Dans une démocratie d’opinion, le pouvoir ne peut s’imposer par un régime de terreur ; le seul moyen pour lui d’arriver à ses fins est la persuasion.
Nous tenons un exemple frappant de ce subterfuge politique avec la condamnation en règle dont fait l’objet la pratique du redoublement comme possibilité pédagogique. Étudions-en les différents arguments.

Les quatre arguments avancés contre le redoublement

1° L’argument pédagogique (ou argument sophistique) : les élèves ayant redoublé ont en moyenne des résultats scolaires moins bons que leurs condisciples au parcours scolaire fluide. Un tel argument confond sans vergogne la cause et l’effet : c’est précisément parce que les élèves sont faibles qu’ils redoublent. C’est aussi inepte que de prétendre que les malades en soin palliatif ont plus de risque de mourir que les nouveau-nés à la maternité. Autrement dit, ce n’est pas le redoublement qui fragilise l’élève, mais c’est parce que l’élève est tout d’abord faible qu’il continue d’avoir des résultats scolaires médiocres en tant que redoublant.
Certes, mais n’est-ce pas là la preuve de l’inanité du redoublement, nous rétorqueront les belles âmes ? Non pas, c’est seulement parce que l’année redoublée est arrivée trop tard : les conditions actuelles font que, le redoublement étant repoussé au maximum (par exemple, en primaire, à la fin du cycle, soit 3 ans), l’élève a le temps de sombrer bel et bien avant que, magnifique, l’institution scolaire ait même l’idée de le faire redoubler. Quand on est propriétaire, on n’attend pas que sa maison soit en ruine pour effectuer les réparations qui s’imposent d’urgence, mais on répare au fur et à mesure que surviennent les dégâts.

2° L’argument psychologique (ou argument trauma) : l’élève qui redouble sera fragilisé psychologiquement ; il envisagera son redoublement comme une sanction. Dans ces conditions anxiogènes, mieux vaut qu’il passe dans la classe supérieure avec les lacunes qui sont les siennes ; le maître de l’année suivante l’aidera individuellement, ce qui lui permettra de rattraper son retard dans l’agréable compagnie de ses camarades et sans avoir été stigmatisé. Cela nécessitera de la part du futur maître une pratique ubiquiste d’enseignement : il lui faudra être là tout en étant ailleurs, un peu avec ses élèves ordinaires mais aussi un peu avec tous ses non-redoublants.
Cet argument, proche de la faribole, montre en creux l’importance accordée au psychologue dans notre école lénifiante, et quasiment sa surreprésentation dans la décision finale du redoublement. Ainsi, dans certaines communes, le psychologue doit donner son avis (pas encore son accord, mais c’est tout comme) sur la nocivité ou non du redoublement proposé. Imaginerait-on un malade sur le point d’être opéré à qui l’on conseillerait les services apaisants d’un psychologue pour étudier de conserve s’il est pertinent ou pas qu’il soit opéré du cœur, lui grand cardiaque, même si cette opération risque d’être traumatisante ? De toute façon, c’est oublier ce que Platon, en sa République, nous laisse entendre au sujet du savoir : apprendre, comprendre que l’on a faux et pourquoi, c’est se libérer de ses propres chaînes d’ignorance, libération bouleversante.

3° L’argument géographique (ou argument du septentrion) : alertés par les différentes enquêtes PISA, nos destructeurs de l’école républicaine n’ont à la bouche que louanges pour ce qu’ils présentent comme l’eldorado finlandais, pays bienheureux où les élèves ne sont pas notés et ne redoublent pas, preuve que la notation et le redoublement n’ont aucune vertu pédagogique. Inversement, cela signifierait que l’absence de redoublement impliquerait de fait de meilleurs résultats scolaires chez les élèves. Or le Portugal est un contre-exemple éclairant : on n’y redouble pas et pourtant les élèves ne sont pas si brillants que cela…

4° L’argument financier (ou argument du ladre) : si le redoublement a aujourd’hui si mauvaise presse, c’est d’abord et avant tout parce qu’il coûte cher. Il implique en effet qu’un élève reste une année supplémentaire à l’école. Le redoublement a parfois été, par le passé, un moyen de relégation pour les élèves dont l’institution ne savait que faire. Réduction de coûts oblige, c’est désormais l’inverse qui est vrai : c’est le passage automatique qui permet de se défaire des mauvais élèves ou des perturbateurs. La cynique règle qui est aujourd’hui appliquée est la suivante : faire passer les élèves quel que soit leur niveau dans la classe supérieure pour qu’ils sortent le plus rapidement possible du système scolaire.
L’argument financier oublie que l’éducation nationale, outre d’être une obligation d’État, est également un service public, c’est-à-dire un service qui n’a nullement en vue le profit et qui ne compte pas ses efforts ni ses sous. Cela ne peut être que le fait de scélérats de mettre ainsi en balance l’émancipation de futurs citoyens et le coût qu’une telle émancipation peut avoir ! Si le profit pécuniaire est indéniable, que penser de la banqueroute symbolique que celui-ci implique : des élèves à qui on aura renié ce si beau nom, empêchés qu’ils auront été de s’élever vers un savoir infrangible.

Ces quatre arguments, comme les raisons du loup de la fable, sont faibles quoique meilleurs en apparence.

Notre État vénal ne pense qu’à une seule chose : faire des économies. Et derrière cette visée purement gestionnaire, se cache une intention politique et nauséeuse : des futurs citoyens mésinstruits seront plus faciles à berner.

Ce que cache ce travail de sape contre le redoublement comme possibilité pédagogique

Il signifie en effet :

1° Que la parole du maître – et, derrière elle, l’école comme lieu de savoir – n’a aucun poids, puisqu’un redoublement n’est maintenant que proposé. Le refus quasi systématique des parents ou des commissions d’appel statuant sur les cas pendables de redoublement fragilise le maître qui, le plus souvent, passe pour un incapable aux exigences scolaires démesurées.

2° Que l’école n’est qu’un lieu de garderie et de dressage social : on n’y apprend pas ou presque, et on forme des futurs citoyens que l’on veut tout à la fois atones et violents (pour mieux les terroriser par la suite dans un État devenu arbitraire).

3° Que l’école est par essence irrespectueuse : étymologiquement et avant d’être le mot-antienne de notre école molle, le respect, c’est regarder derrière soi ; or une école qui a pour principe le refus méthodique du redoublement est une école qui considère que la transmission des savoirs (qui sont un héritage et que nous devons faire nôtres à chaque génération) n’a aucune importance et que le présent politique peut se faire en tournant sciemment le dos au passé et à ses enseignements libérateurs.

Aussi peut-on se demander si l’acharnement de l’institution à empêcher tous les redoublements ne cache pas un acharnement contre l’instruction en tant que telle, et donc, contre l’école publique tout court.

En conséquence, l’UFAL demande instamment que les maîtres ne soient plus empêchés et que leur soit reconnue la liberté pédagogique de faire redoubler des élèves qu’ils jugent faibles, et cela sans la moindre considération financière et sans être pris dans les rets d’une politique déshonorant la République.

Et si le redoublement peut apparaître comme l’échec d’une pédagogie indifférenciée et peu soucieuse de la particularité scolaire de chaque élève, il n’en reste pas moins que reprendre (certes par d’autres moyens) ce que l’on ne maîtrise pas est la condition sine qua non pour pouvoir progresser réellement : exigence de bon sens qui a cours dans la pratique du sport et dans l’enseignement de la musique. Nous pensons qu’il est possible de trouver un moyen terme entre le redoublement-relégation parfaitement indigne de l’école de la République et le passage automatique défendu par les comptables peu scrupuleux de Bercy et les impétueux zélateurs du Pays des Nigauds, pratiques condamnant toutes deux l’élève à l’ignorance et, en définitive, à l’aliénation.

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