Le licenciement de Mme A., par la crèche Baby-Loup, annulé par la chambre sociale de la Cour de cassation, avait été confirmé après renvoi par la Cour d’appel de Paris. Le nouveau pourvoi sera jugé le 16 juin par l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Selon la presse, le procureur général conclurait à la confirmation du licenciement, tout en refusant de considérer la crèche comme une « entreprise de conviction » laïque. Que va faire la Cour de cassation ? Essayons dès maintenant d’y voir plus clair.

Que dit l’arrêt de renvoi de la Cour d’appel de Paris ? Trois choses dont deux ont été oubliées et la dernière outrageusement valorisée :

  1. Le licenciement n’est pas justifié par le port du voile, mais par le comportement de la salariée : refus de la mise à pied licite pour non-respect du règlement intérieur, agressivité envers le personnel de la crèche, et pressions actives sur les témoins ;
  2. L’interdiction du port du voile par le règlement intérieur s’applique exclusivement aux activités d’encadrement éducatif des enfants, et répond de façon proportionnée à l’intérêt légitime de protéger la conscience en éveil des jeunes enfants ; elle est conforme aux exigences du Code du travail, et constitue une « exigence professionnelle essentielle et déterminante », justifiant une limitation non discriminatoire de l’expression religieuse (non de la liberté de croyance) des salariés. Cet aspect est motivé par la Cour d’appel de façon particulièrement soigneuse, ce que peu ont relevé.
  3. La notion d’entreprise de conviction mise en avant par l’arrêt de renvoi, et retenue par la presse, peut être considérée dès lors comme un « motif surabondant », voire un « ballon d’essai ». Mais c’est à notre avis une solution juridiquement incertaine, car le Code du travail français ne protège actuellement que les convictions religieuses, les opinions politiques et les activités syndicales ! L’appliquer à un organisme de conviction laïque (nous en sommes un, à l’UFAL !) suppose une modification législative préalable.

Il paraît donc douteux que la Cour de cassation s’engage praeter legem (passant outre la loi) dans la défense de Baby-Loup comme « entreprise de conviction » laïque (notion d’ailleurs contestée par certains laïques qui n’hésitent pas à se tirer une balle dans le pied, comme la Ligue de l’enseignement). Le procureur Marin ne semble pas le lui suggérer.

En revanche, les deux premiers motifs pourraient amplement justifier la confirmation du licenciement. La chambre sociale de la Cour de cassation a en effet bien légèrement motivé son annulation, contrairement à la Cour d’appel de Paris. Il y a donc quelques raisons d’espérer que l’assemblée plénière suive les conclusions du parquet.

Cependant, il faudra se garder de donner une portée trop générale à une éventuelle confirmation du licenciement. L’acquis principal serait sans doute la licéité d’un règlement intérieur limitant le droit des salariés à l’expression religieuse dans le cadre d’activités éducatives destinées aux jeunes enfants – sans qu’il en soit tiré une obligation générale. Voilà qui économiserait un recours à la loi et ôterait une épine du pied à la majorité au pouvoir, qui fait tout, avec l’alibi de l’Observatoire de la laïcité, pour ne pas légiférer…

En revanche, la validation du licenciement n’aurait que la portée d’un arrêt d’espèce, justifié par des fautes graves et caractérisées, non par la seule infraction au règlement intérieur.

Nous continuerons pour notre part à demander que le Code du travail soit mis en conformité avec l’art. 10 de la Déclaration des droits de 1789 (constitutionnelle), et protège « toutes les opinions, même religieuses », dont la laïcité comme conviction privée et le libre choix associatif de la neutralité religieuse.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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