Article paru dans l’Humanité le 7 mai 2014 :

L’objectif des 500 000 prend l’eau

Plus le gouvernement rappelle l’objectif de bâtir 500 000 logements par an d’ici à 2017, plus on s’en éloigne. Deux ans après l’élection de François Hollande, les chiffres n’ont jamais été aussi bas. Décryptage.

Encore une courbe qui ne s’est pas inversée depuis le 6 mai 2012. De mois en mois, la construction de logements plonge inexorablement. Au premier trimestre 2014, les autorisations ont encore affiché un recul de 25 % par rapport à la même période en 2013, selon les derniers chiffres officiels, publiés la semaine dernière. Les constructions déjà lancées sont, elles aussi, en chute libre avec 322 321 mises en chantier enregistrées sur les douze derniers mois. Soit les plus bas niveaux depuis 2009, année noire de la construction.

L’objectif d’atteindre 500 000 logements par an d’ici à 2017, répété inlassablement par le gouvernement, ressemble de plus en plus à un vœu pieu. Ce chiffre n’a pourtant rien d’irrationnel. Il correspond à un véritable besoin dans notre pays. D’après une étude du Commissariat général au développement durable, la France devrait compter 30 % de ménages supplémentaires à l’horizon 2050, pour des raisons démographiques et de multiplication des divorces. « Chaque année, il faut donc entre 330 000 et 360 000 logements pour ces nouveaux ménages », explique Patrick Doutreligne, directeur de la Fondation Abbé-Pierre. Et 150 000 en plus pour combler le déficit accumulé ces vingt dernières années, estimé entre 800 000 et 1 million de logements. « Aujourd’hui, en étant sous la barre des 330 000, on laisse la pénurie s’aggraver au lieu de la résoudre. »

L’analyse détaillée des mises en chantier est encore plus inquiétante. Car cette statistique englobe 35 650 constructions sur des bâtiments déjà existants. Il n’y a donc eu, dans les faits, que 286 671 constructions neuves sur les douze derniers mois… Et ce chiffre ne prend même pas en compte les destructions de logements. Si elles baissent à mesure que s’achèvent, sur le terrain, les programmes de rénovation urbaine, il y a encore eu 11 000 permis de démolir délivrés en 2012… « En réalité, la croissance du parc français, qui comprend autour de 30 millions de logements, est proche des 1 % par an », décrypte Jean-Claude Driant, directeur du Lab’Urba. Même lorsqu’il a été dopé par un plan de relance, des prêts à taux zéro ou des dispositifs de défiscalisation, lors des dernières années Sarkozy, cet accroissement n’a pas dépassé les 340 000 unités par an, en 2010. Un record inégalé…

« Il manque une volonté au plus haut niveau de l’État »

Plus l’on répète, au sommet de l’État, « l’objectif des 500 000 », plus l’on s’en éloigne. Et cette tendance risque de s’aggraver encore. « Avec le nombre de communes ayant basculé de gauche à droite aux municipales, les politiques locales en faveur du logement risquent de s’effacer derrière les questions de sécurité, la priorité donnée à la propriété privée ou à la relance économique, analyse Patrick Doutreligne. Sur le terrain, de nombreux bailleurs sociaux ont déjà été convoqués par des maires fraîchement élus pour réétudier les projets lancés par leurs prédécesseurs. » En Île-de-France, le chamboule-tout institutionnel autour de la métropole du Grand Paris risque, quant à lui, d’accentuer l’attentisme des acteurs locaux, encore très loin des 70 000 logements manquant dans la région capitale.

Une réalité qui va encore s’assombrir sous l’effet de la très mauvaise conjoncture économique, aggravée par l’austérité. « Qu’on le déplore ou pas, la construction de logements repose sur les épaules du marché et du secteur privés », explique Jean-Claude Driant. Les maisons individuelles, qui représentent la moitié des nouvelles constructions, sont parmi les catégories qui s’écroulent le plus, avec une chute de 40 % au premier trimestre 2014. « Sur ce point, on est revenu aux chiffres de 1992 et 1993, déplore Christophe Hordé, responsable de la commission Logement à l’Union des familles laïques (Ufal). Sauf que, depuis cette époque, la population est passée de 55 millions à 65 millions. » Quand elles ne sont pas freinées par l’incertitude économique, « les familles sont de plus en plus nombreuses à être touchées par le chômage, les suppressions de postes, les réductions de salaires et la baisse du pouvoir d’achat ». Et les promoteurs privés hésitent à lancer des programmes qu’ils ne pourront vendre pour cause de prix trop élevés.

Du côté du monde HLM, les mises en chantier n’ont pas baissé. Les agréments pour de nouvelles constructions ont même augmenté de 95 000 à 106 000 logements en 2013, grâce au pacte signé avec l’État et à l’emprunt contracté auprès du 1 % logement. Il faudra, néanmoins, attendre 2014, 2015 ou 2016 pour la pose des premières pierres… S’il joue un rôle anticrise indéniable, le logement social ne peut pas compenser l’écroulement du secteur privé. Dans ce contexte, les simplifications des normes de construction, lancées par Cécile Duflot et mises en oeuvre par Sylvia Pinel, peuvent elles suffire à inverser la tendance ? Cette réforme est censée faire baisser de 10 % les prix de construction, espère le ministère du Logement. Mais ces mesures techniques, qui évitent de s’attaquer au prix du foncier, ne suffiront pas, selon la Fondation Abbé-Pierre. « Il manque une volonté au plus haut niveau de l’État, explique Patrick Doutreligne. Le taux de logements sociaux imposé par la loi a été augmenté et des cessions de terrains publics ont été facilitées… Mais ces mesures ont été appliquées trop lentement. Devant les députés, Manuel Valls a déclaré que le logement était sa deuxième priorité. Mais cela reste du discours, sans que cela suive au niveau des moyens. »

« Pour bâtir, il faut de l’argent », renchérit Christophe Hordé. Les banques et les assurances doivent être contraintes d’investir une partie de leurs actifs dans le logement, plutôt que dans les actions, préconise l’Ufal. Qui demande aussi un grand plan national de constructions basé sur un emprunt auprès de la Caisse des dépôts et consignations et un renforcement des aides à la pierre. « On paie le choix politique des années 1970, qui a privilégié les aides personnalisées au logement, dont le coût, autour de 16 milliards, augmente avec les prix de l’immobilier, explique Christophe Hordé. C’est un non-sens. » Le risque, avec moins de 330 000 constructions, c’est « de casser l’appareil de production » de logements, alerte Patrick Doutreligne. « C’est pourtant, ajoute-t-il, un secteur économique dont les emplois ne sont pas délocalisables. Béton, sable, verre… Nous avons à disposition toutes les matières premières et les leaders mondiaux dans ce domaine sont des entreprises françaises ! »

 

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