Michel Canet, vice-président de l’UFAL, a été auditionné le 24 octobre par Mme Élisabeth Doineau, rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat pour la branche famille du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020.

Voici les réponses écrites au questionnaire qui a servi de support à l’audition, rédigées par Olivier Nobile, responsable de la commission santé – protection sociale de l’UFAL .

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la politique familiale sur ces cinq dernières années ?

Sans surprise, le regard que porte l’UFAL sur la trajectoire de la politique familiale depuis cinq ans n’a pas évolué depuis notre précédente audition. Notre mouvement réitère son opposition radicale à la dynamique de réforme de la politique sociale et familiale de notre pays qui s’est traduite par un affaiblissement historique de l’effort de la Nation en direction des familles.

L’UFAL réitère son refus d’une politique austéritaire initiée avec la réforme des prestations familiales de 2013 dont le symbole le plus négatif a été la modulation des allocations familiales car elle rompt avec la dimension universelle et égalitaire d’une politique familiale entendue comme le ciment de la cohésion sociale du pays. Depuis 2013 l’effort social en direction des familles a été réduit de plus de 2 milliards d’euros par an, ce qui nous semble un signal politique très négatif alors que la politique familiale devrait être un investissement social déterminant en direction des générations futures. Certes, des améliorations ciblées sur les familles les plus modestes ont été constatées (augmentation du complément familial et de l’allocation de rentrée scolaire) mais au prix d’une réduction importante des prestations pour les familles situées dans les catégories intermédiaires de revenus (allocation de base de la PAJE, modulation des allocations familiales, baisse du quotient familial). Ces évolutions valident l’idée d’une réponse sociale segmentée orientée vers l’assistance des familles les plus pauvres et qui se départit de la vocation universelle de la politique familiale en tant que vecteur de cohésion sociale entre l’ensemble des familles. Cette évolution est en outre renforcée par l’affaiblissement inacceptable des cotisations sociales affectées à la branche famille qui participe d’un basculement massif du financement de la politique familiale vers les familles elles-mêmes, alors même que la politique familiale contribue de manière directe à l’effort productif de la Nation.

Les conséquences de ces réformes sont pourtant alarmantes : la natalité vient de connaître sa quatrième année de baisse consécutive et le nombre d’enfants par femmes de situe à 1,87 enfants. Plus grave, selon le bilan démographique de l’année 2018, publié par l’Insee, le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les nombres de naissances et de décès, n’a jamais été aussi bas depuis la fin de la seconde Guerre mondiale. L’UFAL ne considère pas que la politique familiale doit poursuivre un objectif nataliste, toutefois notre mouvement estime que les pouvoirs publics doivent permettre aux familles d’accueillir et d’élever dignement un nombre d’enfants conforme à leurs souhaits. Or, le nombre d’enfants désirés oscille aux alentours de 2,4, soit un écart de près de 0,5 point.

Autre constat édifiant : la création de la PrePare, cette prestation partagée qui a succédé au CLCA, est un échec retentissant. En effet, depuis janvier 2017, date à laquelle l’obligation de partage commence à s’appliquer pour les enfants nés en janvier 2015, la baisse du nombre de bénéficiaires s’est accentuée très fortement. Cette diminution indique que peu de parents partagent la prestation jusqu’aux 3 ans de l’enfant, en dépit de la réforme. Ceci se traduit par une durée de perception réduite en PreParE pour les générations concernées.

Les efforts en matière d’accueil du jeune enfant suscitent quant à eux une appréciation assez sévère de notre part. Si nous avions accueilli avec une relative bienveillance l’annonce de 275 000 places d’accueil supplémentaires, les résultats obtenus sont bien loin des objectifs. Moins de 50% de l’objectif de créations de places en EAJE a été mis en œuvre, et le nombre de place d’assistantes maternelles a quant à lui baissé. Le gouvernement Philippe semble s’être avoir pris acte de cet échec et n’envisage pas d’y remédier : seules 30 000 créations de places de crèches sont prévues au cours de la future COG Etat/CNAF. Or, dans le même temps plusieurs mesures mises en œuvre tendent à percevoir que le gouvernement actuel entend surtout stimuler le recours aux solutions domestiques de garde.

Concernant la sous-revalorisation des prestations familiales à hauteur de 0,3 % au titre de 2019 (LFSS 2019) et au titre de 2020 (PLFSS 2020) : quelle est votre appréciation de ce dispositif et en avez-vous mesuré les conséquences en termes de pouvoir d’achat pour les familles ?

Même constat que l’an passé. L’UFAL accueille avec beaucoup d’indignation la revalorisation à seulement 0,3% des prestations sociales et familiales (hors minima sociaux). Compte tenu de l’inflation cette mesure revient dans les faits à diminuer en parité de pouvoir d’achat de 1,4% les prestations familiales de l’ensemble de familles. Nous ne comprenons pas cet acharnement à réduire l’investissement social de la Nation alors que la branche famille est structurellement excédentaire. Certes les comptes du Régime général initialement prévus à l’équilibre vont vraisemblablement renouer avec les déficits – au demeurant très relatifs, les 3 milliards d’euros de déficits annoncés hors FSV représentent le plus faible déficit du Régime général depuis 2002 – mais la dégradation des soldes de la Sécurité sociale est uniquement liée au tarissement des recettes orchestrées par le gouvernement qui a décidé de réduire massivement les entrées de cotisations sociales affectées à la Sécurité sociale et de les reporter intégralement sur la CSG. Les mesures d’urgence sociale prises par le Président Macron en pleine crise des gilets jaunes vont au final peser sur l’ensemble des Français au travers d’une poursuite voire d’une aggravation des mesures d’économies sur les prestations sociales qui frappent durement les familles les plus modestes mais également les classes intermédiaires d’actifs.

Nous estimons toutefois que l’objectif poursuivi ne saurait être seulement une question d’équilibre des comptes sociaux, le gouvernement entend en effet réduire drastiquement le périmètre des dépenses sociales et mettre fin au compromis social d’après-guerre permis par le programme du Conseil National de la Résistance, et ce pour l’ensemble des branches de la Sécurité sociale (maladie, retraite, famille). La finalité de ces mesures vise à cantonner la Sécurité sociale et la branche famille en particulier à un rôle d’opérateur paraétatique de prise en charge de la pauvreté tout en incitant les classes moyennes et aisées à opter pour des solutions individuelles de couverture de leurs risques sociaux. L’UFAL affirme à cet égard son hostilité totale à cette entreprise de démolition de la Sécurité sociale en tant que pilier de notre fraternité républicaine.

Concernant les autres mesures en dépenses prévues par le PLFSS pour 2020 :

Quelle est votre appréciation des prérogatives actuelles de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa) et du renforcement de ses missions proposé par le PLFSS (article 48) ?

En dépit des critiques formulées précédemment, l’UFAL accueille favorablement l’annonce de la mise en œuvre de l’intermédiation financière dans le domaine des pensions alimentaire qui se traduira par un renforcement des prérogatives de l’ARIPA (gérée par la branche famille). Notons toutefois que l’annonce présidentielle s’est faite dans la plus grande improvisation, puisqu’il semblait à l’origine ignorer l’existence même de l’ARIPA qui réalise de manière effective le recouvrement des impayés de pensions alimentaires pour le compte des parents isolés depuis plusieurs années !

Le dispositif d’intermédiation du paiement des pensions alimentaires prévu dans la LFSS pour 2020 s’inspire du modèle québécois qui intègre les pensions alimentaires dans le prélèvement de l’impôt. Le projet prévu dans la LFSS reste toutefois nettement moins ambitieux que le système en vigueur au Québec. En effet, il ne sera ouvert qu’aux seuls parents qui en font la demande et ne reposera pas sur un dispositif automatique, ce qui en amenuise la portée. Il s’agit néanmoins d’une avancée notable car dès 2020, l’ARIPA sera amenée à prendre en charge le versement des pensions auprès du parent ayant la charge d’enfant, parallèlement à la mise en place d’un plan de recouvrement par voie de prélèvement auprès du débiteur au plus près du jugement portant fixation de la pension alimentaire, ce qui permettra de limiter les risques d’impayés. Par ailleurs, l’ARIPA disposera de prérogatives renforcées de recouvrement des pensions dès le premier impayé.

Nous estimons néanmoins que le dispositif d’intermédiation devrait être systématique et non conditionné à la demande du parent afin d’éviter que le parent ayant la charge d’enfant (en particulier les femmes) ne soient dissuadées d’en faire la demande sous la pression qu’exercent fréquemment les ex-conjoints sur au moment de la séparation. Par ailleurs, l’UFAL demeure attentive aux moyens humains mis à disposition des Caf qui auront à gérer le nouveau dispositif dans un contexte de réduction historique des effectifs de la branche famille.

Que pensez-vous du dispositif de publication des places disponibles de crèches et chez les assistants maternels (article 49 du PLFSS) ?

Cette mesure semble assez anecdotique pour ne pas dire dérisoire. Le Gouvernement Philippe a annoncé 30 000 places de crèches supplémentaires, ce qui est très en deçà du besoin réel des familles en matière d’accueil collectif du jeune enfant et très loin de l’ambition initiale de 275 000 places supplémentaires prévues sous le quinquennat Hollande. En réalité, le gouvernement Philippe laisse supposer que les difficultés de garde seraient dues à un manque d’information des familles et d’une insuffisante optimisation des places d’EAJE existantes alors qu’elles proviennent, selon nous, essentiellement d’un déficit de structures d’accueil collectif.

Quelles mesures devraient selon vous être prises pour soutenir les familles dans le cadre du PLFSS ?

L’UFAL porte un regard très critique sur l’évolution de la politique familiale depuis 2013 dont la trajectoire est confortée par le Gouvernement actuel. Dans ce contexte, il nous est difficile de répondre à cette question qui nous amènerait à demander l’abrogation des mesures les plus contestables de la réforme de 2013, notamment la modulation des allocations familiales. Bien que nous n’ayons aucune chance d’être entendus, nous en profitons tout de même pour évoquer à nouveau notre souhait solennel de voir les allocations familiales versées dès le premier enfant, ce qui serait une mesure d’une portée sociale et symbolique considérable. Nous pouvons également évoquer l’échec manifeste de la PrePare et souhaitons une évolution de la loi afin de permettre un versement effectif pendant 3 ans de cette prestation quitte à en revoir les modalités conformément aux réflexions issues des travaux du HCFEA.

De manière plus circonstancielle, nous estimons que l’article 56 du PLFSS pour 2020 prévoyant la suppression de la majoration pour « charge de famille » et la fixation d’un taux unique de remplacement par les indemnités journalières à hauteur de 50 % des revenus antérieurs, « quelle que soit la composition familiale » est un mauvais coup dur pour les familles ayant charge d’enfants. L’UFAL souhaite que cette mesure soit retirée du PLFSS 2020.

Enfin, nous souhaitons attirer votre attention sur une situation qui nous a été remontée par le canal de nos adhérents et qui nous amène à demander une évolution législative. En effet, un couple d’adhérents ayant un enfant à charge scolarisé s’est vu refuser le bénéfice de l’allocation de base de la PAJE au prétexte que l’un des deux membres du couple est retraité. En effet, les pensions de retraite ne sont pas considérées comme des revenus d’activité, ce qui a pour conséquence de soumettre les couples dont l’un des deux membres est retraité à un plafond de de ressources nettement plus bas que celui applicable aux couples ayant 2 revenus d’activité, créant de facto une rupture d’égalité entre bénéficiaires de la prestation. Le médiateur de la République et l’UDAF sont intervenues auprès de la Caf pour trouver une solution à cette situation inique, mais en vain. Nous estimons que la loi devrait évoluer afin de mettre fin à cette injustice qui amène à ne pas considérer les pensions de retraite comme des revenus d’activité tout en les intégrant dans la somme des ressources du foyer prises en compte dans le calcul de l’allocation de rentrée scolaire et l’allocation de base de la PAJE. Aux yeux de l’UFAL il est injuste de considérer les pensions de retraite à l’instar des revenus des capitaux : la retraite est la contrepartie des cotisations versées durant l’activité professionnelle est devrait être légitimement considérée comme un revenu d’activité.

Quel bilan faites-vous de la première année de mise en œuvre de la COG 2018-2022, notamment en matière de développement des modes de garde ?

La COG 2018-2022 prévoit des efforts sans précédent demandés à la branche famille : 2100 suppressions d’emplois dans les CAF d’ici à 2022 (sur un total de 31 000 agents) au travers d’un non-remplacement d’environ 40 % des départs en retraite. Parallèlement, un plan d’économies devra se traduire à une baisse de 23 % des budgets hors masse salariale d’ici à 2022, au prix d’une dégradation inouïe des conditions de travail des personnels de Caf (à noter que les budgets avaient déjà été réduits de 15 % entre 2013 et 2017).

Une grande partie des efforts de gestion demandés sont gagés sur la mise en œuvre du nouveau modèle de production des CAF devant entraîner de forts gains de productivité, autrement dit la digitalisation des démarches déclaratives (impliquant une déshumanisation de la relation avec l’allocataire et un report de la production des droits sur l’allocataire lui-même).

Le FNAS progressera quant à lui de 2 % par an, ce qui équivaut à une baisse des budgets alloués si l’on considère l’inflation et le fait que les budgets d’action sociale servent à financer des places d’accueil enfance et jeunesse qui génèrent des besoins pérennes de financement. Aussi, les pouvoirs publics ont décidé de littéralement sacrifier la politique jeunesse de la branche famille (politique d’accueil loisirs essentiellement, accueil péri et extrascolaire à l’exception du plan mercredi qui absorbera l’essentiel des efforts nouveaux de la branche famille en faveur de la jeunesse) pour recentrer le FNAS quasi exclusivement sur la petite enfance… Or, même dans ce domaine, les ambitions gouvernementales sont réduites à la portion congrue, avec un objectif de 30 000 places supplémentaires de crèches et halte-garderie d’ici 2022, alors même que les 100 000 créations prévues lors de la précédente COG n’ont été réalisées qu’à raison d’un tiers ! Par ailleurs, la dynamique de création de places d’EAJE repose essentiellement sur les micro-crèches qui coûtent plus cher aux familles et ne répondent que très partiellement aux besoins territoriaux d’équipement. Le Gouvernement a fait le choix, semble-t-il, de mettre un frein à la politique d’accueil collectif du jeune enfant et entend favoriser les solutions individuelles de garde. Plus grave, le gouvernement envisage d’alléger les normes d’agrément des EAJE (taux d’encadrement et surfaces des équipements), ce qui nous semble être un très mauvais signal envoyé aux familles.

Délégué national aux questions sociales et familiales de l'UFAL, cadre dirigeant du Régime Général de Sécurité sociale, enseignant à Sciences Po Strasbourg et auteur de l'ouvrage : « Pour en finir avec le Trou de la Sécu » éd. Eric Jammet.

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