelles de la loi de 1901 (qui n’ont pas l’exercice du culte comme objet unique) : mais dans ce cas, elles ne bénéficient pas de ces avantages fiscaux : le culte musulman, par exemple. En franchissant un pas vers la « banalisation » des associations cultuelles, ne chercherait-on pas à étendre à terme les subventions fiscales dont elles bénéficient déjà aux associations religieuses (mais non exclusivement cultuelles) de la loi de 1901 ? Et plus généralement à faire disparaître les conditions limitatives (objet strictement cultuel) posées par l’art. 19 ? Le redoutable rapport Machelon de 2006 avait déjà abordé cette question et suggérait de faire disparaître la frontière entre les deux régimes… pour permettre à toutes les associations religieuses de cumuler les avantages de 1905 et de 1901 – les avantages fiscaux sans la limitation à l’objet cultuel !

Voilà en tout cas ce que l’exposé des motifs appelle sans honte : « des mesures de clarification et de modernisation du statut des cultes, en renforçant leurs ressources » : quel aveu ! Les associations cultuelles ne pouvant, « sauf exceptions, recevoir des financements publics », il déplore qu’elles « rencontrent, pour un nombre important d’entre elles, des difficultés financières résultant du déséquilibre existant entre les charges liées aux frais de culte, stables, et leurs ressources, en diminution. » (Souligné par UFAL).

Les Eglises vont donc pouvoir se faire de l’argent avec les biens reçus en legs ou donations qui ne sont pas à destination cultuelle : immeubles de rapport, parkings, locaux commerciaux, etc. Que devient la notion fondamentale de « libre exercice des cultes », à laquelle la République faisait depuis 112 ans le sacrifice de quelques subventions fiscales ?

Les Églises dispensées de respecter la loi sur la transparence de la vie publique !

Le II du projet de loi « société de confiance » va dans le même sens, mais en s’attaquant à la loi du 11 octobre 2013 « relative à la transparence de la vie publique ».

Ce texte oblige notamment (art. 18‑2) les « représentants d’intérêts » privés à déclarer tous leurs rapports avec les « décideurs » publics : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en tient un registre public.

Or la définition des « représentants d’intérêts » est extrêmement large((Ainsi l’UFAL, simple association familiale, est obligée à des déclarations d’une complexité et d’une lourdeur sans intérêt pour la « transparence », puisque toutes nos interventions sont déjà publiques !)) : le législateur, dans sa grande sagesse, a donc prévu d’exempter certains organismes de ces contraintes. Parmi ceux dont la loi déclare qu’ils « ne sont pas des représentants d’intérêts », on trouve au d) du même article 18-2 : « Les associations à objet cultuel, dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes. »((Un « ministre chargé des cultes » ne devrait pas exister dans une République laïque !)) Exemption justifiée, puisque l’exercice des cultes que ces associations ont pour objet d’assurer entraîne forcément des relations avec les autorités qui garantissent la liberté dudit exercice.

Mais Darmanin et Macron, se servant de la loi sur la « société de confiance », entendent exempter les associations à objet cultuel de toute déclaration d’intérêts, quel que soit le décideur public avec lequel elles sont en rapport. Y compris donc quand il s’agit des rencontres entre le Gouvernement et l’Eglise catholique, instaurées par Lionel Jospin…

Comment ? Très simple : en supprimant la limitation prévue par la loi sur la transparence (« dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes »), ce que fait l’art. 38, II du projet de loi « société de confiance ». L’exposé des motifs nous explique benoîtement que les relations entre les cultes et les pouvoirs publics « ne se limitent pas aux seuls services du ministre de l’Intérieur en charge des relations avec les cultes. »

On a bien compris : TOUTES les relations des cultes avec les pouvoirs publics peuvent rester secrètes, et se dérouler dans l’ombre, alors que la moindre association est soumise à l’obligation de « transparence » ! Le lobbyisme clérical se développera en toute tranquillité, toute obscurité, et toute inégalité ! Par exemple, auprès du ministre de l’éducation nationale, pour augmenter la part des subventions publiques à l’école confessionnelle au-delà du 80/20 actuel ; ou après de la ministre de la santé, pour empêcher l’évolution des lois de bioéthique…

C’est un recul caractéristique du principe de séparation (intitulé et art. 2 de la loi de 1905), puisqu’il facilite la confusion entre les cultes et la République, et ce dans une obscurité totale.

Inégalités et retour aux « cultes reconnus » du Concordat

C’est également une rupture d’égalité entre les « associations cultuelles » et l’ensemble des autres organismes, associatifs, industriels et commerciaux, qui restent tenus de déclarer leurs « opérations d’influence ».

Pire, ce ne sont pas n’importe quels cultes qui en bénéficieront ! Les deux exceptions dénoncées plus haut ne bénéficient en effet qu’aux associations « à objet cultuel », autrement dit : seront exemptés de l’obligation de transparence dans leurs rapports avec les pouvoirs publics et pourront faire de l’argent avec le patrimoine immobilier reçu en donation les seuls cultes catholique, protestants et israélite (en pratique). Eh oui, les « cultes reconnus » du Concordat de Bonaparte !

On permettra à l’UFAL de prendre ici la défense du culte musulman : le libre exercice et le principe d’égalité entraînent l’interdiction de toute discrimination, directe ou indirecte, des pouvoirs publics à l’égard d’un culte. Or c’est ce à quoi aboutirait le texte de l’art. 38, II du projet de loi ! Au regard du seul principe d’égalité, sa constitutionnalité paraît pour le moins douteuse.
Quant au principe de laïcité, il est carrément bafoué par ce véritable retour pratique au régime concordataire des « cultes reconnus » !

PROJET DE LOI POUR UN ÉTAT AU SERVICE D’UNE SOCIÉTÉ DE CONFIANCE (extraits)
Exposé des motifs
L’article 38 propose des mesures de clarification et de modernisation du statut des cultes, en renforçant leurs ressources, en particulier celles des associations cultuelles qui ne peuvent, sauf exceptions, recevoir des financements publics et qui rencontrent, pour un nombre important d’entre elles, des difficultés financières résultant du déséquilibre existant entre les charges liées aux frais de culte, stables, et leurs ressources, en diminution.
Cet article autorise les associations cultuelles à détenir tout immeuble acquis à titre gratuit et explicite l’obligation pour les associations cultuelles d’établir des comptes annuels qui est aujourd’hui indirectement prévue pour de nombreux actes de la vie civile qu’elles accomplissent.
Il clarifie la nature des relations entre les cultes et les pouvoirs publics qui ne se limitent pas aux seuls services du ministre de l’intérieur en charge des relations avec les cultes.

Article 38
I. – La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est ainsi modifiée :
1° À l’article 19, après le huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Elles pourront posséder et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit. » ;
2° Au premier alinéa de l’article 21, après le mot : « unions » sont insérés les mots : « établissent des comptes annuels et ».
II. – Au d de l’article 18-2 de la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, les mots : « , dans leurs relations avec le ministre et les services ministériels chargés des cultes » sont supprimés.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

6 commentaires

  1. Francois Braize

    Je vais regarder cela de plus près mais votre analyse me paraît en première approche  erronée sur chacun des trois points. Mais comme, comme tout le monde, je peux me tromper, j’invite d’autres juristes sérieux à faire de même et à faire part du résultat de leur analyse des textes en cause.

    • carambourou

      Le débat juridique est bien sûr ouvert, et je ne manquerai pas de m’incliner devant des arguments contraires fondés. Moi aussi, je peux me tromper. Cela dit, le simple bon sens indique que la modification de la loi de 1905 ne saurait être neutre…

  2. On lira aussi un article du journal suisse " Le "Temps" du 5/12 : La foi dans la finance, à l’aube d’une nouvelle ère pour les marchés financiers. Cet article montre le rôle que les diverses religions voudraient tenir pour orienter la finance.

  3. Il est certain qu’il vaudrait mieux en rire si ce n’était pas à pleurer.Cette réforme est mal ficelée mais elle n’a pas la portée scélérate que l’article croit y trouver. En effet, l’ajout à l’article 19 de la capacité de "posséder et d’administrer tout immeuble acquis à titre gratuit" n’a pour objet, ni pour effet de changer quoi que ce soit à l’article du CGI qui prévoit l’avantage fiscal (exonération des droits de mutation) pour les cessions d’immeubles aux associations cultuelles à la condition d’une affectation au culte. L’avantage reste ce qu’il est et seulement ce qu’il est quoi qu’il en soit de la modification de l’article 19. D’ailleurs qui peut penser que les églises n’ont d’ores et déjà que des biens affectés au culte ?  Et n’est il pas  normal que la loi disent qu’elles peuvent les posséder et les administrer. La première critique tirée d’une extension de l’avantage fiscal au motif du complément apporté à l’article 19 ne tient pas.La seconde critique pas davantage : en effet il n’appartient pas à la loi de désigner l’autorité administrative compétente (un ministre, le premier ministre voire le président pourquoi pas ?) et donc si le législateur veut sortir les associations cultuelles du champ des représentants d’intérêts, comme il le fait pour les partis politiques, les syndicats, etc, il n’a pas à limiter ce champ à l’action d’un ministre et de ses services, en l’occurrence celui chargé des cultes car il est constitutionnellement incompétent pour organiser le pouvoir exécutif. C’est toutes les relations avec les pouvoirs publics qui doivent être ou dehors ou dedans, pas une partie. Je suis pour ma part favorable que toutes les relations du lobby religieux soient dans le champ et pas seulement celles avec le ministre des cultes.Enfin, la critique tirée d’une pseudo discrimination du pauvre culte musulman au motif qu’il serait organisé en association cultuRelles et non pas cultuelles ne tient pas davantage car il n’incombe qu’à lui de cesser d’habiller de culturel ce qui est culturel, pour d’ailleurs contourner la loi de 1905 nous le savons tous…Donc désolé mais attaquons nous au président et au gouvernement actuel, comme pour ses prédécesseurs, sur des reproches solides et sérieux pas sur ces critiques qui ne sont pas fondées juridiquement.Il n’en demeure pas moins que la modification proposée n’est pas satisfaisante pour la loi sur la transparence et qu’il vaudrait mieux y renoncer.

  4. il faut lire à la fin de mon texte " il n’incombe qu’à lui de cesser d’habiller de culturel ce qui est cultuel, pour d’ailleurs contourner la loi de 1905 nous le savons tous…" et non pas bien sûr "culturel"… mille excuses

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