Le Président de la République, François Hollande, vient d’annoncer lors de son allocution télévisée du 28 mars 2013 son intention de plafonner les allocations familiales pour les familles aux revenus les plus élevés. Le Président de la République a certes annoncé qu’il renonçait à tout projet de fiscalisation des allocations familiales comme cela avait été envisagé initialement.

Toutefois, le plafonnement des allocations familiales n’est que la remise au goût du jour de solutions datées qui ne règlent en rien les insuffisances de notre système de politique familiale et risquent au contraire d’en aggraver les écueils. Il s’agit avant tout d’une mesure à visée comptable, très éloignée des finalités essentielles d’une politique familiale ambitieuse, nécessairement placée sous le principe d’universalité. Outre le fait que cette mesure casse l’un des principaux leviers de cohésion sociale entre les familles, cette réforme sonne surtout le glas d’une véritable réforme structurelle de la politique familiale que l’UFAL appelle de ses vœux depuis de nombreuses années.

Une remise en cause du salaire socialisé nuisant à la cohésion sociale entre les familles

L’universalité des allocations familiales s’inscrit indéniablement dans le projet républicain de sécurité sociale créé au lendemain de la guerre par le Conseil National de la Résistance. Par le système d’allocations familiales, le législateur entendait, assurer une aide financière universelle à l’ensemble des familles.

Les allocations familiales financées (du moins à l’origine) principalement par les cotisations sociales prélevées directement sur la valeur ajoutée des entreprises, constituent en ce sens l’un des pans essentiels du salaire socialisé versé par la Sécurité sociale, au même titre que les retraites par répartition, ou l’assurance maladie. Contrairement à la politique fiscale, le système d’allocations familiales versées par les CAF ne poursuit par conséquent aucun objectif redistributif et vise au contraire à garantir une égalité républicaine devant les charges de famille indispensable à la cohésion sociale du pays.

Les réformes de la Sécurité sociale mises en œuvre par les législateurs de droite comme de gauche ont largement mis à mal ce principe en mettant fin au mouvement d’universalité du salaire socialisé. Il en découle un double mouvement de « réformes » visant :

  • d’une part à cantonner de plus en plus directement le bénéfice des prestations familiales aux seules familles les plus modestes. C’est en ce sens que la majeure partie des prestations familiales sont actuellement versées sous conditions de ressources. En outre, c’est ce mouvement à visée ouvertement redistributive qui a ouvert la voie d’une fiscalisation massive des allocations familiales, autrement dit une substitution de la CSG à la cotisation sociale dans le financement de la branche famille ;
  • d’autre part à encourager les familles les plus aisées à consacrer une part croissante de leur épargne individuelle à la couverture de leurs besoins sociaux via notamment une politique fiscale incitative.

Les conséquences de cette politique sont néfastes à la cohésion sociale du pays comme l’UFAL l’a répété à de nombreuses reprises.

  • Tout d’abord, les réformes mentionnées engendrent un mouvement de rejet croissant de la part des classes moyennes à l’endroit des politiques sociales du pays, auxquelles elles bénéficient de moins en moins alors même qu’elles contribuent à leur financement.
  • En outre, la transformation de la politique sociale en instrument quasi-exclusif de lutte contre la pauvreté entraîne un mouvement de stigmatisation sociale des bénéficiaires des prestations sociales, ces derniers n’en bénéficiant qu’au titre de l’assistance et non plus en qualité d’allocataires ou d’assurés sociaux.
  • Enfin, élément le plus grave, cette politique crée de nouvelles catégories de laissés pour comptes : les classes moyennes inférieures, « trop pauvres pour être riches et trop riches pur être pauvres », autrement dit, tous ceux qui ne peuvent ni bénéficier de la solidarité nationale ni consacrer une part suffisante de leurs revenus ou de leur épargne à la couverture individuelle de leurs besoins sociaux.

Le plafonnement des allocations familiales s’inscrit par conséquent directement dans cette politique de stratification de la politique sociale qui est aux yeux de l’UFAL une menace grave à la cohésion sociale entre l’ensemble des familles et constitue l’une des raisons essentielles du populisme et du vote contestataire anti-républicain.

C’est pour l’ensemble de ces raisons que l’UFAL réaffirme son attachement à une politique familiale universelle tout en militant activement pour la mise en œuvre d’une réforme structurelle ambitieuse dans l’intérêt de l’ensemble des familles et ce, dès le premier enfant.

Pour une politique familiale ambitieuse orientée vers le bien-être des familles

Comme nous venons de le dire, le système français de prestations familiales constitue un pan majeur de la politique sociale de notre pays, mais reste marqué par des caractéristiques qui le rendent complexe et difficilement lisible. La politique familiale relève en effet de l’action combinée des prestations familiales et la politique fiscale.

La politique familiale française repose tout d’abord sur l’ensemble très hétérogène des prestations familiales légales versées par les Caisses d’allocations Familiales. Les prestations familiales tendent à couvrir de nombreuses situations liées à l’enfant de la grossesse à l’âge adulte. Il convient de noter que la plupart des prestations familiales sont placées sous conditions de ressources et constituent une aide financière orientée vers les familles les plus modestes. Toutefois, les allocations familiales constituent une exception fondamentale à ce principe puisqu’elles sont versées de manière universelle à l’ensemble des familles de plus de deux enfants. Elles constituent en ce sens un mode de prise en charge égalitaire des charges de familles axé sur l’enfant. Par ailleurs, les CAF versent d’importantes dépenses d’action sociale, lesquelles constituent le socle fondamental de financement des structures collectives d’accueil du jeune enfant.

L’autre versant de la politique familiale est composé de règles liées à la familialisation de l’impôt sur le revenu. En tant qu’impôt républicain de référence, l’IRPP repose sur une logique redistributive (des plus riches vers les plus pauvres), mais les règles de quotient familial permettent en effet aux foyers de rapporter leur revenu imposable au nombre de parts calculées en fonction de la taille du foyer. L’effet du quotient familial en termes de diminution de l’impôt est donc d’autant plus important que la taille du foyer est importante et que le revenu fiscal du foyer est élevé. Le récent abaissement du plafond du quotient familial à 2000 € ne règle que marginalement ce problème.

Cependant, l’effet combiné du système de prestations familiales et de l’application des règles fiscales comporte des effets pervers. En effet, les familles aux revenus intermédiaires subissent à la fois la perte des prestations familiales/logements sous conditions de ressources au-delà d’un certain niveau de revenu sans pour autant pouvoir bénéficier des avantages fiscaux liés à l’application des quotients, car faiblement imposables. Cela entraîne, pour une même taille de famille un niveau d’inflexion de la politique familiale au niveau du revenu moyen avant de redevenir progressive : c’est ce que l’on appelle la courbe en U de la politique familiale qui sanctionne les familles aux revenus moyens situés au-delà des seuils de prestations familiales et/ou de solidarité et ne bénéficiant pas ou peu des avantages fiscaux consentis aux familles.

Les familles modestes bénéficient certes de prestations versées sous conditions de ressources, mais celles-ci sont minées par les effets de seuil et la non-prise en compte de la situation des travailleurs pauvres, notamment ceux situés dans la monoparentalité

Par ailleurs, la faiblesse des politiques en matière d’accueil collectif des jeunes enfants implique la mise en place de solutions qui bénéficient surtout aux ménages aisés au travers d’ :

  • aides à l’embauche de personnel de garde (complément pour libre choix du mode de garde)
  • aides à la réduction d’activité (complément de libre choix d’activité), qui participent de l’éloignement des femmes du marché du travail (90 % des bénéficiaires du CLCA sont des femmes)

Fort de ce constat, nous pouvons affirmer que le système de politique familiale favorise certains types de ménages :

  • Les familles nombreuses de plus de 2 enfants (au détriment des familles à enfant unique) avec un niveau optimal pour les familles de 3 enfants
  • Les familles situées aux deux extrêmes de la distribution de revenus

En revanche, les foyers situés à des niveaux de revenus intermédiaires sont une fois de plus laissés pour compte des politiques de revenus familiaux qui, de moins en moins placées sous un principe d’universalité, renforcent la stratification sociale des familles.

L’UFAL se doit de répondre en mettant en avant des réflexions nettement plus ambitieuses. L’UFAL appelle les pouvoirs publics à envisager une politique familiale qui participe réellement de l’amélioration des conditions de vie des familles au travers des mesures suivantes :

  • Extension du bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant
  • Conciliation entre vie professionnelle/vie personnelle, en particulier des femmes, via une incitation forte à la négociation collective d’entreprise ou de branche : horaires aménagés, crèches d’entreprise, maintien de salaire ou prise en charge de cotisation retraites en cas de temps partiel lié à l’accueil du jeune enfant, etc.
  •  Du renforcement considérable de l’accueil collectif de la petite enfance via un renforcement des budgets d’action sociale dévolus aux CAF et d’une augmentation des financements communaux
  •  Amélioration des aides aux loisirs et au temps libre : centres aérés, actions culturelles, aides aux vacances, etc.
  •  Mise en œuvre d’un véritable service public de la petite enfance autour d’un réseau salarié d’assistantes maternelles agréées

L’UFAL a par ailleurs proposé depuis plusieurs années une solution de grande ambition : la création d’un dispositif de Revenu Social de l’Enfant et du Jeune au travers du redéploiement de :

  • certaines prestations familiales (Allocations familiales, du complément familial, allocation de base de la PAJE, Allocation de Soutien Familial) et du
  • un financement fiscal permis par la suppression des quotients familiaux

Cette prestation serait versée dès le premier enfant de la naissance à l’autonomie du jeune adulte. Le RSEJ permettrait ainsi de rétablir l’égalité distributive fondamentale de la politique familiale en mettant l’accent sur le bien-être de l’enfant et des familles, et ce quel que soit la taille ou le revenu des foyers.

Par ailleurs, le RSEJ que l’UFAL appelle de ses vœux doit favoriser, outre les conditions matérielles des familles, l’accès à l’autonomie du jeune adulte au travers d’un versement qui pourrait prendre la place d’un revenu d’autonomie du jeune adulte de 18 à 25 ans. Versé directement sous forme d’une allocation au jeune adulte, ce revenu d’autonomie permettrait de la sorte de limiter les inégalités liées aux transferts familiaux.

L’UFAL n’est donc nullement hostile à la mise en œuvre d’une réforme structurelle de la politique familiale. Toutefois, notre association réaffirme son souhait d’orienter la politique familiale vers la recherche permanente de l’amélioration du bien-être des familles dans un cadre universel et enclin à favoriser la cohésion sociale entre l’ensemble des familles.

Délégué national aux questions sociales et familiales de l'UFAL, cadre dirigeant du Régime Général de Sécurité sociale, enseignant à Sciences Po Strasbourg et auteur de l'ouvrage : « Pour en finir avec le Trou de la Sécu » éd. Eric Jammet.

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