« En même temps »… c’est plutôt sympathique

On ne va pas dire du mal d’un ouvrage qui plaide pour une laïcité sans épithète, qui cite Catherine Kintzler à plusieurs reprises, et qui suggère une position rigoureuse sur les adultes accompagnateurs de sorties scolaires. La secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes s’est associée pour l’écrire au directeur des études de la Fondation Jean Jaurès, organisme proche de la gauche du Parti Socialiste. Marlène Schiappa y reprend une partie de son discours du 9 décembre dernier, quand lui a été remis le prix laïcité du Grand Chapitre Général du Grand Orient de France. On l’en félicitera, notamment pour le lien souligné entre laïcité et droit des femmes((Un protégé de J.-L. Bianco, Asif Arif, montrant ainsi son vrai visage, le lui a violemment reproché)).

Les 68 pages de ce petit livre sont sans doute rédigées à la va-vite, voire à la serpe. Pour une vision plus approfondie et plus nuancée des positions des auteurs, on se reportera à une intéressante vidéo de la Fondation Jean Jaurès accessible sur you tube (avec Laurent Bouvet).

Mais si la hâte nuit au style, elle favorise aussi les imprécisions. Ainsi, la ministre, dans le chapitre I, qualifie à tort la République de « une et indivisible ». Or cette expression est apparue pour la dernière fois en 1848 : depuis la Constitution de 1946, la République est seulement « indivisible ». Autre flottement (p. 10), l’adjectif « laïcs » (au lieu de « laïques ») qualifiant des « militants », heureusement corrigé par le substantif « les laïques » quelques lignes après. Mais ce sont là broutilles.

On s’étonnera davantage de trouver sous la plume de Jérémie Peltier, licencié en sciences politiques, quelques inexactitudes juridiques. S’il reprend avec bonheur l’expression de Catherine Kintzler sur la « respiration laïque » qu’offre l’école publique, il mentionne à tort « la neutralité religieuse des élèves »((Les élèves jouissent de la liberté d’expression : seuls leur sont interdits les signes « manifestant ostensiblement une appartenance religieuse » ; ceux portés de façon non ostensible sont donc permis.)) (p. 29), alors que celle-ci ne s’impose qu’aux « agents de l’Etat » auxquels il les assimile par erreur (p. 36). « En même temps », on regrettera que la déplorable loi Debré soit mentionnée (p. 37) de façon neutre, au nom de « la liberté d’enseignement ». Quant aux crèches subventionnées et aux cantines scolaires (p. 38), même si l’on peut souhaiter qu’elles soient neutres religieusement, JP semble ignorer qu’elles ne peuvent être soumises aux règles du service public de l’enseignement, dont elles ne font pas partie.

L’intéressant passage sur les adultes accompagnateurs de sorties scolaires (pp. 38 et 39) est le fruit d’un compromis entre les deux auteurs, selon la vidéo mentionnée plus haut. Marlène Schiappa, à l’origine favorable au principe de l’autorisation des signes religieux, reconnaît sur ce point s’être rapprochée de son co-auteur. Evolution heureuse, mais imparfaitement retranscrite. L’ouvrage distingue d’une part « les parents » – à juste titre, car ce n’est pas en tant que « mamans » que des adultes peuvent accompagner les élèves- et d’autre part les « collaborateurs de l’Education nationale » – expression maladroite. En effet, le Conseil d’Etat((Étude du 19 décembre 2013 à la demande du Défenseur des droits.)) nie qu’il existe une catégorie de « collaborateurs occasionnels du service public » astreinte aux règles de celui-ci ; en revanche, il admet que les accompagnateurs de sorties et voyages scolaires peuvent se voir « recommander » par « l’autorité compétente » de « s’abstenir de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuse ». L’usage du terme « collaborateurs » est donc contreproductif : « adultes accompagnateurs », ou « bénévoles », suffit.

Mais au fait, à quoi vise cet opuscule ? On ne peut manquer de relever qu’y sont consciencieusement cités, outre le Président de la République – dont les vœux aux cultes s’éloignaient de la laicité – au moins 4 ministres (dont Gérard Collomb, guère à sa place en la matière !). S’agit-il d’une énième tentative macronienne d’entretenir la confusion pour « ratisser large », renforçant le rôle public des cultes et « en même temps » affichant des alibis laïques ? Ou d’une démarche sincère visant à faire peser davantage la gauche républicaine ? La prudence s’impose, même si l’on évite tout procès d’intention.

Quoi qu’il en soit, « les laïques » feront leur cette juste formule de la ministre : « la laïcité n’est pas un gâteau que l’on partage entre les différentes religions, en en distribuant un morceau aux non-croyants ».

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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