Il y a peu, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, M. Hamon, accordait un long entretien au journal Le Monde, dans lequel il présentait les vertus de son projet de décret censé assouplir la réforme des rythmes scolaires entreprise témérairement par son prédécesseur, M. Peillon. Ce qui est intéressant, c’est qu’à cet entretien faisait suite un article intitulé « Les raisons de l’ « échec Peillon »  sur la réforme des rythmes ». Ce télescopage des deux articles cache finalement ceci : que l’assouplissement défendu par M. Hamon n’est que le révélateur du « décret Peillon » et comme l’accomplissement de tout ce dont celui-ci était déjà lourd.

En permettant à chaque municipalité d’expérimenter son propre emploi du temps, voire de le moduler pour les écoles d’une même commune, M. Hamon s’engage dans le démantèlement d’une organisation qui jusqu’ici était encore nationale. Quand on sait que les médias ont réduit cet assouplissement à la possibilité offerte à tous d’avoir le vendredi après-midi vacant, on mesure l’éventuel travail de sape pouvant être entrepris par notre nouveau ministre : ce qui ne concerne pour l’instant que l’agencement de la semaine d’école vaudra sans doute sous peu pour les programmes et les instituteurs, on adaptera les programmes aux réalités du terrain et les maîtres d’école devrontse plier aux volontés de tous les potentats locaux. La belle souplesse que voilà !


Le jeudi 24 avril, le nouveau ministre de l’éducation nationale, M. Hamon, a présenté « un projet de décret offrant la possibilité d’expérimenter des rythmes scolaires plus souples », ainsi qu’on peut le lire dans Le Monde daté du samedi 26 avril.

Il s’agit toujours de favoriser « l’intérêt [des]enfant[s] »1 et de leur « permettre, quelle que soit leur origine sociale, de bien apprendre, de mieux apprendre à l’école, et donc de pouvoir réussir ». Le but avoué de M. Hamon est donc le même que celui de son prédécesseur, M. Peillon : à la fois socialiste et pragmatique ; c’est-à-dire que l’on veut tout ensemble « mener une lutte acharnée contre ces déterminismes sociaux auxquels s’attachent immuablement les destins scolaires » et faire en sorte que les élèves – pardon : les enfants– remontent dans le classement PISA et permettent à leur pays d’être plus combatif et pugnace dans la nouvelle guerre économique que nos gouvernants parent du nom de « compétitivité ».

L’assouplissement proposé par M. Hamon en accord avec le premier ministre, M. Valls, est double : donner la possibilité « de regrouper les activités périscolaires sur un après-midi par semaine » et « d’alléger les semaines [de 24 heures de classe]en raccourcissant les vacances scolaires ».

Qu’il soit désormais possible de regrouper les activités périscolaires sur un seul après-midi pourrait être perçu comme la reconnaissance par le ministre de la nécessité d’une claire séparation entre le scolaire et le périscolaire : fini le saupoudrage de 30 ou 45 minutes de TAP (temps d’activités périscolaires) après la classe et avant l’étude, qui condamnait ce temps périscolaire à n’être finalement que de la garderie honteuse d’elle-même, et place à un plein après-midi d’activités vraiment enrichissantes culturellement et/ou sportivement. Non seulement, ainsi étalées sur un après-midi, les activités périscolaires peuvent prendre leur pleine mesure et ne plus apparaître comme une excroissance des loisirs au sein du temps de l’instruction, mais en plus cet étalement revient à prendre en considération le travail des animateurs : ils ne sont plus là pour faire brièvement garderie mais pour proposer aux enfants quelque chose de structuré et de structurant. Et peu importe que la raison première soit financière et pratique : il est bien plus facile de trouver du personnel enthousiaste pour travailler sur une longue période plutôt que sur des moments aussi fugaces que pauvres du point de vue de l’animation, de même qu’il est plus économiquement intéressant pour les municipalités de pouvoir « faire des économies d’échelle, par exemple en construisant des partenariats au niveau des communautés de communes ».

Il n’empêche toutefois qu’il y a là, pour les familles, comme une obligation de loisirs : autant il était dans les mœurs de « poser » son mercredi après-midi pour garder son enfant, autant cela risque d’être plus compliqué de demander à son patron l’octroi d’un après-midi n’importe quand dans la semaine. D’autant que cette concentration des TAP sur un seul après-midi pourrait signifier, dans les grandes communes, larotationde cet après-midi de loisirs. Autrement dit, si une municipalité décide de regrouper ses activités périscolaires sur un après-midi, il va lui être impossible de bloquer un seul après-midi, le nombre d’enfants participant aux ateliers étant trop nombreux ; il va donc falloir libérer potentiellement chaque après-midi de la semaine, le lundi pour telles écoles, le mardi pour telles autres et ainsi de suite. Ainsi, une mère, ou un père, ayant plusieurs enfants scolarisés, l’un en maternelle et l’autre en primaire, pourra être dans l’obligation de devoir demander au moins deux après-midi à son employeur, si ce parent souhaite s’occuper lui-même de ses enfants2 .

Quant à la possibilité de rogner sur les congés pour limiter la semaine de classe des élèves à moins de 24 heures hebdomadaires, cela revient à remettre en cause les congés des enseignants et à les moduler commune par commune, voire école par école. Une telle expérimentation impliquerait la destruction du cadre national. Et puis, autant jouer les Cassandre et émettre l’hypothèse que cette introduction expérimentale de calendriers scolaires dérogatoires à travers tout le territoire n’est que l’avant-goût d’un émiettement et d’une particularisation des programmes mais aussi d’une territorialisation du corps enseignant, c’est-à-dire le retour à un instituteur serf et dépendant presque exclusivement des édiles de sa commune d’exercice.

Où l’on voit que l’assouplissement défendu par M. Hamon apparaît plutôt comme un durcissement de l’esprit de la réforme des rythmes scolaires : non seulement le ministre ne revient pas surl’amoindrissement scolaire organisé par ses prédécesseurs (loin sont les 30 heures d’enseignement hebdomadaires en primaire que l’on connaissait avant 1968), non seulement il promeut, au sein de l’école, les loisirs plutôt que le loisir (c’est-à-dire l’agitation scolaire plutôt que l’étude quiète qui est à elle-même sa propre fin), mais en outre ce ministre tout juste nommé annonce un possible éclatement municipal de l’éducation jusqu’ici nationale.

Dans son entretien accordé au journal Le Monde, M. Hamon a commencé par citer cette phrase de Gambetta : « Il ne s’agit pas de reconnaître des égaux, mais d’en faire ». Je continue à croire qu’un vrai socialiste, c’est-à-dire un esprit pour qui le rôle de l’État est de vouloir que les inégalités sociales n’empêchent pas l’avènement d’un citoyen pleinement éclairé et libre, ne saurait défendre la réforme des rythmes scolaires ni son assouplissement ; je continue à croire qu’un socialiste digne de ce nom n’envisagerait comme seul salut pour tous les élèves perdus de France que davantage d’instruction menée de manière sensée et non expérimentale. J’aimerais que mon nouveau ministre fût tel un monsieur Jourdain et qu’il fût socialiste sans le savoir.

© Tristan Béal et Mezetulle, 2013

Voir les autres articles de Tristan Béal en ligne sur Mezetulle.

Voir aussi l’article de Pierre Hayat, consacré au même sujet, en ligne sur Respublica.

  1. Toutes les citations sont tirées de l’entretien accordé par M. Hamon au journal Le Monde daté du 26 avril et consultable ici. []
  2. On peut même envisager le cas d’écoles tellement grandes (au moins 15 classes) qu’il faudra en leur sein instaurer différents après-midi libérés pour que tous les élèves puissent équitablement profiter des activités proposées. Que dire alors d’un parent ayant un enfant en maternelle et deux dans une grosse école primaire ? Ou de cette institutrice, de cet instituteur qui aurait un après-midi libéré différent de celui de ses enfants ? []

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