L’arrêté du ministre de l’Éducation nationale du 12 avril 2023 modifie en profondeur le rôle, la composition, et les compétences du Conseil des Sages de la Laïcité. Cette instance, mise en place en 2018, avait à l’origine pour mission de « préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité (…) » et de conseiller administration, responsables d’établissements et enseignants face aux difficultés rencontrées pour la mise en œuvre de ce principe.

On a pu apprécier, notamment, le Vade-mecum de la laïcité, refonte rigoureuse, par le Conseil des Sages, d’un « Livret laïcité » du ministère qui laissait beaucoup à désirer (refusant notamment toute comparaison entre « savoir » et « croyance »).

Laïcité et discriminations sont dans un bateau, laïcité tombe à l’eau.

Désormais, la laïcité a été diluée dans un brouillard d’objectifs divers. Selon le décret, le Conseil « étudie les conditions de respect et de promotion des principes et valeurs de la République à l’école et dans les accueils collectifs de mineurs, notamment [c’est nous qui soulignons] la laïcité, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la promotion de l’égalité des sexes et la lutte contre les discriminations ». Il ne manque qu’un raton laveur à cette énumération qui noie la laïcité dans les discriminations — autrement dit qui « invoque le principe de non-discrimination contre celui d’égalité », comme l’écrit la professeure de droit Roselyne Letteron dans un article sévère, mais délectable.

Veux voir qu’une seule tête !

L’élargissement des missions s’accompagne de celui de la composition du Conseil, qui comportera désormais des membres aux positions tellement éloignées (voir ci-dessous) que tout consensus sera difficile à établir. L’objectif est le même : diluer la laïcité en réduisant le Conseil à un club de discussion.

Pour verrouiller le tout, le contact direct du Conseil avec le « terrain » est remplacé par le recours à la voie hiérarchique. Le Conseil ne pourra plus s’autosaisir : la saisine appartient au ministre, destinataire de ses travaux, qu’il décidera seul de rendre ou non publics. Même les interventions de formation du Conseil seront limitées aux demandes des recteurs. On attendait la « simplification administrative », chère à E. Macron, ce fut la bureaucratie autoritaire.

La laïcité, ce sera tout et son contraire

Le comble est atteint avec certaines nominations auxquelles a procédé Pap Ndiaye. Est désormais membre du « Conseil des Sages de la laïcité » l’universitaire Alain Policar, ouvertement opposé à la loi du 15 mars 2004 interdisant « les signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse » à l’école publique. Ainsi, « la mise en œuvre du principe de laïcité », objet même de la mission du Conseil, ne serait plus fondée sur la loi, mais sur ce qu’en pensent les « différentes sensibilités », favorables comme opposées, au sein de ce Conseil ! Voilà les « sages » condamnés à la folie ou à l’impuissance.

Sommet de l’absurdité ? Non, comble de la logique d’une opération qui vise à rendre inopérant le Conseil, et à renvoyer à la voie hiérarchique le traitement des problèmes concrets de laïcité sur le terrain scolaire. Même si le Conseil n’a pas fait beaucoup d’éclats, au moins son existence indépendante était-elle un appui pour la laïcité scolaire, à côté d’une administration où règne le « pas de vague »1 : le voilà désormais neutralisé.

  1. Le « pas de vague » peut tuer : Samuel Paty a été lâché par sa hiérarchie, et contraint de présenter des excuses à un imam étranger à l’établissement — qui ne s’en est pas moins déchaîné contre lui sur les réseaux sociaux. []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

En savoir plus sur UFAL

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

Exit mobile version