Citoyen
Cher collègue,
Cher camarade,

Dans votre lettre ouverte du 21 janvier adressée à M. Nembrini, vous faites part de votre refus de soumettre vos élèves aux évaluations de CM2. Et cela pour la raison principale que vous n’y voyez qu’une malheureuse machine de déstabilisation et d’humiliation à l’encontre de ceux dont vous avez la charge, vos élèves.

Sachez que l’UFAL vous apporte tout son soutien dans votre refus de vous soumettre à des injonctions ministérielles qui, comme vous le dites, ont pour principale vertu d’être éphémères.

Il ressort évidemment de votre lettre ouverte que ce n’est pas par simple opposition que vous refusez d’obéir, c’est tout simplement que vous vous situez à un point de vue qui se trouve au-delà de la simple collaboration aveugle aux ordres ministériels. En conscience, vous trouvez absurde et dangereux et attentatoire de soumettre des élèves à une évaluation sur des points du programme par eux jamais ou pas suffisamment travaillés. Et votre comparaison avec les leçons de conduite est tout à fait pertinente : quel moniteur enverrait-il, au bout de quelques leçons, le pauvre apprenti sur une bretelle d’autoroute par temps de départ en vacances ?

Votre propos cherche simplement à montrer que, bien que fonctionnaire d’Etat, et en cela tenu à l’obéissance, il est des moments où la désobéissance est de rigueur : parce que l’on vous demande une chose qui en tant que telle est une incohérence et une inconséquence. Autrement dit, il est tout à fait évident qu’il ne s’agit pas là d’un caprice, d’un parti pris que des esprits tristes pourraient qualifier d’étroitement syndicaliste ou encore de la manifestation d’un esprit ostensiblement rétif. Non, c’est parce que vous avez premièrement souci de vos élèves, c’est parce que vous voyez en eux des intelligences en devenir à qui manifester la vérité, que vous refusez de les mettre pareillement à mal.

Car, indubitablement, outre le fait qu’elles s’adressent à des élèves qui n’ont connu jusqu’à présent que les programmes de 2002, ces évaluations sont un acte de violence symbolique.

Tout d’abord à l’égard des élèves, donc : c’est les mettre volontairement dans une situation d’échec ; non seulement, elles ont lieu à une période de l’année où l’ensemble du programme n’est pas maîtrisé car même pas encore bouclé, mais en plus le système de notation est par moment tout à fait aberrant : qu’un élève réponde entièrement faux ou presque bon, la sanction peut être la même.

Ensuite à l’égard des maîtres : c’est les placer dans une situation de suspicion venant tant de leurs élèves que des parents de ceux-ci. Comment en effet les élèves pourraient-ils encore vous croire, vous accorder cette confiance sans laquelle il ne saurait y avoir de transmission du vrai, si vous les mettez volontairement dans une situation de déstabilisation ? Comment ne pas susciter chez eux un profond sentiment de trahison et de dépréciation ? Comment les parents ne pourraient-ils pas ne voir en vous qu’un chien de garde faisant sans barguigner ce que le pouvoir lui intime de faire ? Ou bien un maître incapable d’apprendre quoi que ce soit à vos élèves du fait de leurs piteux résultats ?

Et enfin à l’égard de l’institution en tant que telle : c’est réduire l’école à un lieu d’évaluation froide où le vrai est travesti et paré honteusement des oripeaux de la concurrence mutuelle, c’est forcer abusivement l’école à montrer au plein jour des contradictions voire des aveuglements qui ne sont pas les siens mais celles du Ministère.

Si l’école doit être un lieu de contrôle, c’est uniquement pour pointer où se trouve à un moment donné l’élève sur le chemin du vrai ; et ce pointage n’est pas une sanction, n’enferme pas l’élève dans une condamnation, une fatalité, mais elle a sa valeur en ce qu’elle lui montre le chemin qu’il lui reste encore à parcourir ou bien les chemins de traverse qu’il lui faut emprunter. Bien qu’instruire, étymologiquement, ce soit ordonner les connaissances de l’élève pour que, avec elles, il puisse affronter au mieux les servitudes du réel, tel le général qui place ses soldats pour qu’ils s’opposent à leurs adversaires de la meilleure façon, l’instituteur est aussi, comme vous le dites, un passeur, une sorte de premier de cordée : il est là pour montrer le chemin et exhorter à l’effort et à la confiance ceux qui le suivent, ses élèves.

Vous avez donc choisi de mettre au premier plan la confiance que vous témoignent vos élèves, car vous savez que, sans cette confiance, il ne saurait y avoir de leur part ni effort ni dépassement de leur état premier d’ignorance ; pour vous, cette confiance prime un esprit d’étroite obéissance. Autrement dit, à la moule qui adhère sur son rocher, vous préférez cultiver l’écart et le décalage ; à l’instituteur pro tempore, vous opposez l’instituteur pour lequel l’obligation d’instruction d’Etat prime sur les passagères figures de l’Etat incarné et leurs injonctions incohérentes voire délétères.

Pour cela, recevez, citoyen, cher collègue, cher camarade, tout notre soutien et l’assurance de nos sentiments fraternels.

Lire aussi cet autre article de Tristan Béal

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