L’UFAL avait dénoncé l’introduction subreptice dans une proposition de loi sénatoriale, par M. Alain Richard, de l’autorisation de subventionnement public des crèches privées confessionnelles. Le Parlementaire nous a fait l’honneur de nous répondre par un communiqué, qui, interprétant un peu rapidement le droit de la laïcité, justifie au passage le subventionnement public de l’enseignement scolaire privé confessionnel. C’est bien ce que nous avions cru comprendre, hélas !

Alain Richard justifie 50 ans d’atteintes à la laïcité de l’enseignement

De la loi Debré de 1959, à la loi Carle de 2009, en passant par la loi Guermeur de 1977, et le projet de loi Bayrou de 1994, la droite a patiemment cherché à étendre, par voie législative, le financement public des écoles privées confessionnelles. A son appui, le Conseil Constitutionnel a inventé en 1977 le principe du « respect du caractère propre » des établissements religieux sous contrat, pour permettre à ceux-ci de se soustraire aux obligations de neutralité religieuse du service public1, auquel ils sont pourtant « associés » !

Voilà donc les tristes antécédents dont se prévaut Alain Richard, rompant délibérément avec la tradition de combat laïque, dont pourtant se réclament nombre de membres de son parti, depuis la fondation du Comité National d’Action Laïque en 1953, et le Serment de Vincennes de 1960 (contre la loi Debré). M. Richard, apparemment passé dans l’autre camp, justifie ledit « caractère propre » (donc la loi Guermeur, notamment) en assénant : « C’est la règle dans un État de droit ».

On se permettra de rappeler à M. Richard que les Parlementaires sont justement élus par les citoyens pour changer le droit. Par exemple, celui qui affaiblit l’école laïque en subventionnant à parité l’école privée (la plupart du temps, confessionnelle). Le parti qu’il représente y a-t-il renoncé ?

Quelques leçons de droit en échange

M. Richard soutient que le « respect du caractère propre (…) n’est pas une nouveauté » de sa proposition de loi. Or ce principe ne s’appliquait jusqu’ici qu’à l’enseignement scolaire. Pas de fausse modestie : en l’étendant aux structures d’accueil de la petite enfance, il est bien l’auteur d’une novation juridique de plus contre la laïcité.

Introduisant une confusion intéressée entre possibilités et obligations, Alain Richard explique doctement que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et une mystérieuse « Charte européenne des Droits de l’Homme »2 interdiraient, selon lui, de refuser un financement public pour un motif religieux à une crèche respectant les « obligations légales »… Sous-entendu : ce serait donc obligatoire. Eh bien, non ! Le respect des « obligations légales » – qui est bien la moindre des exigences pour ouvrir une structure d’accueil !- n’ouvre pas plus un « droit à subvention publique », qu’il n’impose aux collectivités une obligation de financement.

On rougit d’avoir à rappeler à l’honorable Parlementaire le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales3. Une collectivité est libre de subventionner ou non telle association. Elle a la possibilité de ne financer aucune crèche (ce qui est regrettable pour les familles), ou de le faire ; et dans ce cas, d’astreindre en contrepartie les structures subventionnées à une obligation de neutralité –ce qui était l’objet de la proposition de loi initiale, défigurée par les amendements de M. Richard.

Car voici introduite par ses soins une troisième possibilité : subventionner des crèches confessionnelles sans exigence de neutralité, en échange d’une vague garantie de respect de la liberté de conscience, parfaitement hypocrite comme on va le voir. Le maire de Paris pourrait ainsi continuer à subventionner les crèches de la secte Loubavitch… Mais attention ! Le principe de libre administration l’oblige à justifier un tel choix politique, puisque nulle obligation ne peut être invoquée.

Les citoyens et les familles restent fondés à contester, non seulement le subventionnement de structures confessionnelles, mais également celui de structures privées commerciales (ne les oublions pas). C’est en tout cas le sens de l’action de l’UFAL !

La laïcité contre l’apartheid religieux des bébés

La loi de séparation des églises et de l’État du 9 décembre 1905 dispose bien en son article 2 que « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne, aucun culte ». Largement mis à mal en matière d’enseignement scolaire (par le fameux « caractère propre »), ce principe de séparation l’est aujourd’hui spécialement dans le champ d’action des collectivités locales. De plus en plus, la différence entre les activités « culturelles » ou éducatives (subventionnables) et les activités « cultuelles » (purement religieuses, donc interdites de subvention) est remise en cause, pour favoriser ce que le Conseil d’État lui-même qualifie de « subventions indirectes aux cultes »4.

Or depuis longtemps, la Cour européenne des droits de l’homme a admis la conformité de la loi de 1905 à la « liberté de pensée de conscience et de religion » proclamée par l’article 10 de la Convention européenne de 1950. Le principe de séparation, un des deux piliers de la laïcité avec celui de liberté de conscience (donc de culte), exclut précisément, contrairement à ce qu’écrit Alain Richard, toute « reconnaissance et tout financement d’activités éducatives à base religieuse ». Oxymore juridique, tout simplement parce que, dès lors qu’elles sont « à base religieuse », ces activités perdent le caractère d’intérêt général qui, seul, peut justifier des subventions publiques. Il ne s’agit plus que d’activités cultuelles, certes autorisées par la loi, mais financées par les seuls adeptes du culte concerné.

Il faut quand même savoir ce que sont les « crèches confessionnelles », de quelque religion qu’elles se réclament. Le très jeune âge des enfants les y soumet à un endoctrinement total et sans limites, obtenu par l’apposition de symboles religieux dans leur environnement, le port de tenues spécifiques, la séparation des sexes, la pratique de rites, l’atmosphère de connivence religieuse exclusive, etc. On n’aura pas ici la cruauté de développer l’exemple des crèches « Loubavitch », auxquelles, en France, la majorité des familles de religion juive se refusent à confier leurs enfants.

Au moins, dans l’enseignement scolaire religieux sous contrat, les programmes nationaux imposent-ils un minimum de limites à l’endoctrinement, et permettent-ils en principe le développement de l’esprit critique. Mais dans les crèches, plus aucun garde-fou n’empêche le formatage. L’engagement demandé par M. Richard à ces structures confessionnelles, en contrepartie des subventions publiques, d’« accueillir tous les enfants sans distinction… » ou de « respecter leur liberté de conscience » n’est qu’un faux-semblant hypocrite, parfaitement contradictoire avec leurs pratiques.

Qui plus est, ces crèches confessionnelles, mises en place par les adeptes les plus intégristes des cultes concernés, reposent sur un projet de « développement religieux séparé ». Plus question d’apprendre à « vivre ensemble » ! Comment pourront s’intégrer ces enfants, dans notre société largement sécularisée, et de ce fait ouverte à toutes formes de conscience et d’expression, spirituelle ou non ? Encourager cet apartheid confessionnel par des subventions publiques est un crime contre la République.

On ne glosera pas ici sur l’article 3 de la proposition de loi sénatoriale, qui impose une obligation de neutralité aux « nounous » exerçant à titre privé –pour le coup, la validité juridique de cette ingérence publique paraît bien incertaine. Mieux inspirée, la proposition initiale de Mme Laborde tendait à préciser les conditions de l’agrément public des assistantes maternelles5.

Alain Richard se prévaut abusivement des libertés religieuses, alors qu’elles sont totalement compatibles avec le principe de séparation, et que la loi de 1905 les garantit, au contraire. Est-ce pour dépasser la droite anti-laïque, dans la course au subventionnement des activités des cultes ? Surenchère inefficace politiquement (non, les « confessionnels » de tout bord ne voteront pas majoritairement pour le candidat du PS), et dangereuse pour la laïcité, ce « principe autour duquel la République française s’est construite », comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme6.

La liberté de conscience et l’égalité de tous devant les aides publiques s’opposent à ce type de subventionnement : la religion ne s’exerce qu’à titre privé, elle n’est pas un service public. Le « caractère confessionnel » d’une crèche doit certes être respecté, mais il exclut tout financement public !

  1. Ainsi, un établissement catholique subventionné peut licencier tranquillement une institutrice divorcée, puisque son « caractère propre » ne reconnaît que le mariage chrétien indissoluble… []
  2. Le rapporteur a confondu en réalité –et par deux fois- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de 1950, ratifiée par la France en 1973, et la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, de 2000 (intégrée au Traité de Lisbonne). []
  3. art. 72 de la Constitution []
  4. Notamment dans ses cinq arrêts (restreignant pourtant la laïcité !) du 19 juillet 2011. []
  5. Art. L.421-3 du Code de l’action sociale et des familles. L’agrément est délivré par le président du conseil général []
  6. Arrêts Kervanci c. France et Dogru c. France, 4 décembre 2008 []

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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