A l’UFAL, nous n’avons pas été les derniers à nous en prendre à« l’islamo-gauchisme ». Mais ce terme avait pour nous un sens précis. Lancé par Pierre-André Taguieff (donc, nullement par la droite) dans les années 2000, il désignait la dérive qui a conduit certains groupes d’extrême-gauche à soutenir des islamistes, auxquels ils assimilaient « les musulmans », nouveaux « damnés de la terre » selon eux. L’antisionisme des internationalistes soutenant les Palestiniens a ainsi pu servir de véhicule à un antisémitisme communautaire.

La « marche contre l’islamophobie » du 10 novembre 2019, initiée par des personnalités proches des Frères musulmans, a montré que, 20 ans après, une partie de la gauche politique et syndicale était prête, au nom de l’antiracisme, à emboîter le pas aux islamistes. L’UFAL a clairement refusé de s’associer à cette alliance contre nature.

En revanche, le terme n’est désormais plus pertinent, parce que trop restreint, pour désigner l’ensemble des dérives idéologico-politiques aujourd’hui à la mode en France, importées du « woke » ou de la « cancel culture » du progressisme américain. Racialisme, intersectionnalisme, études de genre, décolonialisme, etc., sont détournés de tout usage scientifique pour être imposés comme nouveaux standards de la « pensée correcte ». Loin d’éclairer les sciences humaines, ils servent de base à des tribunes militantes contre la République et la laïcité, à la négation de l’universalisme issu de l’humanisme et des Lumières. Cette « gangrène », à défaut d’être majoritaire, utilise l’insulte, la menace, voire la force physique, pour neutraliser les anticorps à l’Université. Ses ravages vont bien au-delà, jusque dans la formation des enseignants((« L’universalisme est une invention de vieux mâles blancs colonialistes et cisgenres », peut déclarer un professeur d’histoire de collège de moins de 40 ans, formé à l’IUFM (entretien personnel du 6 février 2021).)).

Pour combattre un mal, encore faut-il le bien nommer. Il se trouve que le terme d’islamo-gauchisme a été recyclé par la droite et l’extrême-droite, pour qui « gauchiste » n’est que l’équivalent péjoratif de « de gauche ». Cet anathème, banalisé dans les colonnes de la presse de droite, avait été repris par le ministre Blanquer à l’Assemblée : il visait un parti d’opposition de gauche, tout en adressant un signal d’ouverture à la droite((Un sondage IFOP du 19 février 2021 montre en effet que l’électorat Les Républicains est le plus sensible au « danger de l’islamo-gauchisme », davantage même que celui du Rassemblement National.)). La confusion sémantique sert l’instrumentalisation politique. Islamo-gauchiste n’est plus qu’une insulte stigmatisante, tout comme islamophobe.

Le pavé de l’ours vient d’être jeté par Mme Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, qui, à défaut de se préoccuper du sort assez dramatique des étudiants, a demandé au CNRS une « enquête sur l’islamo-gauchisme » à l’Université –l’enquêteur n’étant lui-même pas exempt de cette dérive. Ce faisant, la ministre a réussi à liguer contre elle nombre d’universitaires opposés à ce qu’ils considèrent comme une intrusion politique de l’Etat violant le principe (constitutionnel) de leur indépendance. Le mouvement d’indignation, sincère sans doute pour beaucoup, suscité par une telle bourde, couvre du manteau de l’indépendance les militants du décolonialisme, du racialisme, etc. -et en général tous ceux qui ne veulent plus d’universalisme à l’Université. Confusion contre confusion, la polémique brouille définitivement une vraie question.

Comme le reconnaît Le Monde du 19 février –pourtant très favorable aux dérives à la mode- : « Que certains universitaires militants connaissent la conclusion de leurs recherches avant de les entreprendre est problématique. Que quelques-uns confondent islamistes et opprimés l’est davantage encore. » Or ces problèmes, bien réels, non seulement ne se réduisent pas à « l’islamo-gauchisme », mais ne sauraient relever d’un contrôle politique de l’Etat sur l’Université. La pensée se combat par la pensée. Il appartient d’abord aux universitaires eux-mêmes de déconstruire par leurs travaux((Par exemple Stéphane Beaud, sociologue et Gérard Noiriel, historien, auteurs de « Race et sciences sociales : Essai sur les usages publics d’une catégorie » (Ed. Agone).)) les inepties idéologiques qui polluent la recherche. Que cette tâche soit devenue militante, au point de justifier la création d’un « Observatoire du décolonialisme » à l’Université, témoigne de la gravité de la pandémie  -laquelle ne se limite pas à des gesticulations minoritaires, quoiqu’antipathiques, mais envahit le paysage intellectuel, par effet de mode, jusqu’à interdire tout autre éclairage.

Dans l’espace civil, c’est aux militants laïques et républicains qu’il revient de contrer les activistes racialistes ou décoloniaux. Pour cela, ils ne comptent surtout pas sur les approximations contre productives de nos ministres. Montrer au doigt l’islamo-gauchisme, désormais pure invective polémique, c’est désigner une fausse cible, qui détourne les regards de la réalité : l’emprise idéologique des sectes « radicales ». Comme l’a déjà dit à peu près le CNRS « Circulez, y a rien à voir ».

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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