La chaîne LCP a présenté dimanche 9 mars un film estimable de G. Le Bonnin sur « Les Francs-Maçons et le pouvoir ». Le fait que le bien-pensant Télérama ait gratifié d’un signe « moins » ce documentaire ne suffit pas à le sauver complètement : on y relève en effet des erreurs historiques sur un sujet plus essentiel que « le complot maçonnique » : la laïcité.

Ainsi, à propos de la période 1904-1905, après avoir très justement évoqué « l’affaire des fiches » et la chute du ministère Combes en 1904, le résumé historique et les images qui l’illustrent se mélangent allègrement les pinceaux. La loi de 1905 est en gros présentée comme la revanche du « petit père Combes », alors que celui-ci fut longtemps hostile à la séparation, lui préférant le contrôle des cultes par l’État — comme Bonaparte ! La politique anticléricale de Combes (comme quoi l’anticléricalisme ne se confond pas avec la laïcité…) s’est traduite, il est vrai, par l’expulsion des congrégations — mais en 1904. Or le commentaire et les images superposent sans discernement sous la même étiquette « laïcité » 1904 et les congrégations, 1905 et la séparation, et même 1906 et la « querelle des inventaires » des biens du clergé. Le point commun, c’est qu’on voit des forces de l’ordre s’opposer à des religieux, entourer une église ou décrocher un crucifix. Cette présentation télescopée (seule l’image de « la République anticléricale » restera dans les mémoires des téléspectateurs) ne facilite ni la compréhension de l’époque, ni les « leçons de l’histoire » pour aujourd’hui.

En outre, dans le même film, l’historien Roger Dachez présente la loi de 1905 en soutenant que son titre intitulé « Police des cultes » (le titre V) maintient un contrôle policier de l’État sur les religions. Interprétation téméraire d’un auteur que l’on a connu mieux inspiré, notamment dans sa démystification des « origines » de la Franc-Maçonnerie. Car le terme « police » (en ce sens tombé en désuétude) a longtemps désigné en français administratif et juridique tout ce qui justement permet les libertés, en réglementant et organisant leur expression (comme le veut l’article 4 de la Déclaration des droits de 1789). Pas de liberté sans « ordre public déterminé par la loi » (ibidem, art. 10). En l’espèce, le titre V de la loi de 1905 dispensait de toute déclaration préalable les « réunions de célébration des cultes », et prévoyait les dispositions (et les sanctions, c’est exact) permettant d’empêcher leur utilisation à des fins politiques1. Il interdisait les pressions « communautaristes » sur les individus, et rendait le ministre du culte responsable de l’ordre public dans l’enceinte cultuelle. De plus, ce qu’on ne doit jamais oublier, il instaurait un délit de « trouble ou désordre » causés dans un lieu de culte2. Pas de quoi crier « n… la police », on le voit !

Faire respecter l’histoire et les textes fondateurs de la laïcité n’est en rien un pieux « devoir de mémoire » : c’est la condition d’une meilleure compréhension des enjeux d’aujourd’hui et des efforts qui ne doivent jamais se relâcher pour la faire vivre.

  1. Éviter de se déclarer associations cultuelles de la loi de 1905 permet aujourd’hui à certains cultes d’échapper à cette mesure : sermons politiques voire recrutements pour des passages à l’acte ne peuvent y être empêchés. []
  2. En Alsace-Moselle, où la loi de 1905 ne s’applique pas, c’est l’article 167 du Code pénal allemand qui punit ce genre de délit. L’art. 166 du même code, également en vigueur sur place, punit le « délit de blasphème » : c’est celui-ci qu’il convient d’abroger sans attendre (procès de Charlie Hebdo). []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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