Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, a ouvert des « États généraux de la laïcité » le mardi 20 avril. L’UFAL suivra cette opération avec intérêt, en saisissant toutes les occasions qui lui seront offertes de défendre et promouvoir la laïcité.

Parmi ses initiatives, la ministre a annoncé une vaste consultation sur la laïcité, 50 000 jeunes étant invités à répondre à la question : « Comment faire vivre la laïcité au quotidien ? » sur la plateforme de participation citoyenne Make.org. Malheureusement, le public visé paraît peu perméable à ce principe de la République, comme en témoignent plusieurs sondages intervenus en ce début d’année 2021, dont nous esquissons ici la synthèse.

Selon plusieurs sondages généraux récents, les 18-34 ans sont nettement moins sensibles à la laïcité que les plus âgés.

1 – A tout seigneur, tout honneur : commençons par le sondage État des lieux de la laïcité en France commandé par feu l’Observatoire de la Laïcité à Viavoice, publié en janvier 2021((Viavoice – Observatoire de la laïcité (janvier 2021) Interviews effectuées en ligne, du 15 au 21 décembre 2020 auprès d’un échantillon de 2000 personnes, représentatif de la population habitant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus)).

  • Niveau de connaissance de la loi : « si 74% des 65 ans et plus restituent correctement la définition de la laïcité, ils ne sont que (…) 49% chez les 18–34 ans. »
  • Attachement à la laïcité : pour une moyenne de 73%, les 18-35 ans ne sont que 65% (contre 85% pour les plus de 65 ans).
  • Remise en cause de la laïcité en permettant « le subventionnement du culte, les aides financières pour la construction de lieux de culte, l’indemnisation des ministres du culte, etc. » : seulement 11% en moyenne, mais 20% des 18-24 ans, 19% des 25-34 ans (deux fois plus que la moyenne).

2 – IFOP – Fondation Jean-Jaurès – Charlie Hebdo : Observatoire des enseignants : les contestations de la laïcité et les formes de séparatisme religieux à l’Ecole((801 enseignants 1er et second degré, du 10 au 17 décembre 2020)).

Le clivage générationnel se reproduit chez les enseignants, pourtant tous chargés par la loi de « transmettre les valeurs de la République » : si en moyenne 49% « se sont autocensurés dans leur enseignement sur ces sujets », ils sont 68% des moins de 30 ans.

3 – Etude Ifop-Fiducial pour CNews et Sud Radio sur les Français et la notion d’islamo-gauchisme((Echantillon 1 014 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Questionnaire auto-administré en ligne du 17 au 18 février 2021)). Même si l’on peut contester la pertinence du terme pour évoquer la « culture du « woke » », assez largement méconnue par la population générale, les « jeunes » minimisent systématiquement son importance :

  • « correspond à des prises de position marginales ou inexistantes » : moyenne 42%, mais 60%: des 18-24, et 50% des 25-34 ;
  • « pas répandu au sein de l’Université » : moyenne 44%, mais 18-24 : 60% ; 24-35 : 52% ;
  • « pas répandu au sein de l’éducation nationale » : moyenne 48%, mais 18-24 : 59% ; 25-34 : 54%.

4 – IFOP pour le Grand Orient de France Etude sur le maintien du régime du concordat et le financement des lieux de culte en Alsace Moselle((Réalisée par questionnaire auto administré en ligne du 30 mars au 1 er avril 2021. Echantillon de 1 009 Français, représentatif de l’ensemble de la population, vivant en France métropolitaine âgée de 18 ans et plus, et échantillon de 801 Alsaciens Mosellans, représentatif de la population d’Alsace Moselle âgée de 18 ans et plus.)).

  • «favorables » au financement public des cultes : 33% chez l’ensemble des Français, mais 56% (majorité) des 18-24 et 46% des 25-34 ! Chez l’ensemble des Alsaciens Mosellans, 56% ; mais 62% des 18-24 et 66% des 24-35. Partout, y compris en « France de l’intérieur », les jeunes sont les plus favorables, et de façon majoritaire, au financement public des cultes.
  • jugent « pas normal » que le coût du Concordat soit pris en charge par l’ensemble des contribuables français : 83% de l’ensemble des Français, et 53% des Alsaciens-Mosellans. Malgré ce résultat sans appel pour le régime local des cultes, 41% seulement des 25-34 ans d’Alsace et de Moselle y sont opposés –contre, il est vrai, 58% des 18-24 ans : effet positif de l’enseignement scolaire sur les plus jeunes ?
  • «favorables» à l’abrogation du concordat en Alsace-Moselle : 78% des Français, dont 52% des Alsaciens et Mosellans. C’est la grande surprise de ce sondage. Néanmoins, les 18-24 ans des départements concordataires sont la seule tranche qui ne s’y oppose pas majoritairement (45%).

Certes, le premier item ci-dessus apparaît contradictoire avec les deux suivants. Par ailleurs, dès qu’on examine les réponses par sous-échantillons d’un échantillon lui-même limité (inférieur à 1000 personnes), l’intervalle de confiance est forcément moindre. Mais, même en prenant ces précautions, le clivage générationnel reste évident.

Ainsi, quatre enquêtes, réalisées entre le 15 décembre 2020 et le 1er avril 2021, donnent des tendances concordantes. Quelles que soient les marges d’erreur, les 18-34 ans n’ont pas du tout la même appréciation positive de la laïcité que leurs aînés (spécialement les plus de 65 ans). Qu’a donc fait l’école de la République ?

Les sondages portant sur les jeunes scolarisés dans le secondaire donnent sans doute quelques clés de ce clivage de fond sur la laïcité.

1 – CNESCO-CNAM (enquête de 2018). Laïcité et religion au sein de l’école et dans la société : évaluation des attitudes citoyennes des collégiens et des lycéens((Paris : Cnesco-Cnam. Echantillon : plus de 16 000 élèves de troisième et de terminale, entre le 26 mars et le 18 mai 2018, par questionnaire en ligne administré sur le temps scolaire (plus 500 enseignants d’EMC et 350 chefs d’établissements).)) Ce sondage, émanant du ministère de l’éducation nationale, concluait de façon optimiste. Néanmoins :

  • 90 % des collégiens (91 % des lycéens) considèrent qu’il est important, voire très important, qu’ils soient tolérants entre eux, même s’ils n’ont pas les mêmes croyances. On peut ne pas partager l’interprétation optimiste : les « harcèlements scolaires » régulièrement dénoncés épargneraient donc seulement la religion ; et assimiler la « tolérance envers la religion » à la laïcité témoigne d’une méconnaissance de celle-ci… de la part du sondeur.
  • 76 % des élèves de troisième et 80 % des élèves de terminale sont attachés à pouvoir exprimer leurs croyances ou non croyances en classe tant qu’ils respectent l’opinion des autres. Mais jusqu’où peut aller cette expression ? Les items suivants sont moins encourageants.
  • Favorables aux autorisations d’absence pour une fête religieuse : 64% des Troisièmes (dont 31% très important) ; 62% des Terminales (dont 29% très important) ;
  • Défavorables à ce que la religion soit visible dans l’espace scolaire : 64% des Troisièmes (dont 32% très important), 62% des Terminales (dont 30% très important). Donc 36% des collégiens et 38% des lycéens (plus d’un tiers) seraient favorables au port de signes religieux à l’école : pourcentage préoccupant, et qui augmente avec la durée du passage dans l’enseignement secondaire.

Observons que cette enquête porte sur un échantillon très large, mais consulté « sur le temps scolaire ».

2 – Étude IFOP pour La LICRA et le Droit de Vivre : enquête auprès des lycéens sur la laïcité et la place des religions à l’école et dans la société((Réalisée par questionnaire auto administré en ligne du 15 au 20 janvier 2021 auprès d’un échantillon de 1 006 personnes, représentatif de la population lycéenne âgée de 15 ans et plus.)). C’est la plus récente.

  • favorables au port de signes religieux par « les parents d’élèves accompagnant bénévolement les enfants lors d’une sortie scolaire » : 57%, dont de 54% des 15 ans à 65% des 18 ans et plus. La ministre s’y est dite clairement favorable. L’UFAL clairement opposée.
  • favorables « à ce qu’une loi autorise les élèves des collèges et lycées publics à porter un burkini » à la poscine : 38%, dont de 33% des 15 ans à 56% des +18.
  • estiment que le principe de la laïcité, c’est avant tout « assurer la liberté de conscience » : seulement 27% en moyenne, mais 32% des 16 ans contre 21% des 18+.
  • jugent les lois de la laïcité discriminatoires « envers les musulmans» : 37%, dont de 28% des 15 ans à 55% des 18+.
  • sont opposés à « la critique outrageante des religions » : 52%, dont de 48% des 15 ans à 55% des 18+.
  • estiment que «les journaux ont eu tort de publier les caricatures du prophète Mahomet » : 27%, dont de 26% des 15 ans à 33% des 18+.
  • n’expriment pas de condamnation ou sont indifférents à l’égard des auteurs des attentats de 2015 : 10%, dont 15% des 18+.

Résultat paradoxal : plus longue est la scolarisation, plus l’attachement à la laïcité diminue ! On observe également que, si 32% des 16 ans se déclarent « athées convaincus » (chiffre conforme à celui de la population globale), ils ne sont plus que 23% des 18+. A contrario, alors qu’une moyenne de 29% des élèves se déclarent «religieux », ils représentent 40% des 18+.

*

L’école aurait-elle failli à « transmettre les valeurs de la République » ? Pas forcément, si l’on en croit l’enquête CNESCO ci-avant ; de même, la définition formelle de la laïcité n’est pas totalement ignorée par les lycéens de l’étude IFOP-LICRA. Le problème vient plutôt du contenu donné à ces valeurs dans l’enseignement, pris dans sa globalité.

Car, comment passer sous silence les effets de l’enseignement du fait religieux ? C’est en réalité lui qui transmet les éléments de résistance à la laïcité (que déplore d’ailleurs la conclusion de l’étude IFOP-LICRA) : la notion de « respect » amalgamant les croyants avec les croyances, ainsi que le relativisme (toutes les religions se valent, mais rien ne vaut une religion). Ajoutons-y la place exclusive donnée de fait à la religion : on n’étudie pas le « fait athée » ou simplement l’histoire de l’incroyance.

La liberté de conscience est devenue une valeur secondaire chez les jeunes, et non seulement l’école de la République n’a pas inversé la tendance, mais elle paraît y jouer un rôle. Il est urgent de rééquilibrer le contenu des enseignements, et bien entendu la formation des professeurs. L’enquête CNESCO nous apprend ainsi que seulement 9 % des enseignants en charge de l’EMC au collège (6,5 % au lycée) ont reçu une formation continue consacrée exclusivement à la laïcité.

Certes, ces éléments ne relèvent pas des attributions de Mme Schiappa. Néanmoins, ils ne manqueront pas d’affecter considérablement les réponses à sa question : « Comment faire vivre la laïcité au quotidien ? ». La République a un défi générationnel fondamental à relever : l’UFAL est prête à y prendre toute sa place, comme elle l’a fait avec son clip « Qu’est-ce que la laïcité ? ».

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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