M. Osmanoğlu et Mme Kocabaş, d’origine turque et vivant en Suisse, prétendaient, au nom de leur religion, faire dispenser leurs filles mineures de l’obligation de suivre les cours de natation obligatoires, parce qu’ils étaient mixtes. Les jeunes filles étaient donc obligées de se montrer, et de voir le corps partiellement dénudé de leurs condisciples : toutes choses contraires à l’éducation que leurs parents entendaient leur donner.

Condamnés aux amendes prévues par la loi du canton de Bâle-Ville, sanction confirmée en appel, les parents ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, en invoquant l’atteinte à leur liberté de religion. La CEDH, à l’unanimité, par un arrêt du 10 janvier 2017((Voir le communiqué du greffe et le jugement.)), les a proprement déboutés, en des termes intéressants.

L’intérêt public de l’intégration des élèves prime sur les considérations religieuses particulières

La Cour souligne (communiqué du greffe) « la place particulière que l’école occupe dans le processus d’intégration sociale, et plus particulièrement pour les enfants d’origine étrangère, précisant d’une part que l’intérêt des enfants à une scolarisation complète, permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales, prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes, et d’autre part, que l’intérêt de l’enseignement de la natation ne se limite pas à apprendre à nager, mais réside surtout dans le fait de pratiquer cette activité en commun avec tous les autres élèves, en dehors de toute exception tirée de l’origine des enfants ou des convictions religieuses ou philosophiques de leurs parents. »

Et l’arrêt conclut : (…), la Cour estime que, en faisant primer l’obligation pour les enfants de suivre intégralement la scolarité et la réussite de leur intégration sur l’intérêt privé des requérants de voir leurs filles dispensées des cours de natation mixtes pour des raisons religieuses, les autorités internes n’ont pas outrepassé la marge d’appréciation considérable dont elles jouissaient dans la présente affaire, qui porte sur l’instruction obligatoire. »

Cet arrêt confirme la jurisprudence des décisions de 2008 et 2009 validant l’exclusion en France d’élèves refusant d’ôter des signes religieux ostensibles. On en soulignera deux points :

  • les Etats jouissent d’une « très large marge d’appréciation » concernant leurs rapports avec les religions, particulièrement dans le domaine scolaire ;
  • l’intégration et la socialisation par l’école des jeunes issus de familles étrangères sont « d’intérêt public » -alors que les prescriptions religieuses ne relèvent que d’intérêts privés.

Ce dernier rappel est spécialement bienvenu, à l’heure où les islamistes des quartiers font pression sur les familles pour qu’elles retirent leurs enfants de l’école publique au profit d’un « enseignement à domicile » (du moins proclamé tel).

Mœurs et coutumes, burkini, et égalité des femmes

Sans doute les pleureuses des « discriminations postcoloniales » et les adorateurs de la diversité ne manqueront ils pas de tiquer sur la référence de l’arrêt aux « mœurs et coutumes locales » : abominable exemple d’ethnocentrisme ? Même pas ! En effet, dans les écoles du canton concerné, et en raison du nombre d’élèves musulmans, non seulement les séances de piscine sont encadrées « dans la mesure du possible » par des enseignantEs, mais le burkini est autorisé aux élèves ! Pour le Gouvernement suisse, « le port du burkini peut contribuer à faciliter la vie en commun des élèves d’une classe et leur montrer qu’ils y ont tous pleinement leur place même lorsqu’ils sont d’une culture différente. »

Comme quoi, même le multiculturalisme et les « accommodements raisonnables » n’arrêtent pas les intégristes religieux, qui ne cessent, dans tous les pays, de tester les résistances locales à leurs prétentions…

On saluera à ce propos la mention par le juge de Strasbourg de « l’égalité entre les sexes » : « La Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel la mesure litigieuse avait pour but (…) l’égalité entre les sexes. » (…) «  La Cour est prête à accepter que ces éléments puissent être rattachés à la protection des droits et libertés d’autrui ou à la protection de l’ordre au sens de l’article 9 § 2 de la Convention. »

Voilà sans doute une avancée jurisprudentielle par rapport à l’arrêt CEDH du 1er juillet 2014 Sas c. France, relatif à la loi française du 11 octobre 2010 (dite « loi burqa »). Comme l’UFAL l’a souligné dès les premières « affaires » de burkini de cet été, la Cour y avait explicitement rejeté « le respect de l’égalité entre les hommes et les femmes » comme « objectif légitime » pouvant justifier une limitation à la liberté de « manifester sa religion », précisément « au sens de l’article 9 § 2 de la Convention. »

Le comble est qu’en l’espèce, la famille refusait le burkini comme… « stigmatisant » ! Point de vue intéressant d’intégristes avérés, que l’on retiendra. Mais alors, les porteuses de burkini seraient-elles en fait des progressistes, voire des féministes aux yeux des bigots musulmans ? En réalité, pour les intégristes religieux, il n’est tout simplement « pas permis aux femmes musulmanes de fréquenter les piscines publiques ».

Comme le proclame, par exemple, le site « L’islam en questions et réponses » : « La charia … a donné l’ordre [à la femme] de rester chez elle et de ne quitter le foyer qu’en cas de besoin pour préserver sa chasteté et protéger son honneur (…). Le fait pour la femme de se rendre dans les clubs publics et dans les piscines mérite d’être interdit en raison de ses aspects condamnables et de ses dégâts. »

On ne saurait être plus clair : quand certaines familles intégristes – pas seulement musulmanes – prétendent formater leurs filles par « l’éducation pudique », elles visent en fait l’égalité femmes-hommes et la dignité des femmes. On se réjouira qu’une des missions reconnues à l’enseignement public par la CEDH soit au contraire de promouvoir ces valeurs.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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