La « Journée burkini » organisée par l’association « Smile 13 » dans un parc aquatique pour des femmes des quartiers Nord de Marseille n’aura pas lieu. Dommage, ça s’annonçait bien :

[« AWRA » : parties du corps à cacher par les musulmans – notion aussi variable qu’extensible((Ainsi, pour les salafistes, devant des hommes et des mécréant.e.s, seuls visage et mains peuvent être vus : Jilbab obligatoire !)) !]

Une bigoterie aussi effarante ramène la France plus de 3 siècles en arrière (Molière, Le Tartuffe, 1669 : « Couvrez ce sein, que je ne saurais voir »). En revanche, l’annulation de cette joyeuseté par le club aquatique avec l’aval du maire pourrait bien se retourner contre la laïcité !

La République garantit la liberté des réunions religieuses qui ne troublent pas l’ordre public !

Il s’agit d’une manifestation privée, dans un lieu commercial privé : la neutralité religieuse ne peut donc aucunement être invoquée (contrairement aux activités organisées par des personnes publiques). En accordant la liberté de culte, et en reconnaissant la liberté de religion((Par la signature, en 1974, de la Convention européenne des droits de l’homme, qui inclut (art. 9-1) la liberté d’exprimer sa religion en public, sauf restrictions légales, légitimes dans une société démocratique, et proportionnées à leur but (art. 9-2).)), la République a renoncé à se prononcer sur le contenu des croyances ou la qualité des pratiques, à condition que l’ordre public soit respecté. De même que les cathos intégristes peuvent célébrer des messes en latin avec prêtres en soutane et laïcs((Avec un « C », comme il convient, quand il s’agit des chrétiens non clercs. Les laïQUEs sont des partisans de la laïcité…)) en chasubles frappées de la croix, les bigotes musulmanes ont bien le droit de se réunir affublées comme elles le souhaitent. C’est une liberté fondamentale, c’est la République.

En l’espèce, les atteintes à l’ordre public (menaces et insultes) viennent des adversaires de la manifestation, non de ses organisateurs : elles ne peuvent donc être invoquées contre l’exercice d’une liberté publique. Le sénateur-maire des Pennes-Mirabeau a renoncé à interdire l’évènement – ce qui eût sans doute été jugé illégal. Mais l’annulation de la journée par le club aquatique, annoncée le 9 août en accord avec le maire, a tout d’une « discrimination pour refus de fourniture d’un service à raison de la religion », prévue et sanctionnée par le code pénal((Discrimination, art. 225-1 et 225-2, dont la sanction peut aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.)).

En revanche, Smile 13 doit jouer franc-jeu ! Car quand sa trésorière déclare au Monde : « Nous sommes une association culturelle et sportive, pas cultuelle. », elle joue sur les mots. Mais l’exemple vient de haut, puisque c’est ce que fait régulièrement… le Conseil d’Etat, pour autoriser le financement public de lieux de culte, ou de manifestations religieuses((CE, 17 février 2016, subvention de la région Rhône-Alpes à la cathédrale d’Annaba (Algérie ; 4 mai 2012 : subventions de la ville de Lyon, du département du Rhône, et de la même région à une manifestation de l’association vaticane « Sant’ Egidio ».)) ! L’objet de Smile est « d’encourager les femmes à s’engager dans des actions communes et à contribuer à leur épanouissement notamment sur la vie sociale et culturelle, les loisirs et les sports. Mais également pour favoriser l’entraide et la solidarité entre femmes. » Sauf qu’il ne s’agit pas de n’importe quelles femmes…

Car Smile est l’acronyme de « Sœurs Marseillaises Initiatrices de Loisirs et d’Entraide ». Or « sœurs » exclut les non-musulmanes – pour ne rien dire de l’obligation de respecter la « awra ». Quant au site de Smile, il commence ainsi ses annonces : « As salam ‘alaykum wa Rahmatulahi wa Barakatu ». Pour les dons, « mobilisation de la oumma » (communauté des croyants). Les références religieuses sont omniprésentes, jusque dans les activités proposées : atelier cuisine Ramadan, cours d’arabe du Coran à la mosquée, piscine avec « tenue adéquate » (décrite plus haut !)  – « mais soyez à l’aise quand même (sic) on est là pour se détendre » (défense de rire !)… Bref, il s’agit d’une association religieuse fermée.

Oui, c’est du communautarisme prosélyte. Oui, c’est d’une bigoterie rétrograde et militante. Et pourtant, rien de tout cela n’est interdit par la loi ! Smile 13 a donc saisi le « Collectif contre l’islamophobie en France » (émanation des Frères Musulmans((Organisation internationale dont l’objectif, depuis 1928, est le rétablissement du califat, rappelons-le…)) ), qui n’aura aucun mal à démontrer devant le juge l’illégalité dont elle est victime. Résultat probable : une victoire de plus offerte au militantisme islamiste ?

Amis laïques, manifestons, dénonçons, expliquons, donnons de la voix, mais ne permettons pas qu’on touche aux libertés publiques. Ne comptons pas sur la loi pour faire la chasse au communautarisme : il est à combattre, mais on ne peut l’interdire.

L’égalité hommes-femmes dans l’espace public n’est pas (encore) protégée par le droit !

Oui mais, que penser de l’image de la femme ainsi mise en avant ? Les activités proposées, loin de lui permettre de « se détendre », visent à l’enfermer dans des assignations sexuées à prétexte religieux (ignorées de la majorité des musulmanes en France), à l’interdire aux regards des hommes (sauf son mari), à la réduire à raser les murs et à s’exclure de la vie sociale voire professionnelle : tout esprit progressiste ne peut que se révolter au nom de l’émancipation et de l’égalité femmes-hommes !

Certes : mais il ne peut l’exprimer qu’à titre privé. Car aucune loi ne permet en la matière la mise en œuvre du principe –pourtant constitutionnel- de l’égalité entre hommes et femmes. Pire : le Conseil d’Etat a estimé que « le principe d’égalité des hommes et des femmes n’a pas vocation à être opposé à la personne elle-même, c’est-à-dire à l’exercice de sa liberté personnelle.((« Etude relative aux possibilités juridiques d’interdiction du port du voile intégral », adoptée le 25 mars 2010.))»

Position saluée par la CEDH, dans son arrêt du 1er juillet 2014 Sas c. France, relatif à la loi du 11 octobre 2010 dite « loi burqa » : « un État partie ne saurait invoquer l’égalité des sexes pour interdire une pratique que des femmes – telle la requérante – revendiquent dans le cadre de l’exercice des droits que consacrent ces dispositions, sauf à admettre que l’on puisse à ce titre prétendre protéger des individus contre l’exercice de leurs propres droits et libertés fondamentaux. »

On peut donc interdire à quiconque d’obliger une femme à se voiler, mais non empêcher celle-ci de le faire si elle dit le désirer. La question de savoir si ce désir est réellement sincère, libre et éclairé, ne sera évidemment pas posée : la « servitude volontaire » est ainsi protégée par le droit((De même que le droit de se livrer à des pratiques sadomasochistes – en privé, du moins. Mais si un individu était promené en laisse dans la rue par son/sa partenaire, même de son plein gré, bénéficierait-il de la même tolérance que les bigotes ensevelies ?)).

L’autre question taboue est celle de la pression ainsi entretenue sur les autres femmes, habitant les mêmes quartiers, ou supposés appartenir à la même communauté ethnique ou culturelle – autrement dit du prosélytisme militant que constitue cet affichage religieux extrême. Qu’il soit muet, de l’ordre du « passage à l’acte » ne change rien à l’affaire : l’objet est bien de concrétiser la oumma, par l’affichage collectif de signes auto-discriminants distinguant les « croyants » (supposés) des « mécréants ». La « liberté de religion » sert de paravent à une entreprise de monopolisation religieuse de l’espace social.

Or la CEDH, dans l’arrêt cité, n’a admis la « loi burqa » que de justesse, rejetant explicitement l’argument de l’égalité hommes-femmes (comme celui de l’ordre public), et ne retenant que « la préservation des conditions du “vivre ensemble” en tant qu’élément de la “protection des droits et libertés d’autrui” ». Ce « vivre ensemble » est une réponse bien faible((Comme l’ont fait observer les deux juges d’opinion dissidente (partisans, eux, d’une condamnation de la France).)) aux questions posées !

Citoyens des Etats signataires de la Convention, encore un effort pour être réellement féministes ! En 2016, au nom usurpé d’une « liberté de la femme de s’afficher inférieure » (et de chercher à l’imposer aux autres), on ne peut réaliser par la loi une véritable égalité hommes-femmes dans la vie sociale et l’accès à l’espace public((Au sens de la loi du 11 octobre 2010 : les voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public.)). Voilà un combat international à mener !

Protégeons d’abord la sphère publique, où même le comportement des usagers est réglementé !

Face à l’impasse du droit (car l’évolution des juridictions internationales, CEDH et CJUE((Cour de justice de l’Union Européenne, encore plus favorable à la liberté de religion que la CEDH.)) tend à privilégier la « liberté de religion »), que faire ? Certainement pas réclamer, comme le font la droite et l’extrême-droite, par pure posture politicienne, la multiplication des interdits et restrictions aux libertés – qui ne tiendraient pas cinq minutes devant un juge, même français.

Si le principe de laïcité ne s’applique qu’à la sphère publique, c’est là qu’il faut le défendre ! Car tout le monde a affaire, un jour ou l’autre, aux autorités et aux services publics. Or, comme l’a admis la CEDH à propos de notre hôpital public, c’est « un lieu où il est demandé également aux usagers, qui ont pourtant la liberté d’exprimer leurs convictions religieuses, de contribuer à la mise en œuvre du principe de laïcité (…) ; la réglementation française « y fait primer les droits d’autrui, l’égalité de traitement des patients et le fonctionnement du service sur les manifestations des croyances religieuses »((Cour européenne des droits de l’homme, 26 novembre 2015, Ebrahimian c. France)).

Ah, que Mme Vallaud-Belkacem n’a-t-elle réfléchi de la sorte, à propos des adultes accompagnateurs de sorties scolaires, au lieu de proclamer que « l’autorisation des signes religieux est la règle, l’interdiction l’exception » – formule juridiquement inexacte((Parce que les activités scolaires publiques, constitutionnellement laïques, font justement « exception » à la liberté religieuse.)), mais qu’affectionne l’Observatoire de la Laïcité… Les « mamans voilées » vont-elles pouvoir accompagner les sorties scolaires à la piscine en « Jilbab de bain » même si leurs filles y restent interdites de voile ? On nage… dans l’absurdité.

Pourtant, quelle meilleure occasion « d’intégration » (pour qui croit que c’est la question posée((A tort : par exemple, la trésorière de Smile 13 est une Française convertie…)) ), que d’apprendre à ôter ses signes religieux le temps d’un accompagnement scolaire ? La laïcité, ce n’est pas « il est interdit de porter un voile », mais « vous pouvez remettre le voile à la sortie ! » ; c’est l’apprentissage d’une « gymnastique civique » entre l’espace réglementé du service public, et l’espace civil, libre. La loi du 15 mars 2004 réglementant le port des signes religieux par les élèves de l’école publique a contribué à cette pédagogie pour des milliers de jeunes filles : qui peut aujourd’hui le nier ?

Mais aussi, quel meilleur obstacle au développement de l’intégrisme à base communautariste (le califat dans certains quartiers ?) que la préservation rigoureuse de la laïcité des services publics, qui s’applique y compris aux usagers comme l’a rappelé le Conseil d’Etat lui-même((Etude du 19 décembre 2013 demandée par le Défenseur des droits)) : « Pour les usagers, qui ne sont pas soumis à l’exigence de neutralité religieuse, des restrictions à la liberté de manifester des opinions religieuses peuvent résulter, soit de textes particuliers, soit de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service ». Restrictions que la Haute Assemblée applique explicitement aux « parents d’élèves qui participent à des déplacements ou activités scolaires » – passage caviardé par l’Observatoire de la laïcité, et ignoré par Mme Vallaud-Belkacem !

En résumé, au lieu de multiplier les interdictions dans l’espace civil (la loi « burqa » a marqué la limite), sachons utiliser pleinement les restrictions qui s’appliquent dans la sphère publique, y compris aux usagers – et, bien sûr, exiger des agents et des services la neutralité la plus absolue. Vigilance d’autant plus nécessaire que même cette neutralité des agents publics français pourrait un jour être contestée au nom de la directive européenne contre les discriminations((Directive 78/2000 du 27 novembre 2000, transposée (incomplètement) en droit français par la loi du 27 mai 2008. Voir allusion de l’avocate générale Sharpston devant la CJUE le 13 juillet 2016 dans l’affaire (pendante) Asma Bougnaoui (salariée voilée licenciée par une entreprise informatique française).))

Quant à l’émancipation de la femme, elle n’a surtout rien à attendre des activités communautaristes qui visent juste à aménager sa prison. Au lieu de la formation des imams, c’est de la relance de l’éducation populaire tournée vers l’ensemble de la population, à commencer par les « quartiers », que devraient se préoccuper les pouvoirs publics – or les vivres ont été coupés aux associations de terrain pour motifs budgétaires. Et les partisans de l’égalité femmes-hommes ne devraient-ils/elles pas s’investir davantage((« Davantage », car bien des associations le font déjà, mais en nombre et avec des soutiens insuffisants.)) dans l’éducation populaire, et auprès des femmes qui en ont le plus besoin – voilées ou pas ? C’est dans les consciences individuelles que se perd ou se gagne le combat laïque.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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