En général, tout pouvoir, de quelque nature qu’il soit, en quelques mains qu’il ait été remis, de quelque manière qu’il ait été conféré, est naturellement ennemi des lumières. On le verra flatter quelquefois les talents, s’ils s’abaissent à devenir les instruments de ses projets ou de sa vanité : mais tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire, sera toujours odieux à celui qui exercera l’autorité.

Plus elle est faible et partagée, plus ceux à qui elle est remise sont ignorants et corrompus, plus cette haine est violente. Si l’on peut citer quelques exceptions, c’est lorsque, par une de ces combinaisons extraordinaires qui se reproduisent tout au plus une fois dans vingt siècles, le pouvoir se trouve entre les mains d’un homme qui réunit un génie puissant à une vertu forte et pure ; car même l’espèce de vertu qui peut appartenir à la médiocrité ne préserve pas de cette maladie, née de la faiblesse et de l’orgueil.

Il n’est pas nécessaire de fouiller dans les archives de l’histoire pour être convaincu de cette triste vérité ; dans chaque pays, à chaque époque, il suffit de regarder autour de soi. Tel doit être, en effet, l’ordre de la nature ; plus les hommes seront éclairés, moins ceux qui ont l’autorité pourront en abuser, et moins aussi il sera nécessaire de donner aux pouvoirs sociaux d’étendue ou d’énergie. La vérité est donc à la fois l’ennemie du pouvoir comme de ceux qui l’exercent, plus elle se répand, moins ceux-ci peuvent espérer de tromper les hommes ; plus elle acquiert de force, moins les sociétés ont besoin d’être gouvernées.

Condorcet, Cinquième mémoire sur l’instruction publique

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