Le 19 novembre, l’Assemblée nationale a inscrit à son ordre du jour dans le cadre d’une niche parlementaire l’examen d’une proposition de loi « relative au droit de finir sa vie dans la dignité » signée par 120 députés socialistes.
Les représentants du peuple vont enfin pouvoir discuter en séance plénière de la légalisation de l’euthanasie, il faut donc saluer l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée Nationale. Fait remarquable, alors que nous sommes confrontés aux méfaits d’un gouvernement qui légifère souvent au gré des faits divers, ce débat aura lieu en dehors d’une période où les esprits sont secoués par une « affaire » qui déchaîne les passions comme il y en a eu plusieurs ces dernières années.
Mais avant même que ce débat ne débute, les protagonistes concèdent que la proposition n’a aucune chance d’aboutir. Alors faut-il se contenter de se réjouir de ce tout petit pas vers la reconnaissance d’un droit qui ne semble pas près d’être reconnu, celui de mourir dans la dignité ? Poser ainsi la question, c’est y répondre : non bien entendu.

La proposition de loi qui sera examinée est déjà la 6e portant sur ce sujet déposée au cours de la législature actuelle, par des députés de l’opposition mais aussi de la majorité, et une 7e a été déposée le 5 novembre par un député… socialiste qui n’a pas signé la 6e.
Non, il n’y a rien de réjouissant à voir avorter une occasion de voir évoluer notre législation alors qu’il s’agit d’un sujet qui concerne de près ou de loin, un jour ou l’autre, une majorité de Français.
Et que pensent-ils les Français ? Un premier sondage commandité par l’ADMD1 cette année révèle que 8 6% des sondés sont favorables à ce que « l’euthanasie soit dans certains cas autorisée en France, lorsqu’une personne atteinte d’une maladie incurable en phase terminale la réclame ». Pour mieux évaluer ce large assentiment en le replaçant dans le contexte actuel, un second sondage a été réalisé qui montre que 75 % des sondés sont « favorables à ce que des euthanasies soient pratiquées, même si elles ne sont pas autorisées par la loi, lorsque des personnes atteintes d’une maladie incurable en phase terminale le réclament ». Il n’y a pas photo !

Pourquoi une question qui rencontre un tel assentiment dans l’opinion n’arrive-t-elle pas à franchir le cap législatif ?
Les raisons sont multiples :

  • les députés sont de moins en moins issus du « peuple » et donc de plus en plus déconnectés des évolutions de la société ;
  • les lobbys conservateurs et réactionnaires sont toujours puissants et mobilisés sur les questions de société ; en l’espèce, le lobby catholique est de loin le plus actif ;
  • les périodes de crise ne sont pas les plus propices aux grandes réformes sociétales ;
  • le débat est systématiquement centré sur la fin de vie en lien avec une pathologie et non sur la dignité et la liberté ;
  • les médecins sont moins enclins que le reste de la population à légaliser l’euthanasie, ils ont pour vocation de conserver et rétablir la bonne santé, d’apaiser les souffrances, pas de donner la mort ; pourtant ils sont nombreux à avoir pratiqué une ou des euthanasies pour leurs patients, et plus de 2 000 d’entre eux ont courageusement revendiqué ce geste.

Une situation bloquée
La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Léonetti, a représenté une avancée mais s’est arrêtée au milieu du gué (cf. l’analyse en l’annexe du Rapport d’Orientation 2007 de l’UFAL).
A la suite de cette loi, la situation s’est figée autour des éléments suivants :

  • actions de lobbying des « pro » et des « anti » euthanasie : à quelques jours du débat à l’Assemblée Nationale, ont peut ainsi voir le président de l’ADMD (qui revendique plus de 47.000 adhérents) multiplier les déclarations de satisfaction, tandis que l’Alliance pour les droits de la vie, association anti-avortement, anti-pacs et anti-euthanasie créée par Christine Boutin (ministre caution de Sarkozy auprès de la droite catholique, débarquée du gouvernement en juin dernier), fait signer un « appel aux responsables des partis politiques » qui leur sera remis le 17 novembre ;
  • blocage du débat autour d’un braquage des points de vue, notamment entre libres penseurs et croyants, alors que les sondages cités ci-dessus montrent que le clivage n’est pas aussi net dans la société ;
  • relance du débat (sans avancées) à l’occasion d’affaires médiatisées (Vincent Humbert et le Docteur Chaussoy, le docteur Laurence Tramois et l’infirmière Chantal Chanel, Chantal Sébire – , c’est à dire dans des circonstances peu propices à un débat de qualité ;
  • prépondérance de la parole du monde médical.

Nous posons l’hypothèse que la situation n’évoluera pas ou très lentement si elle reste sur ces bases.
Plus généralement, les grandes avancées législatives sociétales ne se font pas en adoptant la stratégie des petits pas. Il faut quitter le domaine du compassionnel et de l’émotion, qui ne fait que braquer les positions antagonistes et aboutit à l’inaction, pour se positionner sur celui des principes, qui permet le vrai débat, de trancher et d’avancer. Imagine-t-on que pour interdire la peine de mort, on ai procédé par des petits pas législatifs en l’interdisant sélectivement tout d’abord (par exemple en excluant les crimes sexuels sur mineurs), pour aboutir enfin à une interdiction complète ?

Le malaise du monde médical face à cette question est réel et compréhensible. Il faut donc sortir ce débat du cadre strict de la médecine, et donc du cadre strict de la fin de vie en relation avec des maladies graves et incurables qui entraînent des souffrances qui ne peuvent être soulagées. Si on veut bien admettre que ce dont il s’agit, c’est la liberté du choix de la mort digne, quelle qu’en soit la raison (bien entendu, la maladie représente la grande majorité des cas, mais il faut inclure aussi les demandes de suicides assistés pour raisons autres que médicales), alors le problème n’est plus un problème « médical », mais une question de société, et alors les médecins, qui ont certes une place particulière, ne sont plus qu’une unité de la société et leur place n’est plus centrale dans le débat.

Respecter la dignité, c’est défendre la liberté
Dans son rapport d’orientation 2007, l’UFAL s’est prononcé « pour le droit à une mort digne », et réaffirme ainsi sa participation au combat pour obtenir enfin le droit de mourir dans la dignité.
Dès lors, et pour éviter toute polémique qui n’aurait pour résultat que de déplacer l’objet du débat, il faut expliquer ce que l’on entend par « dignité ». En effet, comme toujours, les mêmes mots peuvent se voir utiliser dans des sens forts différents selon ceux qui les emploient.
Pour les catholiques par exemple, la dignité subordonne la liberté et l’égalité, et réside dans des droits personnels, ce qui est en totale opposition avec les valeurs républicaines que nous promouvons, et avec les Droits de l’Homme et du Citoyen, que nous défendons.
Avec cette conception, il ne reste plus qu’à un groupe de pression dogmatique, d’essence religieuse ou non, à imposer un contenu à cette dignité pour prétendre défendre l’intérêt des individus au nom de valeurs censées s’imposer à tous. Toutes sortes de dérives peuvent dès lors s’imaginer. Tel groupe fera pression pour restreindre la liberté de certains au nom de la dignité (les handicapés mentaux par exemple), voire en supprimer d’autres (les souffrances liées à certaines pathologies incurables sont intolérables, « abrégeons » les !). Tel autre groupe justifiera l’enfermement des femmes de sa communauté pour que leur dignité soit respectée, c’est-à-dire les soustraire aux regards des hommes.
Il est donc nécessaire de rappeler ce que recouvre la dignité, et d’affirmer que nul ne doit pouvoir définir et imposer sa conception de la dignité de l’être humain aux autres en dehors d’un cadre démocratique à visée universelle. La dignité de l’Homme concerne l’humanité dans son ensemble. Il paraît donc logique que la réflexion s’organise dans un cadre international et démocratique. Ainsi, des amorces de définition ont été formulées dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 (ONU) la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de 1997 (UNESCO, reprise par l’ONU en 1998) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000.
Les fondements de la notion de dignité ont été posés par Kant. Seule la conscience morale garantit à l’homme sa dignité, et ses agissements ne doivent pas contrarier l’universalité. Or Rousseau nous a enseigné que cette universalité ne pouvait découler que d’une volonté générale. La question est donc : sommes-nous collectivement responsables de la dignité d’autrui ? Le point de vue kantien fonde la dignité sur l’interdiction de voir en l’autre un moyen. La dignité réside dès lors dans l’autonomie et la promotion de l’autonomie de la personne. Si l’exercice de la liberté doit se faire dans le respect de la dignité de chacun, la détermination de cette dignité doit se faire dans le respect de l’autonomie de chacun. La dignité est une valeur intrinsèque, elle ne se négocie pas, elle ne s’achète pas, car elle relève de ce qui n’a pas de prix. Elle se respecte.
Ce sont donc les conditions d’accès à ce respect qui doivent être au coeur du débat. Et en défendant le respect de la dignité, c’est donc bien la défense du respect de la liberté et du libre-arbitre qu’il faut viser. Alors, peut-être, nous pourrons avancer.

  1. Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité []

Président de l'Ufal nationale, vice-Président de l'UDAF de Gironde.

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