Compte-rendu de lecture

Notre ami Gérard Delfau vient d’enrichir la collection Débats Laïques qu’il dirige d’un petit ouvrage bien utile, dû à Gérard Bouchet, ancien formateur en Ecole Normale puis IUFM, élu municipal, et président de l’Observatoire de la Laïcité Drôme-Ardèche.

Editions L’Harmattan, collection Débats Laïques – 23,50€

En 48 questions (soit 50 avec l’introduction et la conclusion), il fait le tour des problèmes soulevés autour de (et par) la laïcité. Questions orientées, bien sûr, et destinées à préparer les réponses de l’auteur. C’est classique, mais très pédagogique ; jamais lourd, du fait de la brièveté de chaque réponse, et appuyé sur une documentation sérieuse : on appréciera notamment le rappel des positions de l’Eglise catholique au fil des siècles, citations précieuses à l’appui.

L’ouvrage comprend deux parties : « connaître et comprendre », et « mettre en œuvre » la laïcité. Disons-le d’emblée : on ne trouve globalement rien à redire sur ces deux parties. Ni laïcité adjectivée, ni accommodements raisonnables, ni multiculturalisme anti-universaliste ne trouvent grâce aux yeux de l’auteur, aussi ferme dans ses convictions que posé dans son expression. Le test des « parents accompagnateurs de sorties scolaires » est positif. Il est un peu dommage que la question de la neutralité en entreprise privée soit expédiée, avec une citation mal choisie de la Cour de cassation((Si l’interdiction de porter un foulard islamique dans le règlement intérieur d’un organisme privé ne constitue pas une « discrimination directe », ce n’en est pas moins une « discriminations indirecte » : mais elle peut être admise si elle correspond à « un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse »)) : mais chacun sa spécialité, après tout. En revanche, sur la laïcité scolaire, il ne manque pas un bouton de guêtre : tout est dit, sans concession, comme sans polémique stérile.

On apprécie de lire que la neutralité ne doit pas être confondue avec la pluralité, et que « la laïcité est autre chose que l’œcuménisme et la tolérance réciproque » entre religions, ce qui revient à exclure les agnostiques et les athées de toute existence civile. La question 42 est l’occasion d’une remarque subtile, et essentielle : la laïcité c’est « aucun » culte, et non pas « tous » ! En même temps, le principe de libre exercice des cultes justifie la critique du projet gouvernemental d’organisation du « culte musulman » -affaire des musulmans eux-mêmes, et non de l’Etat.

Notre critique essentielle, très sectorielle, portera sur l’usage du terme « espace public », opposé à « espace privé » (question 25). Il ne faut en effet pas confondre « l’espace public » (qui comprend, a dit le législateur, tous les lieux « ouverts au public »), dans lequel s’exercent, dans les seules limites de la loi, les libertés publiques et privées, et « la sphère publique » (collectivités, établissements et services publics), dans laquelle s’applique le « principe de laïcité ». De même, tout ce qui ne ressortit pas à cette sphère publique, et que Catherine Kintzler (citée dans la bibliographie) nomme plus justement « espace de la société civile », ne peut être réduit à l’espace familial, voire intime. Confusion juridique et, croyons-nous, philosophique, sur la portée de la laïcité et ses espaces.

Par ailleurs, on se permettra de trouver aventureuse l’idée qu’il existerait une morale dont les principes seraient « communs aux croyants et aux agnostiques » -ce que dément, dans l’ouvrage même, le rappel critique des positions –à dimension éthique- de l’Eglise sur le mariage entre personnes du même sexe ou la fin de vie. Heureusement, la référence à Kant sauve tout à nos yeux !

Autre désaccord de notre part : la question 36 est l’occasion d’une discussion –certes savante- sur l’obligation ou non du port du voile par le Coran : question oiseuse, car le droit de manifester sa religion est purement déclaratif (tous les juges en conviennent). Et un laïque n’a pas à se faire l’interprète des textes dits « sacrés ». En revanche, le caractère politique de l’offensive islamiste autour du voile, dès la fin des années 80, est à juste titre souligné. Gérard Bouchet est ouvert et cultivé, mais non naïf ! Bien inspirées sont les formules qui concluent -toujours à propos du voile- : « La servitude, même volontaire, reste une servitude. Et la laïcité n’accepte pas la servitude. »

Saluons les « jalons dans l’histoire de la laïcité » présentés en annexe, rappels historiques bien nécessaires. On regrettera tout au plus la confusion entre « Concordat » et « articles organiques », l’oubli de la soumission de l’école à l’Eglise par la loi Guizot de 1830, et celui du régime sévère des congrégations dans celle de 1901 sur les associations.

Enfin, quelques égratignures sur les patronymes demandent à être corrigées : Pierre TévAnian (p. 114, note) ; Guy Coq (et non Cocq, p. 146, note) ; rapport Clavreul (et non Chevreuil, p. 151, note) ; Martine (et non Muriel) Cerf (p. 225, bibliographie).

En tout cas, voilà une lecture qui ne nous a pas déçus, un format opérationnel, un ouvrage à recommander, qui nous montre que la laïcité reste, non seulement un cadre juridique, mais une idée philosophique et politique, une ouverture permanente au débat pour l’émancipation.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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