En 2008, 46,3 millions de personnes vivant aux États-Unis, première puissance économique du monde, ne bénéficiaient d’aucune assurance santé. L’explosion du chômage n’a pu qu’aggraver la situation : la majorité des personnes assurées le sont par l’intermédiaire de leur employeur et perdent cette couverture essentielle en même temps que leur emploi.
L’adoption par le Congrès américain, sur proposition de Barack Obama, d’une loi sur la santé a été largement présentée comme un « vote historique » visant à une couverture universelle de la population des États-Unis en matière de dépenses de santé.
Il y a loin de la coupe aux lèvres et cet article a l’ambition de remettre les pendules à l’heure.

Le système de remboursements des soins avant la « réforme »

Le système étasunien est un système à trois étages :

  • Medicare est un système national d’assurance maladie, mis en place en 1965 (sous administration démocrate de Lyndon B. Johnson), garantissant une couverture santé de base à toutes les personnes de plus de 65 ans. Il est principalement financé par une cotisation salariale, prélevée pour moitié sur le salaire versé et payée pour l’autre moitié directement par l’employeur.
  • Medicaid, également mis en place en 1965, assure une couverture santé minimale aux personnes dont le revenu ne dépasse pas un certain seuil (en général très bas). Medicaid est géré par les États, contrairement à Medicare, qui est fédéral. Les conditions d’accès et le type de couverture varient fortement d’un État à l’autre des États-Unis. Ce n’est donc pas de ce point de vue une couverture universelle.
  • Tout le reste de la population est donc soumis aux grandes firmes multinationales de l’assurance via les employeurs. Le niveau de protection sociale santé est donc directement lié aux moyens financiers et non aux besoins de santé. Le système n’était donc ni universel, ni solidaire.

Que prévoyait la « réforme » initiale ?

Même si elle n’allait pas assez loin, la « réforme » initiale de Barack Obama, initiée par la gauche du Parti démocrate (contre la droite de ce même parti !) permettait des avancées considérables :

  • Les laboratoires pharmaceutiques auraient dû négocier les prix de leurs médicaments avec une nouvelle agence fédérale ;
  • la durée des brevets exclusifs des médicaments pharmaceutiques devait être ramenées de 12 à 7 ans ;
  • la loi aurait permis d’importer, par exemple du Canada, le même médicament si celui-ci, et c’est largement le cas, était moins cher ;
  • les firmes multinationales de l’assurance auraient eu un concurrent nouvellement crée : un régime public d’assurance santé. Ce point créait une base d’appui pour l’évolution future ;
  • il devait y avoir création d’une nouvelle agence fédérale de réglementation des primes d’assurance.

Les lobbies se sont chargés d’éliminer tout cela au nom du dogme de leur religion économique et financière, à savoir la concurrence libre et nécessairement faussée.

Que reste-t-il dans la « réforme » ?

En fait, il reste peu de chose :

  • Les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants d’appareils médicaux devront payer une surtaxe. Celle-ci sera d’environ 90 milliards de dollars sur dix ans. Ce qui est dérisoire pour une industrie qui travaille avec une marge de 30 % pour un chiffre d’affaires annuel global de 750 milliards de dollars. Sans tenir compte que l’arrivée de plus de 20 millions de nouveaux « clients » vont augmenter ce chiffre d’affaires calculé avant la réforme.
  • Dans chaque État se mettront en place des plates-formes ou les offres des firmes multinationales des assurances seront mises en concurrence.
  • 20 à 30 millions d’habitants supplémentaires des EU pourront avoir une couverture minimale servie par les firmes multinationales de l’assurance.

Les lobbies pharmaceutiques, des appareillages médicaux et des assurances ont eu une influence considérable et ont donc dénaturé la « réforme » initiale. Même certaines grandes entreprises étasuniennes auraient souhaité qu’un système fédéral puisse mettre en place des mécanismes de contrôle des coûts. Rien n’y fit.
Il est à noter que les lobbies pharmaceutiques, des appareillages médicaux et des assurances ont eu le soutien de la National Federation of Independant Business (regroupant les patrons des PME et commerçants des EU) qui ne voyait là qu’un impôt déguisé pour augmenter les charges des PME et des petits commerces.

Quelle est la position des militants états-uniens de la gauche pour l’égalité sociale ?

Bien évidemment, dans ce gigantesque déploiement de forces réactionnaires, la position de l’association « Physicians for a National Health Program » (Médecins pour un programme national de santé) qui regroupe 17 000 médecins aux États-Unis n’a pas pesé comme nous aurions pu le souhaiter. Cette association lutte depuis des années pour la mise en place d’une assurance santé publique, nationale, garantissant à toute la population une couverture complète de ses dépenses de santé.
Écoutons les propos de cette association qui résume la position de nos amis étasuniens de gauche pour l’égalité sociale (Otherworlds, de nombreux syndicats d’infirmières, etc.).

« Cette nouvelle législation ne va pas éliminer les racines du problème : une industrie de l’assurance privée mue par la recherche du profit. Elle va au contraire enrichir encore davantage ces compagnies d’assurance et renforcer leur pouvoir. Cette loi va contraindre des millions d’Américains à acheter aux assureurs privés de mauvais produits [assurantiels]et elle conduira au versement de vastes montants des deniers publics à ces compagnies. Le battage médiatique qui a entouré cette nouvelle loi sur la santé est démenti par les faits :

  • Environ 23 millions de personnes resteront sans assurance ces neuf prochaines années. Cela aura pour conséquences 23 000 décès par an qui auraient pu être évités [avec une couverture universelle]et une somme incalculable de souffrances.
  • Des millions de membres de la classe moyenne seront mis sous pression pour acheter des polices d’assurance santé commerciales. Celles-ci leur coûteront jusqu’à 9,5% de leur revenu, mais ne couvriront en moyenne que 70 % de leurs dépenses de santé, les laissant exposés au risque d’être ruinés s’ils sont sérieusement malades. Beaucoup trouveront que de telles polices d’assurances sont trop chères pour qu’ils puissent se les permettre ou trop coûteuses à employer, compte tenu du niveau élevé des franchises et des participations qui leur seront imposées.
  • Les compagnies d’assurances privées encaisseront au moins 447 milliards de dollars des contribuables destinés à subventionner l’achat de leurs polices d’assurance. Cet argent renforcera leur pouvoir financier et politique et, ainsi, leur capacité de bloquer toute nouvelle réforme.
  • La loi réduira de 40 milliards de dollars l’aide apportée par Medicare aux hôpitaux assurant des services de base accessibles aux non assurés. Cela menacera les soins dispensés aux millions de personnes restés sans assurance.
  • Les personnes couvertes par le biais de leur employeur resteront prisonnières des réseaux de prestataires de soins limités auxquels leur assurance donne droit ; elles feront face à des coûts croissant et à une érosion continue des prestations assurées. Beaucoup, voire la plupart, devront progressivement payer des impôts sur les prestations dont ils bénéficieront à mesure que le coût des assurances augmentera ». Pour comprendre cela, il faut comprendre que : «  La plupart des personnes assurées pour leur santé aux États-Unis le sont par le biais de leur employeur. Les systèmes de managed care, en particulier les réseaux de soins HMO (Health Maintenance Organization), sont généralisés dans ce cadre : l’assurance ne donne alors accès aux prestations que d’un nombre (très) limité de médecins ou d’hôpitaux (il n’y pas de libre choix du médecin). Par ailleurs, jusqu’à maintenant, les couvertures santé offertes par les entreprises étaient défiscalisées. La loi adoptée prévoit de les imposer à l’avenir à partir d’un certain montant. »

« Les coûts de la santé continueront à prendre l’ascenseur, comme l’expérience faite dans l’État du Massachusetts [sur lequel la nouvelle loi est basée]l’a largement démontré (l’État du Massachusetts avait introduit en 2006 une loi rendant obligatoire la conclusion d’une assurance santé. Cette obligation se retrouve au cœur de la loi adoptée le 22 mars 2010).

  • La régulation des assurances tant vantée – à savoir l’interdiction faite aux assureurs de refuser la couverture à quelqu’un sur la base de son état de santé – est criblée de failles, qui sont la conséquence du rôle central que les assureurs ont joué dans la formulation de la loi. Il sera ainsi possible d’imposer aux personnes plus âgées des cotisations jusqu’à trois fois plus élevées que celles demandées aux plus jeunes. De même, les assurances couvrant majoritairement des femmes salariées pourront imposer jusqu’en 2017 des cotisations plus élevées et définies en fonction du sexe.
  • Les droits des femmes en matière de reproduction sont encore davantage érodés, suite à l’interdiction faite à ce que des prestations d’assurance couvrent des frais de santé liés à des interruptions volontaires de grossesse.

« Il n’était pas inévitable qu’il en soit ainsi. Les mesures positives contenues dans cette loi, comme le renforcement du financement des centres de santé communautaires, auraient pu être mises en œuvre en tant que telles.

De même, l’extension de la couverture garantie par Medicaid – un programme sous financé, qui assure aux pauvres des soins en dessous des standard – aurait pu être décidée séparément, accompagnée de mesures fédérales pour améliorer la qualité des prestations de ce programme.

Mais, au contraire, le Congrès et l’administration Obama ont chargé les Américains d’un paquet coûteux, comprenant : l’obligation coûteuse de s’assurer individuellement, de nouveaux impôts sur les plans d’assurance dont bénéficient les salariés, un nombre incalculable d’arrangements très avantageux pour les assurances privées et les grandes firmes pharmaceutiques et, enfin, le maintien d’un système fragmenté, ne fonctionnant pas, insupportable sur la durée et qui pèse aujourd’hui si lourd sur la santé et sur l’économie.

L’adoption de cette loi correspond à des considérations politiques et pas à celles d’une solide politique de la santé. En tant que médecins, nous ne pouvons pas accepter cette inversion des priorités. Nous recherchons des remèdes ayant fait leurs preuves et qui aident effectivement les patients, pas des placebos.

Un remède [aux problèmes actuels]est bien connu. Tôt ou tard, notre nation devra adopter un système d’assurance santé national et unique, un Medicare amélioré et couvrant toute la population. Seule une assurance unique peut garantir une couverture universelle, complète et accessible à toutes et à tous.
En remplaçant les assureurs privés par un système de financement public et rationalisé, notre nation pourrait épargner chaque année 400 milliards de dollars de coûts administratifs, qui sont autant de gaspillage inutile. Cela suffirait pour offrir une couverture santé à toutes les personnes qui ne sont pas assurées aujourd’hui et pour améliorer la couverture de celles et ceux qui ont déjà une assurance, sans avoir à augmenter d’un seul centime la dépense globale des États-Unis pour la santé.

Enfin, seul un système avec un seul payeur permet de disposer d’outils efficaces pour contrôler les coûts : achats en gros, honoraires négociés, budgets globaux pour les hôpitaux, planification des investissements.

Les sondages montrent que deux tiers du public soutiennent une telle approche. Un sondage récent révèle que 59 % des médecins américains sont favorables à une action publique pour mettre en place une assurance santé nationale. La seule chose qui manque pour le réaliser, c’est la volonté politique.
Les principales mesures de la nouvelle loi n’entreront en vigueur qu’en 2014. On pourrait conseiller d’attendre pour voir comment ces réformes se développeront. Mais nous ne pouvons pas attendre, ni nos patients. Les enjeux sont trop élevés.

Nous nous engageons à poursuivre notre combat pour le seul remède équitable, financièrement responsable et humain, à notre gabegie en matière de santé : une assurance santé unique et nationale, une version amélioré et valable pour toutes et tous de Medicare. » (Traduction A l’Encontre)

Que faire ?

Il existe aujourd’hui une aspiration mondiale pour dégager la protection sociale du dogme économique et financier. Nous devons donc travailler à une solidarité internationale visant à séparer les systèmes de protection sociale des sociétés civile de marché. De ce point de vue, les modifications intervenues dans les systèmes de santé en Équateur, au Venezuela, en Colombie, au Paraguay, ne peuvent pas nous laisser indifférents.
Pour cela, convient-il de soutenir partout les combats pour l’égalité sociale en matière de santé et de protection sociale financé par la solidarité et non par la charité. Le mot d’ordre doit rester celui du Conseil national de la Résistance de 1944 en France :« à chacun selon ses besoins, chacun doit y contribuer selon ses moyens ».
Sans doute serait-il nécessaire d’accroître les solidarités entre les structures internationales anciennes ou nouvelles (Forum social mondial pour le droit à la santé, People’s Health Movment (PHM), etc.) avec les structures nationales de lutte contre les politiques néolibérales en matière de santé et de protection sociale. Mais cela demande bien sûr une mobilisation financière et un nombre d’hommes/heures plus grand.
Mais parallèlement à cela, ne devrait-on pas combattre dans chaque pays les propositions réactionnaires régressives portées par des organisations se présentant comme des organisations progressistes ? Un seul exemple parmi d’autres, en France, va-t-on continuer à tolérer que la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF), main dans la main avec ses deux autres compères assurantiels de l’Union nationale des organisations complémentaires à l’assurance-maladie (UNOCAM), nous présente leur proposition régressive réactionnaire de Priorité santé mutualiste (PSM) qui n’est rien d’autre que la reprise du système étasunien ancien de « managed care », en particulier des réseaux de soins HMO (Health Maintenance Organization) dont nous avons parlé ci-dessus ?

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