Frédérique DE LA MORENA
(Préface de Catherine KINTZLER)
LGDJ Lextenso éditions
(Se procurer le livre sur la boutique en ligne de l’UFAL)

L’auteure n’est pas n’importe qui. A la fois universitaire (Maître de Conférence en droit public à Toulouse 1 Capitole) et militante (elle fréquente depuis longtemps la Ligue de l’Enseignement), elle a siégé au défunt Haut Conseil à l’Intégration (torpillé par le hollandisme au profit de l’Observatoire gouvernemental de la Laïcité). C’est donc avec gourmandise que nous avons ouvert cet ouvrage de définition juridique du principe de laïcité, et avec enthousiasme que nous l’avons, pour l’essentiel, partagé.

Dès l’introduction, le point de vue critique et la problématique sont fixés : « La dénaturation de la laïcité républicaine est due à une valorisation du fait religieux dans la sphère publique (…) à une considération plus grande de l’Etat envers les revendications identitaires et communautaires, essentiellement de nature religieuse (…) » Bien dit : il était donc plus que temps de redéfinir le concept juridique((Ce à quoi s’est attelée également Mathilde PHILIP-GAY, de façon moins militante, mais digne d’estime, dans un Droit de la Laïcité dont nous avons rendu compte ailleurs.)).

Sur l’axe de la « frontière » est construite une problématique originale et fructueuse, en deux parties :

  • la laïcité, frontière entre sphère publique et sphère privée ;
  • les frontières territoriales de la laïcité.

Formulons d’emblée un petit regret : l’emploi du terme « sphère privée », juridiquement vide et générateur de confusions. Précisons.

Si l’expression « sphère publique » n’apparaît dans aucun texte de droit positif, elle n’en est pas moins compréhensible, et juridiquement adaptée à la laïcité – laquelle s’exerce en effet uniquement dans un espace limité : celui des collectivités, services et établissements publics (dont l’école).

En revanche, le terme « sphère privée » s’avère impropre pour définir tout le reste, ce qui ne ressortit pas à la « sphère publique ». Car cet espace, où ne s’applique pas la laïcité, est forcément illimité – au contraire d’une sphère ! Avec Catherine KINTZLER, appelons-le « espace civil », c’est clair et précis. Et ne le laissons pas réduire à son sous-ensemble de la « sphère » intime (familiale ou personnelle),.

Autre léger regret, la reprise de l’expression (que Baubérot a malheureusement réussi à imposer) « la liberté de conscience ET de culte », pour résumer l’art. 1er de la loi de 1905. C’est grammaticalement et juridiquement inexact, car cela revient à remplacer une subordination par une coordination. Relisons la loi : les deux notions sont séparées par un point, donc certainement pas coordonnées. Et celle qui vient en second (le libre exercice des cultes) – en droit, l’ordre des termes a un sens- n’est qu’une des conséquences de la première (la liberté de conscience) : elle lui est subordonnée.

A ces petites réserves terminologiques près, le livre de Frédérique De La Morena est impeccable, passionnant pour le juriste (si l’on en juge par notre exemplaire, abondamment surligné et crayonné), et fondamental pour le militant laïque.

Sur le sujet délicat de la neutralité à l’entreprise((Depuis la parution du livre, un nouvel article a été inséré dans le code du travail)) (« Laïcité et sphère privée »), nous serions ingrats de ne pas y relever, notamment, l’écho de ce que nous avons-nous-même souligné à l’UFAL :

  • les convictions laïques existent((Souhaitons à F. de la Morena que la FNLP lui épargne les vomissures dont elle nous a personnellement accablé, entre autres pour cela…)) et sont juridiquement protégées (CEDH, arrêt Lautsi c. Italie, 18 mars 2011), contrairement à ce que soutient l’Observatoire de la Laïcité de M. Bianco ;
  • le code du travail, qui ne reconnaît que les opinions politiques, syndicales, et religieuses, ne respecte ni la constitution ni les textes conventionnels (qui visent l’ensemble des « convictions ») ;
  • la défunte proposition de loi Richard-Schwartzenberg sur la « neutralité des crèches » contenait une dangereuse disposition autorisant le subventionnement public des crèches confessionnelles.

La principale qualité de Frédérique De La Morena, c’est non seulement de nous exposer rigoureusement le droit, mais de le faire vivre, en lui restituant à la fois sa dynamique et son caractère de compromis permanent plus ou moins stable. Il y fallait la vision d’une Républicaine convaincue, et d’une militante engagée. Certes, cela conduit à quelques prises de risque, mais que d’avantages, par comparaison aux trop nombreux ouvrages et traités timides ou fades – voire carrément négationnistes de la laïcité- qui encombrent les librairies.

Cela nous vaut de bons et forts moments, que seule la lecture du livre pourra vous faire apprécier. Relevons entre autres :

  • la démolition de la « laïcité plurielle » ; une claire prise de distance avec les dérives de La Ligue de l’Enseignement ;
  • le chapitre « Laïcité républicaine n’est pas tolérance », avec la citation de G. Koubi (1994) selon qui, dégagée de la tolérance, la laïcité devient « non une valeur, mais un principe » juridique – distinction que nous avons toujours défendue comme essentielle ;
  • le tacle à l’Observatoire de la Laïcité pour son soutien à l’inacceptable régime des « cultes reconnus » d’Alsace-Moselle ;
  • des développements d’un grand intérêt sur la notion de « blasphème » ;
  • la critique sévère de la constitutionnalisation manquée de la loi de 1905 par le Conseil constitutionnel, dont la décision du 21 février 2013 omet à la fois la liberté de conscience, l’interdiction de subventionner les cultes, et le principe de séparation ;
  • la critique non moins sévère de la jurisprudence du Conseil d’Etat qui « permet le contournement, voire le détournement des interdits posés par la loi de 1905 » en matière de subventions publiques aux cultes((Est cité p. 134 comme exemple de financement public annulé à juste titre (en TA et CAA) la subvention de la Région Rhône-Alpes à la cathédrale d’Annaba, en Algérie, propriété du diocèse de l’endroit. Hélas, depuis la parution du livre, le CE l’a autorisée en la rebaptisant « action de coopération culturelle internationale » !)).

(Il nous plaît d’autant plus de lire ces critiques sous une plume aussi autorisée que nous les avions nous-même formulées à l’époque de ces décisions jurisprudentielles.)

On ne peut que conseiller à tous les laïques soucieux de bien coller au droit et de comprendre ses évolutions de se jeter sur Les frontières de la laïcité. Ils y trouveront de surcroît de riches réflexions philosophiques pour alimenter leurs « convictions » : mais ce n’est pas pour rien que notre amie Catherine Kintzler a préfacé l’ouvrage.

Les frontières de la laïcité est disponible sur la boutique en ligne de l’UFAL.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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