Mondialisation techno-marchande

L’assurtech : le golem assurantiel de la Startup Nation

Durant la campagne de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron annonce son souhait de faire, s’il est élu, de la France une nation de startups en cinq ans

On allait voir ce qu’on allait voir, la France, grâce aux startupeurs premiers de cordée, allait devenir un leader mondial des nouvelles technologies en général, des « bio tech », des « fin tech », des « legal tech », des « civic tech », de l’intelligence artificielle et du numérique en particulier[1].

Yann Le Pollotec initiateur des « états généraux de la révolution numérique » décrivait que « Loin de la magie supposée de la « Silicon Valley », rappelons ce qu’est une « startup », c’est-à-dire en français moderne : une entreprise qui démarre. Une « startup » est une entreprise qui n’a pas encore de modèle économique et qui trouve des financements basés sur une spéculation sur la réussite commerciale d’innovations technologiques dont elle est censée être porteuse. Une « startup » se doit de lever un maximum de fonds financiers en faisant exploser son volume d’affaires, en particulier en maintenant des coûts bas pour assurer le plus haut niveau de rentabilité possible. Pour cela, sous la férule d’un « CEO » et plus érigé en gourou au pouvoir dictatorial, on exploite des armées de stagiaires, d’auto-entrepreneurs et de salariés fortement sous-payés au regard des heures effectuées. En France l’objectif réel des fondateurs de startups est d’empocher un maximum d’aides publiques tout en pratiquant l’« optimisation fiscale » (sic) afin de payer un minimum d’impôt, et en cas de réussite de se faire racheter sa technologie au prix fort par un grand groupe. Il ne s’agit en rien de bâtir une entreprise durable et encore moins de contribuer à lutter contre le chômage ou de participer au bien commun d’une nation ».

En avril 2021, selon un classement Statista, la France compte moins de licornes (startups valorisées à plus de 1 milliard de dollars) que ses concurrents allemand et britannique. La France est en sixième position avec 19 licornes à peu près viables loin derrière les 487 entreprises américaines du secteur.

Autant dire que la Startup Nation s’apparente plus à une « failed nation » (état failli)….

C’est ce qu’illustre la mort annoncée de Luko un récent produit de cette Startup Nation dans l’assuretech[2], ce nouvel épisode de la supercherie techno-marchande qui prétend remplacer les êtres humains par des algorithmes et des beaux « templates » pour faire de l’assurance. Ces machins de l’assuretech ne tiennent que par d’incessantes levées de capitaux. Le plus connu « Alan » est obligé d’aller régulièrement se recapitaliser sur les marchés financiers étrangers. Ces levées de fonds leur permettent d’exercer du dumping sur les cotisations tout en dénigrant commercialement les compagnies d’assurances ou mutuelles plus anciennes.

Alan creuse ses pertes, passant entre 2021 et 2022 de 60,5 à 72,4 millions d’euros. Cet indicateur a toujours été assumé par le néo-assureur au titre de son développement (« Nous restons confiants dans l’atteinte de la rentabilité à horizon 2025 », soulignait d’ailleurs dans les colonnes du Figaro CEO Jean-Charles Samuelian début 2023) et est mis en parallèle de la croissance bien supérieure des primes acquises assurantielles, passant de 81 à 146,6 millions d’euros (soit une progression de 82%).

Pour 2022, toutefois, cette dégradation des pertes « résulte de la progression des dépenses liées au développement du groupe, notamment de la masse salariale (NDLR : Alan comptait 511 salariés fin 2022) et des coûts de développements informatiques.

Et en ce qui concerne la gestion des ressources humaines, les salariés sont prévenus que chez Alan le Code du travail, les conventions collectives et les négociations annuelles obligatoires ne sont qu’un détail. À croire, que l’un de leurs premiers investisseurs et dirigeants Guillaume Sarkozy ex-numéro 2 du MEDEF et fier délocalisateur de la branche textile française, a dument imprimé son style pour assurer les profits des actionnaires d’Alan.

Si on résume : 258 millions d’€ de chiffres d’affaires, pertes en 2023 de 89 millions d’€, mais l’entreprise est valorisée à 2,7 milliards d’€ après la dernière levée de fonds de 185 millions d’€.

Depuis sa création, Alan a donc été obligé de lever plus de 400M€ auprès d’investisseurs de premier plan, comme l’anglo-américain Index Ventures, le singapourien Temasek, les Américains Coatue et Ontario Teachers Pension Plan. Le néoassureur peut se targuer de respecter les contraintes réglementaires européennes inscrites dans la directive Solvabilité II en reconstituant ses marges de solvabilité par ces apports de fonds financiers.  Alan assure qu’il sera rentable en 2025 et qu’il rompra donc avec un cycle d’exploitation pour l’instant structurellement déficitaire. En attendant, dans sa course au développement sur un marché de l’assurance santé globalement déficitaire pour tous les assureurs et hyper concurrentiel, il n’assure rien en fonds propres puisque tout est réassuré chez le suisse Swiss Ré, l’américain GEN Ré et le français CNP assurances. 

Il y a bien une bulle Alan estime un banquier. « Une valorisation de près de 3 Md€ reflète le potentiel de valeur d’Alan à terme, même si elle peut paraître élevée à l’instant T dans le contexte actuel, au regard de son chiffre d’affaires encore limité et du fait que la société ne soit toujours pas rentable, estime pour sa part Joy Sioufi, associé chez GP Bullhound. Cela témoigne du fait que les investisseurs privés ont toujours de l’appétit pour les leaders en forte croissance. Pour certains, ils peuvent encore séparer la valorisation long terme des péripéties des marchés d’actions publiques. »[3]

Et c’est à cette entreprise 100 % digitale dont l’agressivité commerciale et la sous-traitance des risques assurantiels ne sont rendus possibles que par le bon vouloir de fonds spéculatifs, que l’Etat français a confié la complémentaire santé des 3000 personnels de l’Assemblée nationale.

La Start-up Nation se devait d’offrir une vitrine à ce Golem de l’assurance.

Furent donc évincées la MGEN et la MNT toutes deux mutuelles du code de la mutualité membres du Groupe Vyv qui quelles que soient les critiques qu’on puisse leur faire, sont des organismes à but non lucratif non capitalistes car appartenant à leurs cotisants français.

Pierre-André Taguieff indiquait dans « Résister au bougisme »[4] que l’idéologie dominante désormais planétaire est structurée comme une utopie messianique : son contenu central est la croyance que la mondialisation néolibérale ou libre-échangiste, transfiguré par les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » est à la fois inéluctable et bonne en elle-même, et constitue à ce titre une méthode de salut – la méthode de salut ! – pour l’humanité. » L’assurtech se présente en sauveur de l’assuré social. Les geeks de la startup Nation qui se sont engouffrés dans l’opportunité font preuves, comme l’écrit Taguieff d’intolérances et de répugnances d’une nouvelle classe qu’ils pensent constituer. Ainsi les assurés sociaux qui refuseront de s’adapter à la bonne nouvelle de l’assurtech seront dénoncés et disqualifiés comme passéistes, frileux, rigides, crispés, voire réactionnaires. Et toute rébellion face à cette dictature techno-marchande sera jugée archaïque.

L’auteur de ces lignes a eu une impressionnante conversation avec une jeune consultante qui se gaussa de l’application mobile forte pratique que met sa mutuelle à la disposition de ses adhérents. Dans la startup Nation, l’aspect et l’esbrouffe comptent beaucoup plus que le service vraiment rendu. 

Pourtant le vieux monde de la mutualité et même de l’assurance obéit à tout un tas de directives prudentielles qui sécurisent la protection sociale des populations. Les cotisations santé des assurés sociaux ne devraient d’ailleurs jamais être mises en jeu à la bourse ou sur les marchés financiers.

Tout cela finira très mal. Le mirage d’un monde sans humains dirigés par des geeks hautains s’évanouira…

Comment dès lors ne pas être d’accord avec le projet du regretté Yann Le Pollotec : « Notre pays n’a pas besoin de devenir une « startup nation » pour le seul profit parasitaire de quelques grands groupes capitalistes, il doit simplement faire nation avec et pour tout son peuple ».

Depuis toujours l’UFAL refuse la disparition orchestrée de la Sécurité sociale. L’assurtech est la démonstration caricaturale de la transformation en marchandise de la protection sociale et de l’accès aux soins. Ne plus cotiser à une complémentaire santé faisant le jeu du capital et de son marché est toujours plus nécessaire pour agir pour une sécu remboursant 100 % des soins utiles et nécessaires.

Nicolas Pomiès

[1] La novlangue de la star-up nation aime les mots en langue anglaise qui font plus « in » que ceux de la langue de Molière [2] A l’instar des Fintech, on nomme Assurtech les startups du monde de l’assurance. Les Assurtech s’appuient sur les nouvelles technologies pour innover et proposer de nouveaux modèles et produits d’assurance. [3] https://www.argusdelassurance.com/tech/assurance-sante-alan-des-doutes-sur-un-modele.202707 [4] Résister au bougisme, Démocratie forte contre mondialisation techno-marchande Editions Mille et une nuits 2001

Membre du Bureau national et DPO de l'UFAL

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