Par une décision du 9 juin 2015, le TA de Nice a annulé une décision de l’école Jules Ferry de Nice, exigeant de Mme D. qu’elle enlève son voile musulman pour accompagner une sortie scolaire le 6 janvier 2014. En effet, le juge a estimé que cette décision n’était pas correctement motivée en droit. Tels sont les faits : ils ne justifient en rien, ni les cris de joie poussés par les communautaristes1, ni les protestations au nom de la laïcité.
En revanche, ils montrent dans quel état d’incertitude se trouvent les responsables d’établissements, livrés à eux-mêmes par des directives contradictoires. Ainsi, selon la ministre, Mme Vallaud-Belkacem, la circulaire ministérielle permettant d’interdire les signes religieux aux parents accompagnateurs s’applique… mais ce n’est pas la règle, seulement l’exception !

L’UFAL se permet donc quelques conseils aux membres de la « communauté éducative ».

Ce qui a été sanctionné : l’erreur de droit

Interrogée par écrit (en vue d’un contentieux ?) par une mère d’élève voulant conserver son voile en accompagnant une sortie scolaire, la direction de l’école lui a répondu : « Nous n’avons malheureusement plus le droit d’être accompagnés par les mamans voilées. Vous ne pourrez nous accompagner que si vous l’enlevez. » Ce qui est au moins inexact.

Depuis quand l’école n’aurait-elle plus un tel « droit », qui, contraire à l’obligation de neutralité scolaire, n’a jamais pu exister ? Passons sur l’adverbe « malheureusement »… bien malheureux ! La formulation, surprend par sa maladresse… mais acceptons le droit à l’erreur. Quelles que soient les intentions ayant présidé à une telle réponse, il faut le dire nettement : tout vient de la situation totalement embrouillée par la ministre, que nous avons dénoncée dès l’origine.

Que faire en pratique en un tel cas ?

Le TA de Nice, considérant (à la suite du Conseil d’Etat) les parents accompagnateurs comme de simples « usagers », dit que « les restrictions à la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service. »
Or le texte particulier existe : c’est la circulaire ministérielle du 27 mars 20122 (« circulaire Chatel »), toujours en vigueur, la ministre actuelle ayant refusé de l’abroger. Il précise :
« Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. »
Préventivement, il faut donc d’abord modifier le règlement intérieur de l’établissement comme indiqué.
Faut-il rappeler combien il est imprudent d’écrire des mots individuels, quand on a affaire à des interlocuteurs souvent procéduriers ? Si des contestations s’élèvent, il vaut mieux alors recevoir les personnes, et tenter de les convaincre oralement. En cas d’échec, un écrit ultérieur mentionnera la date du dialogue (très utile, en cas de contentieux), et rappeler simplement le règlement intérieur de l’établissement, conforme à la circulaire du 27 mars 2012.

Pour aller plus loin juridiquement

Les « considérations liées à l’ordre public » sont fort délicates à invoquer, sauf comportements ouvertement provocateurs : ceux-ci peuvent exister, mais les attaques contre la laïcité sont le plus souvent insidieuses (voir les larmoyantes campagnes sur le thème des « mamans voilées »).
En revanche, celles relatives au « bon fonctionnement du service » méritent d’être développées. Et ce ne sont pas les textes qui manquent.
En effet, il s’agit de sorties scolaires, donc de l’exercice même du service public de l’enseignement. Or la Constitution (Préambule de 1946) qualifie l’enseignement public de « laïque ». Le « bon fonctionnement » d’un tel service implique dès lors nécessairement le respect du principe de laïcité.
Mais il existe d’autres textes, de valeur à peine inférieure à la Constitution, et supérieure à la loi : les Conventions internationales signées par la France, dont celle relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 dont l’art. 14 dispose : « Les Etats parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ». Ce texte, invoqué lors de l’affaire « Baby-Loup »3, permet à une crèche privée d’exiger la neutralité religieuse de ses salariés en contact avec les enfants… A fortiori pour l’école publique !
Le cadre juridique actuel autorisait la ministre de l’Education nationale à édicter « une seule règle pour l’ensemble des établissements, qui n’admette aucune exception », comme le demandait l’UFAL dans un communiqué du 9 novembre 2014. C’est la voie contraire qui a été choisie, instaurant la plus totale incertitude juridique pour les enseignants, exposés à la diversité des pressions, voire des provocations communautaristes locales.

Faut-il dès lors légiférer ?

En admettant qu’une majorité y soit prête, on suggèrera ici qu’un texte de loi devrait porter sur le statut des parents, et non sur l’extension de la loi du 15 mars 2004 (qui concerne les élèves, « libertés en voie de formation », et non les adultes).
En effet, il n’existe actuellement aucun texte qui reconnaisse aux parents accompagnateurs de sorties scolaires le statut juridique de « collaborateurs occasionnels (ou bénévoles) » du service public. Ce serait pourtant le seul moyen de leur étendre directement une obligation de neutralité religieuse analogue à celle qui s’impose à tout agent public.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, quoiqu’excessivement sensible à la question des libertés religieuses, admet la neutralité dans un environnement de service public éducatif, et a toujours validé les décisions prises par la France en application de ses lois scolaires laïques.
Il est naïf de ne pas voir que l’intégrisme politico-religieux cherche avant tout à remettre en cause la neutralité de la sphère publique, véritable noyau dur de la République laïque. L’UFAL suivra avec intérêt les propositions de loi susceptibles de remédier à l’affaiblissement actuel de l’école publique.

  1. Collectif contre l’islamophobie en France : « décision d’une portée historique » qui « devrait faire jurisprudence » []
  2. Bulletin officiel du 29 mars 2012, p.28, « Orientations et instructions pour la préparation de la rentrée 2012 », Annexe, point 10, sous le titre « Garantir la laïcité ». []
  3. Devant la Cour d’appel de Paris, référence implicitement validée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation dans l’arrêt définitif Baby-Loup du 24 juin 2014. []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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