Lors de la campagne présidentielle, le candidat Sarkozy avait prononcé à Angers un excellent discours sur l’école. Judicieusement conseillé par celui qui jouait alors le rôle d’éminence grise, Henri Guaino, Nicolas Sarkozy avait su s’adresser à l’opinion qui, en France, reste très attachée au modèle républicain. Dénonçant «  l’hypocrisie du bac qu’on brade peu à peu », «  l’hypocrisie des grandes écoles qui accueillent moins d’enfants d’ouvriers et d’employés aujourd’hui que dans les années 50 », «  l’hypocrisie de l’école à deux vitesses », Nicolas Sarkozy avait rappelé l’école à ses fondements républicains et à sa mission qui est de transmettre à chacun le savoir qui permet d’acquérir l’esprit critique et d’exercer, comme le soulignait Robespierre, toutes ses facultés.

En nommant Xavier Darcos au ministère de l’éducation nationale, le président Sarkozy donnait aux défenseurs de l’école républicaine une raison d’espérer supplémentaire : auteur en 2000 d’un livre revigorant, L’art d’apprendre à ignorer, Xavier Darcos avait la réputation de défendre une institution scolaire forte et n’avait pas manqué de dénoncer les effets désastreux des réformes menées depuis trente ans. La réforme des programmes de l’école primaire annoncée en février dernier était encourageante : soucieux de «  consacrer à nouveau l’autorité du savoir », recentrant l’école primaire sur les fondamentaux, c’est-à-dire sur la maîtrise de ces savoirs élémentaires que sont la lecture, l’écriture et le calcul, congédiant le jargon des Diafoirus des sciences de l’éducation, le ministre avait su exposer, dans une langue claire et intelligible par tous, les grandes orientations de sa réforme.
Fin de l’acte I. Commence ensuite l’acte deux qui, rétrospectivement, atteste que tout cela n’était que miroir aux alouettes. La réduction de l’enseignement obligatoire comprise dans la réforme avait déjà faire naître quelques soupçons, que les mesures annoncées ensuite ne firent que confirmer : la suppression de 11200 postes pour la rentrée 2009 au profit d’heures supplémentaires créées artificiellement, l’abolition des filières dans le but d’instaurer un «  Lycée à la carte », l’hypothèse d’une suppression des concours nationaux au profit d’une «  masterisation » du recrutement qui ne garantirait plus l’obtention d’un poste, la mise en concurrence des établissements qui ne peut que résulter de l’accroissement de leur autonomie, la remise en question de l’école maternelle, autant de mesures qui ne manqueront pas d’accélérer la ruine de l’école publique et qui feront le bonheur des officines privées. Après la destruction programmée de la sécurité sociale et du système des retraites par répartition, le gouvernement a manifestement décidé d’en finir avec cet autre «  archaïsme » qu’est l’école républicaine.
Ce qu’on peut conclure de l’année scolaire qui vient de s’écouler, c’est qu’on ne saurait défendre une école publique digne de ce nom quand on appartient à un gouvernement dont le principal objectif est de soumettre tous les secteurs de l’activité humaine à la seule loi du marché. L’anti-pédagogisme de Xavier Darcos et le néolibéralisme de Nicolas Sarkozy font irrésistiblement songer au mariage de la carpe et du lapin. Le désir affiché par Xavier Darcos de défendre une école fondée sur une institution forte s’est fracassé contre le dogme néolibéral à laquelle la politique du gouvernement est inféodée et dont le corollaire est l’abolition de toute institution.
On ne saurait marier la carpe anti-pédagogiste et le lapin néolibéral. Pas plus qu’on ne saurait unir la carpe pédagogiste et le lapin républicain ! L’instauration du passage automatique, la dévalorisation des savoirs -accusés d’être le vecteur d’une violence symbolique que les dominants exerceraient sur les dominés- le désir d’ouvrir l’école sur la société, la remise en question de l’autorité des maîtres concourent tout autant à l’abaissement de l’institution scolaire. Les réformes mises en œuvre par les gouvernements de gauche entre 1981 et 1995 ont pavé de bons sentiments l’enfer auquel la droite condamne aujourd’hui l’école publique.
Les mesures prônées par Nicolas Sarkozy ne sont d’ailleurs pas pour déplaire à certains idéologues qui se revendiquent « de gauche ». Ils ont beau pousser des cris d’orfraies, ils partagent au fond la même idéologie. On a pu ainsi entendre cette année un spécialiste des sciences de l’éducation déclarer être un chaud partisan de l’allongement du temps de présence des enseignants dans les établissements, ce qui revient à soutenir l’annualisation du temps de travail des professeurs qui devrait les rendre encore plus flexibles, c’est-à-dire encore plus corvéables. On a pu entendre ce même spécialiste surenchérir sur les économies de postes en démontrant que la suppression des redoublements constituait un moyen imparable pour retrancher encore quelques milliers d’enseignants. Faut-il rappeler que la loi d’orientation de 89, en créant les projets d’établissement, favorisait déjà leur autonomie, et ce au détriment de l’égalité de l’instruction que la République a le devoir de garantir ? Les réformes de l’éducation nationale se succèdent et, malheureusement, se ressemblent toutes. Les rapports qui les inspirent ne font que reprendre les orientations, les propositions jusqu’à la rhétorique des rapports précédents. Qu’elles soient de gauche ou de droite, les réformes de l’école se font, depuis trente ans, à partir du même fond d’évidence : une école «  moderne » est une école qui adapte l’offre scolaire à la demande (des parents, des élèves, de la «  société »), qui «  individualise » l’enseignement, qui incite les élèves à construire leur propre «  parcours scolaire », qui recrute les professeurs sur d’autres critères que leur capacité à maîtriser les savoirs de leur discipline et à les articuler de façon claire et rigoureuse (par exemple sur leur degré d’adhésion au «  projet d’établissement » ou sur leurs «  qualités humaines »).
Tant que régnera sur la question de l’école une telle confusion idéologique, la gauche ne pourra pas s’opposer efficacement à la politique scolaire que Nicolas Sarkozy a poursuivie cette année et dont on voit déjà les premiers effets : professeurs à qui l’on demande d’assurer des tâches administratives (alors même qu’ils sont convoqués pour corriger des examens), réduction des jours de correction des épreuves du baccalauréat (dans certaines académies, les correcteurs de l’épreuve de philosophie avaient moins de 9 jours ouvrables pour corriger jusqu’à 170 copies…), disparition des Employés de Vie Scolaire (dont la présence est pourtant nécessaire si l’on veut appliquer la loi Montchamp dans des conditions dignes), liste de retraités que les recteurs constituent afin de pallier la pénurie de professeurs remplaçants, promesses de crédits aux écoles privées à qui Xavier Darcos demande d’ouvrir des établissements dans les quartiers sensibles, autant de coups portés à l’école publique. Plutôt que de fournir à la droite (qui n’en demandait pas tant) son contingent d’idiots utiles, plutôt que de crier au ringardisme chaque fois qu’il est question d’instruire et de défendre les savoirs, la gauche serait bien inspirée de faire, à propos de l’école, son aggiornamento et de renouer avec les principes républicains.

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