Le « Forum de l’islam de France » (FORIF) réuni ce samedi 5 février au Conseil Economique Social et Environnemental confirme les craintes exprimées par les laïques depuis des années : une tentative néo-concordataire qui ouvre un boulevard aux islamistes infiltrés dans ses instances, comme l’UFAL n’a cessé de le dénoncer.

Le FORIF, constitué, réuni, et conclu par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, succède au Conseil français du culte musulman (CFCM), mis en place par son prédécesseur Nicolas Sarkozy en 2003. Les Pouvoirs publics n’en finissent décidément pas de rompre avec le principe de séparation, colonne vertébrale de la laïcité en France, qui interdit non seulement l’ingérence des cultes dans la sphère publique, mais l’immixtion de l’Etat dans l’organisation et le contenu théologique des religions. Or ce FORIF, sous prétexte de décentralisation, a été constitué de personnes, non pas élues par les fidèles, mais désignées par le ministère et les préfets.

Nostalgie concordataire

Certes, aujourd’hui l’Etat a officiellement renoncé à un interlocuteur unique et centralisé, qui renvoyait trop ostensiblement au modèle dit concordataire imposé par Napoléon Bonaparte aux religions protestantes, puis au judaïsme. Le FORIF est présenté comme un cadre non permanent destiné à régler avec les Pouvoirs publics les questions concrètes, autour de 4 groupes de travail : aumôneries, statut et formation des imams, application de la loi confortant le respect des principes de la République, lutte contre les actes antimusulmans. Un cinquième groupe a été promis, consacré au financement : sujet chaud. Il reste que le caractère centralisé et l’unicité du « culte musulman » (expression concordataire, qu’on le veuille ou non) sous-tendent toujours une telle organisation, alors même que la réalité de l’islam en France est essentiellement plurielle et décentralisée. La nostalgie concordataire transparait dans l’envolée lyrique finale du discours de G. Darmanin, explicitement empruntée à Bonaparte en Egypte : « Je respecte Dieu, son prophète et le Coran » -soit la « chahada ». Quand un ministre reprend à son compte une proclamation de foi, c’est que la laïcité n’est pas le projet du pouvoir qu’il représente.

Le Président de la République, grand architecte de cette construction, annonçait deux objectifs :  mettre fin à la prépondérance de « l’islam consulaire », courroie de transmission des pays pourvoyeurs d’imams détachés (Algérie, Maroc, Turquie), et empêcher la contagion de l’islamisme. La réalité en est loin.

Une influence prépondérante de plusieurs États étrangers

L’islam consulaire pèse d’un poids dominant, grâce aux grandes fédérations qu’il a constituées. Or il reste bien présent au FORIF, en la personne de  : Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, laquelle dépend étroitement de l’Algérie, Mohammed Moussaoui, président de l’UMF (Union des Mosquées de France) d’obédience marocaine(( Selon le JDD, son appartement parisien était payé par les services secrets marocains)), et, selon Le Figaro, Ibrahim Alci, président du CCMTF (comité de coordination des musulmans turcs de France) qui dépend de la Diyanet, la direction des affaires religieuses du gouvernement turc. Les Turcs du CCMTF et de Millî Görüs avaient refusé de signer la « charte des principes de l’islam de France » élaborée sous l’égide du ministère de l’intérieur. Mais Millî Görüs, soutien politique trop direct du président Erdogan, a été écartée du FORIF.

Autres réfractaires à la charte, mais retenus au FORIF, Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, et Kamel Kabtane, recteur de la mosquée de Lyon, grand ami de l’Arabie Saoudite, qui a financé l’Institut français de civilisation musulmane qu’il préside(( Mohamed Al Issa, secrétaire général de la Ligue islamique mondiale (LIM) fondée par l’Arabie Saoudite, et ancien ministre de ce pays, était présent à l’inauguration de l’institut par le ministre de l’intérieur français.))

Qu’une « quinzaine de femmes » fasse partie du FORIF ne suffira pas à faire oublier qu’en dépit des objectifs annoncés, restent incontournables les principaux représentants religieux des Etats étrangers. Pire : les mêmes peuvent en prime être liés à l’islamisme.

Le FORIF, porte ouverte aux islamistes

L’islamisme est un projet politique, qui vise à instaurer la loi religieuse – la charia – et à rétablir le califat (supprimé en 1924 par Mustapha Kemal Atatürk). Dans les pays où l’islam n’est pas majoritaire, la « charia de minorité », théorisée par les Frères musulmans, repose sur la « réislamisation des musulmans », pris en main par les islamistes, et sur la mise en place de la loi religieuse partout où c’est possible. « Séparatisme » et « communautarisme » ont fait de certains quartiers de véritables « spots » islamistes.

Outre le mouvement Tabligh « Foi et Pratique », deux grandes tendances constituent « l’islamisme de France » : les salafo-wahhabites, soutenus par l’Arabie Saoudite, et les Frères musulmans, financés par le Qatar. Les Frères sont de loin les mieux organisés, grâce à un réseau d’associations occupant tous les terrains. Se présentant comme « l’islam du juste milieu », souvent diplômés et « propres sur soi », ils infiltrent toutes les instances possibles. On les retrouvait ainsi dans chacun des camps qui se sont déchirés au sein du défunt CFCM, comme auprès de tous les prétendants à sa succession.

On aurait tort de croire à une opposition entre (méchants) salafistes et (bons) fréristes : les deux tendances se réclament exactement du même projet politique, et se côtoient au sein du « Conseil européen pour la fatwa et la recherche », fondé à Dublin, qui fut présidé par Al Qaradawi, penseur des Fréres résidant au Qatar et interdit de séjour en France.

On aurait encore plus tort de considérer que les Frères musulmans ne seraient plus dangereux, comme le soutiennent le recteur de la Grande Mosquée de Paris, ou le ministère de l’intérieur : son prédécesseur place Beauvau niait ainsi en février 2019 l’appartenance à la confrérie d’Abdelhaq Nabaoui, qui fut pourtant le relai du financement par le Qatar des institutions fréristes en Alsace((Voir Qatar papers, de C. Chesnot et G. Malbrunot, ed. Michel Lafon, 2019)). Cet ancien cadre de l’UOIF (fédération frériste), ancien aumônier national des hôpitaux, directeur de l’Ecole nationale des cadres religieux et aumôniers musulmans, déploie une intense activité pour la formation des imams en Alsace.

Tenir la formation des imams est en effet  un enjeu capital, les Frères l’ont bien compris. Outre l’Alsace, on les trouve dans l’autre institution existante : l’IESH (institut européen des sciences humaines), installé à Château-Chinon et à Saint-Denis. Le Président de la République entend que les imams soient formés en France ? Mais ils le sont déjà, et par les Frères musulmans ! Si leur théologie remonte au Moyen-Age, leur but politique est bien actuel. Les Frères sont incontournables : Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, s’est rendu à l’IESH, et préside un Conseil national des imams, aux côtés de Musulmans de France (nouveau nom de la frériste UOIF).

Ainsi, comme nous ne cessons de le dire, l’islam de France voulu par Emmanuel Macron se construit avec des islamistes à tous les étages, principalement celui de la formation des imams. Le déni officiel ne saurait masquer l’énorme risque que fait courir à la République cette opération anti-laïque.

PS. Les laïques qui déclarent soutenir le non-encore-candidat E. Macron après avoir pourfendu l’islamisme manquent pour le moins de cohérence.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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