Remettons les choses à l’endroit : pas de liberté sans laïcité !

Essayez de dire l’inverse, pour voir ? « Pas de laïcité sans liberté ? » Absurde, car c’est oublier que la laïcité est d’abord la liberté de conscience : 1ère phrase de l’art. 1er de la loi de 1905. Comment pourrait-elle être attentatoire à la liberté ? Je voudrais simplement montrer que les enjeux actuels du combat laïque sont dans ce rétablissement de la hiérarchie des principes.

Je partirai de ce que disait le regretté Charb, directeur de Charlie Hebdo massacré par les islamistes « J’ai moins peur des extrémistes religieux que des laïques qui se taisent ».

Les extrémistes religieux, et les ennemis déclarés de la laïcité en général, je ne les citerai que pour mémoire. Zineb a tout dit sur la question. Je relève simplement que notre camarade Marie Perret a reçu des menaces assorties d’insultes sexistes ordurières pour avoir osé témoigner en jupe, au nom de l’UFAL, devant les caméras de la télévision, contre le port de vêtements religieux dans les lycées (les robes longues appelées abayas).

Mais parlons plutôt de ce que dénonçait Charb : les laïques qui se taisent – et j’ajouterai : ou qui prennent la laïcité avec des pincettes. Parmi ceux-là, l’Observatoire gouvernemental de la laïcité, dont Eddy vient de nous dire du mal : je ne renchérirai pas. Son président, Jean-Louis Bianco, se dépense sans compter, en virtuose de la politique, pour proclamer que « la France n’a pas de problème avec sa laïcité » et surtout trouver les bonnes raisons qui éviteront au gouvernement et à sa majorité de prendre la moindre mesure législative en la matière. Ce, quel que soit le dossier, depuis les crèches associatives jusqu’au scandaleux statut des cultes d’Alsace-Moselle !

Je ne vais pas passer en revue tous les sujets qui mettent en cause la laïcité. Vous aurez l’occasion de les aborder vous-mêmes depuis la salle. Je voudrais simplement dire un mot sur ce qu’est le recours à la loi, qui divise profondément dès que l’on parle de laïcité, ou de neutralité religieuse. Car on assiste aujourd’hui à la même inversion des principes qu’au moment du débat sur la loi du 15 mars 2004, celle qui a réglementé le port des signes et tenues par lesquels les élèves de l’école publique manifestent leur appartenance religieuse. La mauvaise foi n’explique pas tout : il y a au départ une profonde ignorance des principes de la République et de l’état de droit. Alors, si vous le permettez, une parenthèse d’instruction civique (comme on devrait en faire, hélas, à l’école publique !).

C’est la loi qui garantit les libertés !

Contre-intuitif ? Expliquons. Aucune liberté n’est ni générale, ni absolue. Sinon, elle empièterait et sur les autres libertés, et sur les libertés des autres. Par exemple : la liberté religieuse, si elle était absolue, nuirait à la liberté de ne pas croire, et à la liberté de ceux qui n’ont pas de religion ! Elle entraînerait d’ailleurs des conflits permanents entre les adeptes des diverses religions, chacune prétendant à une vérité absolue ! Cette valeur relative des libertés est posée dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (aujourd’hui constitutionnelle) :

art. 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : [… jusqu’ici, tout le monde connaît. Mais personne ne se souvient de ce qui suit, le plus important] ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que [traduisons du langage juridique : « a des bornes, et voici lesquelles : »] celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »

Donc, la Loi a pour tâche, au nom précisément des libertés « d’autrui », de « fixer les bornes » des libertés entre : ma liberté et celle d’autrui ; la liberté de croire et celle de ne pas croire ; la liberté d’expression religieuse et le prosélytisme ; l’intérêt général et les intérêts particuliers…

Ce principe démocratique de la relativité des libertés est repris dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, par ex. :

art.9 : « Liberté de pensée, de conscience, de religion »

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion [aïe, pour ceux qui ne supportent pas l’apostasie !] ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public [c’est vrai que c’est plus gênant, dans une société laïcisée comme la France] ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. [C’est le paragraphe que les dénonciateurs patentés de « l’islamophobie » ne citent jamais !] La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Ainsi, concernant le port de signes religieux par les élèves des écoles, le recours à la loi (celle du 15 mars 2004) n’est ni plus sévère ni plus restrictif, c’est au contraire une exigence constitutionnelle et une garantie pour les citoyens. (art. 34, les libertés publiques sont du domaine de la loi, et pas simplement d’un décret de l’exécutif ou du règlement intérieur d’un lycée !).

Alors, si vous voulez bien vous souvenir des dossiers ouverts en matière de laïcité : l’Alsace-Moselle et les territoires hors loi de 1905 ; l’université ; l’entreprise privée… vous comprenez que la question du recours à la loi n’est en rien liberticide, mais au contraire soucieuse des libertés, notamment la liberté de religion garantie par la Convention des droits de l’homme…

Pour conclure, juste un mot sur le paradoxe permanent des pouvoirs publics actuels : la vision policière. Elle consiste à rompre avec la loi de 1905, non dans les « bornes » qu’elle fixe, mais au contraire dans les libertés nouvelles qu’elle accorde –notamment la liberté de culte. Non, l’Etat n’a à intervenir ni dans la formation, ni dans le choix des ministres d’un culte : c’est l’affaire des seuls adeptes de ce culte ! L’ordre public ne justifie pas qu’une religion particulière soit étroitement contrôlée par le ministère de l’intérieur, voire, pire par un nouveau concordat comme certains le proposent. Nos concitoyens musulmans n’ont pas à être tenus de se faire « représenter » auprès des pouvoirs publics. L’ordre public, dit la loi de 1905, doit s’accommoder de la liberté de culte – non l’inverse !

Si vous admettez que ce que je viens d’énoncer n’est pas un vaste paradoxe, mais une série de vérités oubliées, je n’aurai pas parlé en vain. Je vous remercie.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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