Le président de l’UFAL, Nicolas Gavrilenko, a été auditionné par la Mission d’information sur les causes et conséquences de la baisse de la natalité en France de l’Assemblée nationale le jeudi 5 novembre. Celle-ci composée notamment de Mme Constance de Pélichy, Présidente, et M. Jérémie Patrier-Leitus, rapporteur. Vous pouvez retrouver l’ensemble des travaux de cette commission avec ce lien.

Madame la Présidente, Monsieur le Rapporteur, mesdames et messieurs les Députés
Je vous remercie au nom de mon mouvement pour l’invitation qui nous a été faite de donner notre avis sur le phénomène de la baisse de la natalité. C’est un sujet qui nous intéresse particulièrement, nous y avons d’ailleurs consacré plusieurs numéros de notre revue et de notre chaîne de podcasts.
Nous relaierons également l’enquête auprès de nos adhérents.
En préambule, je voudrais vous préciser la manière dont l’Union des Familles Laïques aborde ce sujet. Si nous sommes bien une association familiale, partie intégrante de l’Unaf, que vous avez reçu ce matin, une de nos singularités est que nous ne sommes ni familialistes, ni natalistes.
Nous nous plaçons dans la filiation des progrès laïques et sociaux qui ont émaillé l’histoire de notre pays depuis ceux qui ont abouti à une laïcité — laïcisation de l’État civil, du droit de la famille, de l’école, de l’État à travers la séparation — et des luttes politiques féministes qui en découlent et qui ont permis des avancées fondamentales pour l’émancipation des femmes : accès à l’instruction laïque, à une citoyenneté pleine et entière, à leur autonomie financière, au libre choix d’avoir un enfant ou non et, quand elles le souhaitent avec l’accès à la contraception et l’IVG, accès aux études supérieures, à la possibilité de carrières professionnelles, accès donc à une égalité, égalité qui reste malgré tout à parfaire.
Si j’évoque rapidement tous ces progrès, c’est qu’ils sont liés à notre sujet : tous sont réputés avoir un effet baissier sur la natalité. Si bien qu’à travers la comparaison du nombre d’enfants par femme dans un pays, le taux de natalité, nous avons une idée, réputée fiable, du niveau d’émancipation des femmes.
Il est donc évident pour nous que les politiques publiques en matière de natalité n’ont pas pour objectif de forcer un retour à une situation antérieure et des taux de natalité importants. Il ne s’agit pas pour nous de viser un réarmement démographique à marche forcée, encore moins si cela devait se faire aux dépens de l’émancipation des femmes.
Cela peut vous paraître évident, mais il ne faut pas négliger la dynamique de certains discours conservateurs et religieux qui profitent de la situation pour prôner le retour des femmes dans un rôle qu’ils présentent comme traditionnel.
Pour ce qui est de l’UFAL, nous basons donc notre réflexion et nos propositions sur la seule réalisation des projets parentaux et l’écart entre celui-ci et le nombre d’enfants réels. Or le désir d’enfants pour les familles, situé autour de 2,3 enfants, est bien supérieur au taux conjoncturel de fécondité qui est à 1,6 enfant, mais il est également supérieur au taux qui permet le renouvellement des générations.
L’accompagnement de ce souhait d’avoir des enfants, pour qu’il soit réalisé, doit donc être, de n’autre point de vue, la seule boussole des politiques publiques. Nous espérons donc que l’accélération de la baisse des naissances permettra, et c’est l’objet de votre mission, d’obtenir un consensus politique permettant d’aller dans ce sens, car beaucoup trop de familles n’ont pas les enfants qu’elles souhaitent pire elles y renoncent de plus en plus.
Or, les mesures prises par les pouvoirs publics depuis plus de 25 ans vont à rebours de ce qui permettrait de redonner confiance en l’avenir, ce qui est le préalable à un projet parental.
En effet, depuis 25 ans, nous avons laissé exploser les prix de l’immobilier, puis, plus récemment ceux de l’énergie, cela a des conséquences directes sur la façon dont se projettent les jeunes ménages :
- Ne pas réussir à se loger dans les grandes agglomérations ou se loger dans une petite surface ne permet pas de réaliser sereinement un projet parental ;
- Se loger en zone périurbaine ou rurale, et consacrer tout son budget à sa mobilité et au coût de l’énergie pour chauffer son logement ne permet pas de réaliser sereinement un projet parental ;
- Se loger mieux en s’éloignant de son lieu de travail et en augmentant ses temps et ses coûts de transport ne permet pas de réaliser sereinement un projet parental.
De même, depuis 25 ans, nous connaissons une dérégulation du marché du travail avec la création de statuts en dehors du monde du salariat et sans les protections afférentes ni les cotisations permettant de financer pleinement notre modèle social.
Un jeune autoentrepreneur ne peut pas se projeter sereinement dans un projet parental.
Un jeune précarisé, sans CDI à temps complet et sans filet de sécurité, ne peut pas se projeter sereinement dans un projet parental.
Le pays ne pourra pas faire l’économie de politique d’envergure dans ces domaines.
Pour se projeter sereinement, les jeunes ménages ont besoin également d’une politique familiale stable, voire ambitieuse. Or, depuis plus de 10 ans, nous avons vécu un détricotage d’une partie de celle-ci : mise sous conditions de ressources de l’allocation de base de la PAJE, des allocations familiales, baisses des plafonds des quotients familiaux sans compensation, augmentation des restes à charge des modes de gardes.
Cela ne permet pas non plus de se projeter sereinement dans un projet parental.
Les nombreuses crises que nous connaissons — financières, sanitaires, les guerres et la crise climatique — ajoutent de l’anxiété à l’anxiété, la santé mentale des jeunes se dégrade d’ailleurs fortement. Ajouter à cela l’inquiétude des jeunes parents qui ne trouvent pas tous de mode de garde adaptée, qui tombent parfois dans la pauvreté — avoir des enfants est l’une des causes les plus importantes de la pauvreté — qui n’arrivent pas à concilier vie professionnelle et vie personnelle, qui doivent composer avec une dégradation du service public : fermeture des maternités de proximité, dégradation de l’école et de l’accès aux soins. Tout cela ne permet pas non plus de se projeter sereinement dans un projet parental.
Vous l’aurez compris en creux, l’UFAL prône un changement complet de paradigme au profit des familles.
Pour ne pas sortir du champ pour lequel nous avons été invité, je vais vous présenter des objectifs circonscrits à la seule politique familiale mais qui nous semblent, malgré tout, essentiels :
Tout d’abord, sanctuariser les recettes de la Branche famille qui doivent rester le fruit des cotisations sociales. Les discussions actuelles sur le budget de la Sécurité sociale nous démontrent, une fois de plus, que, dès qu’il y a un excédent de recettes, celui-ci est transféré à une autre branche. Ce transfert des recettes montre le peu de cas et d’ambition des pouvoirs publics quant à la politique familiale.
Il faut également revenir aux grands principes de la politique familiale, la rendre plus lisible, la simplifier.
Il faut se recentrer sur l’objectif initial de solidarité horizontale : un ménage avec enfant doit avoir le même niveau de vie qu’un ménage sans enfant toute chose égale par ailleurs. Dit autrement, il faut compenser le coût que représente un enfant :
- Cette compensation doit être vraie, quels que soient les revenus, y compris pour les familles moyennes et aisées. Nous sommes donc pour un retour à l’universalité de la politique familiale. Nous avons aujourd’hui des salariés qui cotisent de manière importante à la Branche famille et n’en bénéficieront pas, cette injustice fragilise le système. Nous préconisons donc la fin de la mise sous conditions de ressources des prestations familiales. La lutte contre la pauvreté est une politique en soi, ce n’est pas l’objectif premier de la politique familiale, même si des bonifications de prestations sont nécessaires ;
- Cette compensation doit être vraie, quel que soit le rang de l’enfant : si le nombre d’enfants entraîne des coûts supplémentaires à partir du 3e, il est injuste de ne pas tenir compte de tous les enfants. Nous préconisons donc l’allocation familiale dès le 1er enfant : il faut sortir des injonctions natalistes et comprendre qu’aujourd’hui, le pas à franchir pour une famille est celui du 1er enfant.
Il faut également arrêter de présenter des coupes budgétaires comme des réformes progressistes, cela sape la confiance des familles : la réforme de la PréParE en est le parfait exemple. La réforme du CMG risque de produire beaucoup de déception également.
Il faut aussi penser la politique familiale sur des bases féministes : la politique familiale doit être un vecteur d’égalité au sein des familles à commencer par le respect du souhait des femmes d’avoir ou non un enfant ou plusieurs, mais aussi le partage des temps et des tâches parentales dans les couples. On le regrette fortement, mais la charge mentale que représente la vie de la famille, le travail que représente l’éducation des enfants, les tâches domestiques, ne sont toujours pas partagés équitablement au sein des familles. En ce sens, le projet de congés de naissance nous paraît une avancée essentielle, bien que tardive et encore repoussée à 2027. Il arrive après l’allongement de la durée du congé paternité qui a été un premier progrès, car le partage des tâches se joue dans les tout premiers temps après l’arrivée du premier enfant.
En revanche, il nous semble primordial d’assurer une indemnisation la plus élevée possible, non dégressive et avec un plafond assez haut pour qu’il y ait bien les deux parents qui s’en saisissent. Pour cela nous ne sommes pas opposés à la disparition du congé parental si cela permet un allongement et une meilleure indemnisation du congé de naissance. Il nous paraît également important que les familles monoparentales puissent bénéficier de la même durée en cumulant les deux congés de naissance.
Dernier point essentiel pour nous, le Service Public de la Petite Enfance. Si nous en avons salué la création après l’avoir réclamé, il mérite encore de grands investissements pour répondre à la demande des familles. Il doit permettre :
- une offre de qualité et diversifiée sur tous les territoires,
- Il doit être centré sur les EAJE qui sont le mode de garde plébiscité par les familles ;
- à des coûts abordables et à terme, tendre vers la gratuité.
- Le privé lucratif doit en être exclu et les scandales qui vont avec.
Les défis sont très nombreux dans le domaine et c’est pourtant un point essentiel dans la vie des jeunes familles, faciliter la garde des enfants, dès le premier, change vraiment tout dans le quotidien des parents.
Si j’ai essayé de vous montrer qu’il y a besoin, a minima d’un choc sur la politique familiale, mais aussi sur toutes les composantes de la vie des familles, c’est que nous considérons que la situation sociale de notre pays est alarmante. La baisse des naissances en est un symptôme. Si celui-ci peut permettre de mobiliser les politiques publiques et de voir les dépenses nécessaires comme un investissement dans l’avenir lors, nous aurons fait collectivement un pas dans le bon sens.
Je vous remercie.
Nicolas Gavrilenko