Promouvoir la laïcité (en milieu hostile), par Stéphane AUROUSSEAU – Ed. Double Ponctuation, 2023

Au risque de faire hurler au copinage, on ne va pas cacher ici tout le bien que l’on pense de ce petit ouvrage de notre ami Stéphane AUROUSSEAU. Enfin, un militant engagé à « promouvoir » la laïcité -et pas seulement à la « défendre ». C’est sur la base d’une expérience de terrain qu’il aborde de front les problèmes rencontrés par la laïcité à l’école -oui, c’est elle, le « milieu hostile » ! On en avait bien besoin.

Stéphane milite contre les discriminations, en particulier celles qui frappent les homosexuels, et intervient dans des établissements scolaires. C’est précisément sur la base de cette pratique qu’il promeut ce qu’il appelle « une laïcité non dévoyée », car, comme l’indique le sous-titre de l’ouvrage, c’est « une notion indispensable pour lutter contre les discriminations ». Premier satisfecit à lui décerner. Car il inverse avec rigueur la logique dominante, qui veut au contraire noyer la laïcité dans la lutte contre les discriminations (comme l’a fait Pap Ndiaye dans sa refonte du Conseil des Sages), voire la rejeter comme machine à discriminer. C’est en même temps courageux, car, par les temps qui courent, l’autoproclamée « communauté LBGTQIA+ » aurait plutôt tendance à faire taire ou à écarter les militants laïques de ses rangs. Mais c’est surtout frappé du sceau de la pratique militante, et ça, ça résiste aux oukazes idéologiques.

L’ouvrage comporte trois parties. Les deux premières sont d’analyse : « Du côté des jeunes : la laïcité, une antivaleur ! » ; « Du côté des profs : injonction ou adhésion à la laïcité ? ». La dernière est pédagogique : « Promouvoir la laïcité : un outil et des conseils ».

Cette année, les membres d’une association nationale qui « attache une importance fondamentale à la laïcité » ont eu à traiter la question suivante : « La laïcité semble incomprise par la jeunesse actuelle. Que faut-il faire ? ». Il est dommage que le petit livre de Stéphane AUROUSSEAU n’ait pas été publié plus tôt : il aurait ouvert les yeux à ceux qui dénient le problème (« pur dénigrement de l’école, qui au contraire réussit à transmettre les valeurs de la République »), et apporté quelques suggestions sur ce qu’il s’agirait de « faire » (verbe malheureusement étranger au lexique de trop de partisans proclamés de la laïcité).

Il FAUT lire les exemples vécus relatés dans l’ouvrage pour comprendre l’ampleur du problème, et en saisir les éléments d’analyse proposés, tous de bonne facture sociologique. On rappellera ici que l’école a connu 30 ans de silence sur la laïcité, depuis les années 1970 jusqu’à la loi du 15 mars 20041 -l’occasion des « foulards de Creil » en 1989 ayant été manquée par la pusillanimité du ministre Lionel Jospin. Encore aura-t-il fallu attendre 10 ans de plus et surtout les attentats de 2015 pour que le ministère de l’Education nationale se décide enfin à promouvoir la laïcité et les valeurs de la République, notamment via l’éducation morale et civique (EMC). Trop tard ? Les sondages des deux dernières années sont dramatiques : la jeunesse fait sécession sur la question de la laïcité((Comme l’a montré Frédéric DABI, directeur des études de l’IFOP, dans son ouvrage La Fracture, éd. Les arènes, 2021)). Plus grave, et moins remarqué : des cohortes de professeurs actuellement en fonction, tous ceux qui ont passé leur bac avant 2015, n’ont jamais connu, lycéens, la laïcité dans leurs programmes. Les jeunes enseignants en général s’opposent clairement sur la laïcité à leurs collègues plus anciens, selon plusieurs enquêtes.

Tout cela, l’ouvrage le mesure à travers diverses expériences -plus riches du côté des élèves que des professeurs, ce qui est normal, et correspond bien au positionnement délicat de tout intervenant extérieur. Mais on en retiendra un témoignage de plus sur le peu d’efficacité de la « transmission des valeurs de la République et de la laïcité » à l’école.

Non, s’insurge l’auteur, la laïcité ne se réduit pas à l’œcuménisme (« coexister ») et à la lutte contre les discriminations religieuses. Il faut parler de l’athéisme, dit-il. Ce en quoi il a raison, s’il s’agit de définir la liberté de conscience. Mais en cela, il fait, quoi qu’il en dise, le procès de l’enseignement du fait religieux : car le brillant résultat de cette « innovation » issue du rapport Debray de 2002 est que les élèves retiennent comme valeur essentielle le respect des religions, et la tolérance envers les croyants. Allez donc leur expliquer, comme le faisait Samuel PATY, le droit de critiquer, ou de caricaturer toute croyance ou idéologie ?

C’est là qu’il faut aborder la partie pédagogique de l’ouvrage : « un outil et des conseils ». Disons-le tout net : on est ici en désaccord sur la théorie… mais en accord sur la pratique ! Expliquons-nous.

Stéphane AUROUSSEAU propose un jeu pédagogique (« memory ») qui aborde « le fait religieux » sous 5 formes (christianisme, islam, judaïsme, hindouisme, bouddhisme) ET l’athéisme. C’est incontestablement préférable à l’œcuménisme monothéiste qui domine actuellement dans l’enseignement. Mais c’est une approche réductrice de la liberté de conscience, limitée ainsi au droit ou d’avoir une religion, ou d’être athée. C’est faire peu de cas de la diversité des 55% de Français qui, selon les sondages, se disent incroyants : peu sont véritablement athées ; beaucoup agnostiques, davantage sans doute indifférents. Comme, par définition, l’incroyance ne se réclame que d’elle-même, il en existe autant de formes que d’individus concernés. Par ailleurs, si certains « cultes » (pas tous) ont des « ministres » et des « responsables associatifs », dans notre République laïque, « les incroyants » n’ont évidemment ni « responsable », ni « représentant ». Quelques-uns seulement se regroupent en associations, d’ailleurs moins bien traitées que les « cultuelles ». Présenter « l’athéisme » comme l’alternative à 5 religions est donc critiquable théoriquement.

Et pourtant, en pratique, on applaudira les interventions de Stéphane AUROUSSEAU. D’abord parce qu’il fait éclater le cadre rabougri de « l’enseignement de fait religieux », et ne s’appuie sur celui-ci que pour faire découvrir la laïcité. Approuvons au passage la méthode : la laïcité proprement dite (la loi de 1905) n’est abordée qu’après 70 minutes d’interventions et de jeu((On se permettra néanmoins de s’interroger sur le minutage de l’intervention, peut-être difficile à tenir par tous et partout -mais il faut voir en pratique.)). Présenter ce qui est devenu « une contrevaleur » pour la plupart des élèves demande progressivité et pédagogie.

Et puis, au risque de se faire taxer de « pédagogisme », on peut trouver que la personnalité de l’intervenant reste essentielle pour la transmission. Du moins ce qu’il en donne à voir – y compris en pointant lui-même certaines de ses propres erreurs-, et ce qui transparaît dans les diverses remarques qu’il formule au fil des expériences relatées.

On appréciera enfin son rejet des « sirènes identitaires », y compris « LGBTQIA+ », au profit d’un universalisme rationnel et assumé. Et nous ferons nôtre sa réflexion : « Religion partout, spiritualité nulle part ».

  1. Interdisant à l’école publique le port de signes et tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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