Dans un communiqué du 29 mars, la Fédération nationale de la Libre Pensée (LP) s’en prend à la proposition de constitutionnaliser la loi de 1905, soutenant qu’elle serait inutile et dangereuse. La critique de la proposition 46 de François Hollande, constitutionnalisant aussi « son contraire : la survivance du Concordat en Alsace-Moselle » est justifiée. En revanche, la LP a tort d’affirmer que « la constitutionnalisation des deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905 n’apporterait pas de garantie nouvelle par rapport à la situation actuelle. »

Elle se fonde pour cela sur une analyse juridique très insuffisante, et de la loi, et de la jurisprudence. Passons sur la protection de la liberté d’association, qui n’est que marginalement en question. Mais le principe de liberté de conscience (constitutionnalisé comme « principe fondamental reconnu par les lois de la République ») ne saurait à lui seul définir la laïcité, telle qu’instaurée par la loi de 1905.

Complétons donc bien fraternellement les références jurisprudentielles de la LP. Le principe de laïcité lui-même est constitutionnel (art. 1er de la Constitution). Or la jurisprudence du Conseil Constitutionnel (comme celle du Conseil d’Etat) ne lui confère qu’une valeur réduite à la « sécularisation » (simple distinction entre les pouvoirs publics et les religions) : obligation de neutralité religieuse des pouvoirs publics ; supériorité des règles d’ordre public sur l’expression des convictions individuelles « même religieuses1 ». Nous avons à plusieurs reprises montré que cette interprétation réductrice était largement développée par le Conseil d’Etat (CE) -voir le fameux rapport Machelon de 2006.

Est dès lors « oublié » le principe de séparation, énoncé par l’art. 2 de la loi de 1905 (interdiction de reconnaissance et de subventionnement publics des cultes). Pourtant, avec la liberté de conscience et la liberté de culte, c’est l’autre pilier de la laïcité (cf. jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme). Or il n’est considéré que comme un simple principe à valeur législative, qui peut donc à tout moment être remis en cause par une autre loi. Ainsi, cinq décisions du CE du 19 juillet 2011 élargissent les dérogations à l’interdiction de subventionnement des lieux de culte et entérinent notamment l’atteinte à la laïcité constituée par l’ordonnance du 21 avril 2006 sur les « baux emphytéotiques administratifs ».

Comment la LP, qui est pourtant à l’origine de plusieurs recours gagnants en faveur de la laïcité, peut-elle croire que « certaines juridictions administratives » auraient la capacité de remettre en cause la jurisprudence du CE – leur juge de cassation ? C’est juridiquement inconséquent.

En fait et en droit, l’existence, sur le territoire de la République (Alsace-Moselle et plusieurs collectivités en Outre-mer), de régimes de « confusion » entre les pouvoirs publics et les cultes (reconnaissance et subventionnement) fait obstacle, tant qu’elle perdure, à la reconnaissance du principe de séparation. Elle sert de prétexte aux plus hautes juridictions pour affirmer que la laïcité constitutionnelle actuelle n’inclut pas l’interdiction de reconnaître et de subventionner les cultes.

Or plus récemment, par une décision Société Somodia n° 2011-157 QPC du 5 août 2011, le Conseil Constitutionnel vient d’ériger aussi en « principe fondamental reconnu par les lois de la République » le maintien en vigueur des dispositions particulières à l’Alsace-Moselle. Il y aurait donc déjà constitutionnalisation du régime concordataire (notamment) ? Cependant le CC indique des limites bien intéressantes : ces dispositions valent seulement à titre provisoire, tant qu’elles n’ont pas été abrogées ou harmonisées avec le droit commun, et sous condition que d’éventuelles mesures d’aménagement n’accroissent pas les différences de traitement (avec le reste du territoire), ni n’élargissent leur champ d’application.

Constitutionnaliser une bonne fois pour toutes les principes des articles 1 et 2 de la loi de 1905 reste bien la solution la plus simple, dont devra découler la disparition des régimes particuliers des cultes (Alsace-Moselle, et collectivités d’outre-mer concernées) par harmonisation ou abrogation, que suggère le Conseil Constitutionnel lui-même. Ainsi, le principe de séparation reprendrait enfin sa place dans la définition constitutionnelle de la laïcité.

Fallait-il pour autant ouvrir ce débat dans le cadre de l’élection présidentielle –ce que personne ne demandait ? La critique de la LP sur le « piège mortel » ainsi tendu à la laïcité est justifiée. De même, on ne peut qu’approuver son exigence d’abrogation des lois scolaires anti-laïques -pas seulement la loi Debré, mais aussi la loi Carle, dont le candidat socialiste a fait savoir qu’il n’y toucherait pas.

La pétition « LAICITE SANS EXCEPTIONS », lancée par ReSPUBLICA, n’en est que plus justifiée : elle échappe au « piège mortel » de la « constitutionnalisation qui tue », en s’attaquant d’abord à l’obstacle principal, à la fois pratique et juridique, empêchant l’application universelle du principe de séparation de la loi de 1905.

Mais il est vrai que ce combat ne doit pas faire perdre de vue celui, ouvert dès 1959, contre des lois scolaires anti-laïques, d’autant plus redoutables que le secteur de l’éducation nationale est aujourd’hui sinistré…

  1. Cf. décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 : l’art. 1er de la Constitution « interdit à quiconque de se prévaloir de ses convictions religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les rapports entre collectivités publiques et particuliers ». []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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