Initiée par la ministre de la Santé Marisol Touraine, la négociation sur l’encadrement des dépassements d’honoraires des médecins a abouti à la signature, le 25 octobre 2012, d’un accord entre l’Assurance Maladie et trois syndicats représentatifs de médecins : CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), SML (Syndicats des médecins libéraux), MG France (généralistes). L’UNOCAM, qui représente les organismes complémentaires d’assurance maladie a également décidé de parapher le document. Cet accord est plus précisément un avenant à la dernière convention médicale entrée en vigueur en 2011, laquelle définit les relations entre l’assurance maladie et les médecins pour une durée de 5 ans.

La récente négociation conventionnelle sur les dépassements d’honoraires constituait une promesse de campagne du candidat François Hollande qui avait annoncé son souhait de mettre un terme à l’inflation inquiétante des tarifs appliqués par les médecins à leurs patients. L’aboutissement de cet accord vise donc à encadrer davantage les dépassements d’honoraires et à imposer des sanctions aux médecins peu vertueux qui appliquent des tarifs exorbitants.

Ainsi, aux termes de l’accord, le montant des dépassements d’honoraires est plafonné à 2,5 fois le tarif opposable de la sécurité sociale. Au-delà de ce niveau, les médecins s’exposent à des sanctions. Toutefois, comme le précisait F. Van Rocheghem, Directeur de l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie, qui a mené les débats au cours de cette âpre négociation, les mécanismes de sanction restent encore à écrire et n’entreront en vigueur qu’à compter de début 2013.

L’accord permet en outre aux médecins de secteur 2 de signer un contrat d’accès aux soins dans lequel ils s’engagent à diminuer leurs dépassements notamment à destination des patients à revenus modestes. En contrepartie, les médecins bénéficieront d’une prise en charge d’une part de leurs cotisations sociales personnelles par l’assurance maladie.

Enfin, l’accord prévoit deux mesures nouvelles. D’une part, les patients bénéficiaires de l’ACS (aide à l’acquisition d’une complémentaire santé réservée aux patients ayant des revenus légèrement supérieurs au plafond CMU) bénéficieront de consultations tarifées sur la base du tarif opposable de la Sécurité sociale, au même titre que les bénéficiaires de la CMU.

D’autre part, l’assurance maladie s’est engagée à revaloriser les tarifs de certains actes médicaux à destination des médecins de secteur 1 — qui appliquent les tarifs de la sécurité sociale —, notamment dans le domaine de la chirurgie et de l’obstétrique. Quant aux médecins généralistes, ils verront leurs tarifs revalorisés pour les prises en charge de patients les plus complexes et ce, pour revaloriser leur rôle de proximité.

Aux yeux de l’UFAL, les termes de cet accord constituent toutefois une avancée en demi-teinte. Dans un premier temps, nous pouvons saluer cet accord qui tente de pallier plusieurs décennies de dérives tarifaires de la médecine libérale et que l’UFAL n’a cessé de combattre. Cet accord permettra sans nul doute une amélioration de l’accès aux soins des patients les plus modestes non bénéficiaires de la CMU. Par ailleurs, nous apprécions l’effort accompli en termes de revalorisation du rôle de médecin généraliste qui va dans le sens de ce que l’UFAL préconise de longue date.

A contrario, nous ne pouvons pas cacher notre déception de voir le secteur 2 une fois de plus conforté dans sa pratique que nous considérons illégitime du dépassement d’honoraire. En outre, les mécanismes de sanction restent encore à définir et seule leur mise en oeuvre permettra d’atténuer réellement le niveau des dépassements. Précisons en outre que le principe de sanctions à l’encontre de médecins qui appliqueraient des dépassements « sans tact et mesure » existe déjà : il s’agit du déconventionnement.

Rappelons que depuis 1971, la médecine de ville est régie par le principe de conventions médicales nationales négociées entre l’assurance maladie et les syndicats de médecins. Le conventionnement des médecins issu de la loi de 1971 constitue une avancée majeure du système de soins français en posant plusieurs principes essentiels qui sous-tendent depuis cette date l’exercice de la médecine de ville en France. En contrepartie de la reconnaissance du principe de médecine libérale, le conventionnement ouvre droit aux remboursements aux patients par l’assurance maladie des actes acquittés par les médecins. En outre, les conventions médicales définissent les tarifs opposables que doivent respecter les praticiens. En contrepartie de cet encadrement tarifaire, l’assurance maladie prend en charge une part non négligeable des cotisations sociales personnelles des médecins au titre de leur propre sécurité sociale.

Cependant, le conventionnement issu de la loi de 1971 a rapidement été battu en brèche avec l’apparition en 1980 du secteur 2 qui permet aux médecins de pratiquer des honoraires libres tout en restant conventionnés. Le secteur 2 emporte deux conséquences. D’une part, le remboursement des actes ne s’effectue que sur la base du tarif conventionnel (tarif de base de la sécurité sociale), le dépassement d’honoraire restant à la charge du patient peut dans ce cas représenter une somme non négligeable, prise en charge le cas échant par son assurance complémentaire. D’autre part, les médecins ne peuvent pas prétendre au bénéfice de la prise en charge de leurs cotisations sociales personnelles s’ils émargent en secteur 2.

Il va sans dire que la création du secteur 2 constitue un recul considérable de l’accès aux soins que l’UFAL n’a cessé de dénoncer. Pour autant le secteur 2 a largement prospéré puisque dans certaines spécialités médicales (ophtalmologie par exemple) il est devenu quasi-impossible de trouver des praticiens en secteur 1, particulièrement dans les zones urbaines. La pratique d’honoraires libres permise par le secteur 2 constitue indéniablement une remise en cause de l’équilibre subtil entre pratique de la médecine libérale et socialisation de l’accès aux soins garanti par la sécurité sociale. À tel point que dès 1991, l’accès au secteur 2 a été restreint et réservé aux seuls spécialistes. Trop tard, le mal était fait.

Pis, la réforme de l’assurance maladie de 2004 dite Douste-Blazy, loin de remettre en cause la pratique des dépassements d’honoraires, l’a au contraire institutionnalisée. Depuis cette date, il existe une nouvelle génération de dépassements (appelés dépassements autorisés) que n’importe quel praticien, y compris en secteur 1, peut appliquer en cas de non-respect du parcours de soins coordonné par le patient.

Malgré les intentions louables qui sous-tendent les termes de l’accord du 25 octobre 2012 en matière de renforcement de l’accès aux soins nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il constitue une énième remise en cause du principe d’unicité tarifaire des soins de médecine ambulatoire qui fragilise les plus démunis, du moins ceux ne disposant pas d’une couverture complémentaire suffisante ou ne pouvant se permettre une avance de fais parfois exorbitante.

Certes les bénéficiaires de la CMU complémentaire et désormais les bénéficiaires de l’ACS ne peuvent se voir appliquer aucun dépassement d’honoraires. Malheureusement, c’est aussi la cause principale du refus de soins que pratiquent certains médecins peu amènes à l’égard des CMUistes que nous avons vus se développer ces dernières années.

Sans remettre en cause les acquis, trop modestes à nos yeux, de cet avenant conventionnel, l’UFAL affirme qu’il ne répond qu’imparfaitement au véritable défi sanitaire auquel est soumis le pays. Dans un contexte inquiétant de croissance des inégalités et de montée en flèche de la fracture sanitaire, notre association affirme son attachement à l’unicité des tarifs conventionnels et à la disparition pure et simple du secteur 2 qui constitue un dévoiement injustifié des principes conventionnels issus de la loi de 1971.

En outre, l’UFAL considère qu’il est urgent de repenser en profondeur le principe de rémunération des professionnels de santé et de s’interroger sur de véritables modalités de rémunération alternatives au paiement à l’acte. Il s’agit de jeter les bases d’une médecine de ville salariée de haut niveau qui aurait pour ambition d’offrir une juste rémunération aux praticiens tout en revalorisant le rôle médico-social des médecins, en particulier des généralistes. Le tout dans l’intérêt des patients.

Délégué national aux questions sociales et familiales de l'UFAL, cadre dirigeant du Régime Général de Sécurité sociale, enseignant à Sciences Po Strasbourg et auteur de l'ouvrage : « Pour en finir avec le Trou de la Sécu » éd. Eric Jammet.

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