Quand le rapport du GIEC rencontre la nouvelle Règlementation Environnementale.
Ce texte largement développé dans votre revue UFAL INFO n°85 et disponible sur notre site, met en lien le dernier rapport du groupe 1 de travail du GIEC et la Réglementation Environnementale 2020. Il s’agit ici d’en faire une présentation contingentée au contexte écologique.
En France, le secteur du bâtiment représente 6% du PIB pour plus d’un million d’emplois. Il est règlementé par divers documents ; droit de la construction, DTU, etc. dont l’un d’eux encadre la thermicité des bâtiments : la « Règlementation Thermique » ou RT désormais nommée « RE vingt vingt ».
Le 15 août 2021, la Réglementation Environnementale 2020 (RE 2020) qui contingente les logements neufs a posé une nouvelle pierre dans la réalisation des bâtiments futurs. L’idée est d’adapter les nouvelles constructions aux enjeux écologiques auxquels l’humain doit faire face.
Il apparaît qu’elle fait la part belle à la construction en bois qui sera désormais quasiment incontournable. Est-ce une bonne idée ? Est-il utile de construire avec de telles contraintes thermiques et énergétiques sachant que le parc immobilier déjà construit contient énormément de passoires thermiques ? Que dire de ces nouvelles exigences qui se traduiront en hausse des prix répercutés dès lors sur le budget des familles ?

Si l’article de l’UFAL INFO 85 répond sans ambages à ces questions, il pose aussi le contexte écologique :

C’est un fait incontournable et irréversible : l’être humain de ce XXIème siècle est pris en tenaille entre dérive climatique et raréfaction des matières primaires carbonées (gaz pétrole et charbon). Concernant la dérive climatique, les rapports du GIEC1 sont alarmants, notamment le dernier sorti en août 2021. Il apporte une preuve supplémentaire sur l’origine du changement climatique :
c’est bien l’effet de serre anthropique dû aux gaz à effet de serre (GES) émis par l’homme, qui en est responsable. Cette dérive climatique n’est pas sans conséquences pour nos sociétés.
Question crise énergétique, le pic de pétrole conventionnel a été passé en 2018 et celui du non onventionnel (pétrole de schiste et sables bitumineux) arrivera très probablement entre 2020 et 2025 à en croire l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) et les grands groupes pétroliers qui s’empressent de diversifier leur activité faute de découvrir de nouvelles réserves2.
Après être passé par (au moins) un maximum absolu appelé pic, la quantité extraite de pétrole ne pourra que décroître plus ou moins rapidement ; de 33 milliards barils/an en 2019 à 5 aux alentours de 21003. Il en va de même pour le gaz et le charbon, comme pour les métaux, minerais etc. D’ailleurs, tout stock physique non renouvelable4 est par définition fini ; on ne peut donc en extraire indéfiniment la matière sauf à contredire le premier principe de la thermodynamique. Le ciment, l’acier, le zinc ou encore le plastique (et bien d’autres matériaux) utilisés dans la construction ne sont pas présents tels quels sur Terre. Ils sont issus de transformations de matières premières qui précisément viendront à se raréfier et ces matériaux avec elles.
Sitôt, comment le secteur de la construction évoluera-t-il avec un tarissement des matières premières5 ?

Autre problème : leur transformation s’accompagne inévitablement de rejets carbonés (GES) qui participent à la dérive climatique. En quelle quantité ? Quel est l’impact de la construction et plus largement du secteur du bâtiment sur l’effet de serre ? Quel rôle joue-t-il
dans la dérive climatique ? Telles sont les questions qui se posent pour savoir si la RE 2020 est pertinente.
Avant d’y répondre, il est nécessaire de bien comprendre le problème. Pour cela, consultons le rapport du GIEC 2021 qui traite de la physique du climat. Outre qu’il modélise mieux les
conséquences d’une augmentation de la température moyenne terrestre sur les situations régionales, il a aussi affiné ses scénarios. On en trouve cinq, de faible à forte augmentation de la température moyenne terrestre par rapport à 1850-1900, dont un médian « SSP2-4,5 » supposant qu’en 2100, la hausse de la température sera de +4,5°C (toujours par rapport à
l’ère pré industrielle). Observons ce scénario et commentons succinctement ces cartes :


Changement de la température annuelle moyenne terrestre par rapport à l’ère pré industrielle simulée à +1,5°, +2° et +4°C. Source GIEC AR6 2021. Traduction resumégiec 11/09/2021.


Le planisphère de gauche représente (à peu près) la situation actuelle : +1,5°C par rapport à 1850-1900, celui de droite le scénario médian précité. Quel que soit le scénario envisagé, les hausses de températures sont plus concentrées aux pôles et sur terre plus que sur les océans.
Enfin, elles sont plus importantes en hiver et pendant la nuit6. Il est évident que la géopolitique risque d’être mouvementée par des discussions « légèrement tendues » dans plusieurs endroits du monde, notamment par exemple dans le bassin méditerranéen avec une augmentation comprise entre +5°C et 6°C (en scénario médian)…

D’autant que :

Planisphères représentant les niveaux de précipitation et d’aridité du globe suivant des scénarios à +1,5°, +2° et +4°C relativement à l’ère pré industrielle. Source GIEC AR6 2021.
Traduction resumégiec 11/09/2021.

Une bande d’aridité et de sécheresse s’étend des Amériques à l’Europe, mais aussi en Afrique du Sud et en Australie. Les précipitations sont très concentrées et diluviennes au Nord et au Sud principalement. De telles modifications auront nécessairement des conséquences sur l’agriculture, sur la biodiversité et donc sur nos sociétés. D’ailleurs, le GIEC précise qu’avec +4°C (planisphère de droite), c’est plus de 60% des régions du monde qui entreront en stress hydrique et alimentaire. D’autres conséquences « sympathiques » à ce réchauffement sont également étudiées7 : pandémies, montée des eaux, épisodes climatiques extrêmes plus intenses et plus fréquents, etc. Nonobstant qu’on ne peut pas tout prévoir ; il faut évidemment s’attendre à des « surprises ». D’autant que le système étudié n’est absolument pas linéaire : avec 2,5 degrés de plus, il n’y a pas nécessairement 2,5 fois plus d’effets désagréables… il peut y en avoir 100 fois plus…

Les projections du GIEC à +4°C (ou plus) sont tellement alarmantes que les projections de vies seraient intolérables. Un tel scénario est donc inenvisageable pour nos sociétés humaines. C’est pourquoi, sauf à avoir un monde invivable dans très peu de temps, il faut s’orienter sans attendre vers les deux scénarios « SSP1 » qui projettent notre système en 2100 avec la plus faible augmentation de température moyenne terrestre : +2°C (environ)8. Le planisphère du milieu les représente (il s’agit de la moyenne des deux).

Que signifient de tels scénarios « SSP1 » ?

En reprenant les conclusions de l’analyse faite par l’UFAL à partir du dernier rapport du GIEC d’août 2021, si on souhaite limiter à +2°C la hausse de la température terrestre d’ici à 2100 alors il ne faut plus du tout émettre de CO2 aux alentours de 2050 et par suite, réaliser des émissions négatives, c’est à dire absorber le CO2 artificiellement9. Au passage, il est impossible de réaliser de telles prouesses techniques sans que l’Etat investisse massivement et ne soutienne sans relâche la science, la recherche, l’enseignement, l’ingénierie, la technique, etc. Ainsi, l’écologie n’est pas la seule préoccupation. Elle va de pair avec toutes les autres. Cela signifie aussi qu’entre 2019 et 2050 le budget CO2 de l’humanité est fixé à 600 Gt sur 30 ans : de 2 fois moins que celui dépensé sur la période 1990-2020, soit une baisse de 4 à 5% par an (supplémentaires !) des émissions de CO210.

Un tel scénario n’est jamais arrivé dans l’histoire de l’humanité. On peut juste observer trois baisses significatives de CO2 et équivalent : en 1929, en 1945 et en 2020 avec … le COVID.

Graphique projetant les futures émissions annuelles de CO2 (gauche) et d’autres GES d’origine anthropique (à droite) en fonction des 5 scénarios . GIEC AR6 2021.

Voilà ce que provoquent les émissions anthropiques de GES : une augmentation de la température terrestre qui, si elle n’est pas maîtrisée (scenarios autres que SSP1) provoque elle-même la fin de nos sociétés telles que nous les connaissons aujourd’hui. Le risque écologique est très simple : le climat mute et fait transiter nos sociétés de façon irréversible : on peut choisir d’anticiper la transition tant que l’économie ne se contracte pas trop (à cause de la crise des matières premières carbonées) c’est à dire maintenant, ou ne rien faire et la subir demain beaucoup plus méchamment.

Notre marge de manœuvre est autant simple que très limitée : on ne peut qu’amortir les chocs énergétiques et climatiques, ne pas les empirer et peut-être un peu les retarder… Plus on attend, moins nous serons préparés et plus nous subirons leur violence.

Si on fait le choix de ne pas avoir ce futur-là, alors il faut immédiatement décarboner massivement tant nos économies que nos façons de vivre, car seule la décarbonation des sociétés répond aux deux problèmes énergétiques et climatiques. Elle passe inévitablement par de la sobriété et par le développement de toutes les structures solidaires, de proximité et universelles : hôpitaux, recherche, enseignement, énergie, transports publics, etc.

La décarbonation exige évidemment d’un autre côté, de juguler les politiques qui favorisent les émissions de GES. C’est le cas de l’ultra libéralisme puisqu’il engendre une économie de libre échange hyper carbonée11.

Le contexte et ses enjeux sont établis : on peut donc répondre à l’impact du secteur du bâtiment sur la dérive climatique comme à bien d’autres enjeux.

Lire la suite :

  1. Groupe Intergouvernemental Evolution Climatique, « traduction » de IPCC Intergovernemental Planel for Climate Change. C’est un organisme onusien composé de scientifiques de toutes nationalités qui compilent et étudient tous les résultats de la recherche mondiale qui concernent l’étude du climat. []
  2. Le pic de découvertes des nouvelles réserves de pétrole conventionnel a été passé en 1980 d’après l’AIE. C’est à dire que depuis cette date, on ne découvre plus rien de significatif (en conventionnel). Le pétrole de schiste et schiste bitumineux Vénézuélien et Américain sont des cas à part car très difficiles à exploiter donc peu rentables. []
  3. Agence Internationale de l’Energie []
  4. A l’échelle de temps humaine. Le pétrole en l’occurrence est renouvelable… Entre 200 000 et 400 000 ans… []
  5. Rien que la fabrication du ciment réclame de chauffer du carbonate de calcium (en gros du calcaire) pour casser la molécule CACO3 en CAO + CO2. Sans pétrole, gaz ou charbon, pas de chauffe. []
  6. On ne le voit sur ces cartes mais on démontre que le réchauffement est plus marqué la nuit que le jour pour différentes raisons (nuages qui participent à l’effet de serre, végétation plus libérant le CO2 la nuit) comme le prouvent Sébastien Peraudeau, Sandrine Roques, Cherryl O. Quiñones, Denis Fabre, Jeroen Van Rie, Pieter B.F. Ouwerkerk, Krishna S.V. Jagadish, Michael Dingkuhn, Tanguy Lafarge, dans : « Increase in night temperature in rice enhances respiration rate without significant impact on biomass accumulation »
    Field Crops Research, Volume 171, 2015, Pages 67-78, ISSN 0378-4290, https://doi.org/10.1016/j.fcr.2014.11.004. []
  7. Elles seront détaillées dans quelque temps avec les publications des groupes 2 et 3 de travail du GIEC en novembre 2021 et début 2022. []
  8. En toute rigueur, il s’agit des scénario SSP1-1,9 et SSP1-2,6 qui simulent respectivement le climat à +1,9°C et à +2,6°C par rapport à 1850-1900. En moyenne, il s’agit donc d’une élévation de +2,25°C. Le GIEC a compilé les résultats des projections des deux scénarios pour en faire la simulation la plus vraisemblable à +2°C planisphère du milieu. []
  9. Ces techniques en sont à leur balbutiement… Il s’agit des AFOLU et autres BECS. Ce sont des puits artificiels de CO2. []
  10. GIEC AR6 Fig SPM10 « every tons of CO2 emission add to global warming ». On lit que pour le SPP1-1,9 il ne faut émettre que 600 tonnes de CO2 d’ici à 2050 et que sur 1990-2020 il y eu respectivement 1300 et 2450 Gt CO2 cumulé. Par ailleurs, su r la carte ci-dessus on lit que pour passer de 40 GtCO2/an à (moyenne entre les deux SSP1) 10 GtCO2/an en 2050, il faut donc diviser les émissions par un facteur 4 en 30 ans. Du coup Le calcul est :
    Nous avons affiné le calcul par rapport à celui proposé dans le précédent article « Made in France ». []
  11. Voir numéro précédent « Made in France » avec les accord CETA et TAFTA ou encore l’article https://www.ufal.org/developpement-ecologique-et-social/stoppons-le-neoliberalisme-pour-cause-de-salubrite-planetaire/ []
  12. Elles seront détaillées dans quelques temps avec les publications des groupes 2 et 3
    de travail du GIEC en novembre 2021 et début 2022. []
  13. La thermodynamique prouve que c’est
    une des causes d’irréversibilité, ça crée de l’entropie, la base du deuxième principe. []
  14. En toute rigueur, il
    s’agit des scénario SSP1-1,9 et SSP1-2,6 qui simulent respectivement le climat à +1,9°C et à +2,6°C par rapport à 1850-1900.
    En moyenne, il s’agit donc d’une élévation de +2,25°C. Le GIEC a compilé les résultats des projections des deux scénarios pour
    en faire la simulation la plus vraisemblable à +2°C planisphère du milieu. []
  15. Ces techniques en sont à
    leur balbutiement… Il s’agit des AFOLU et autres BECS. Ce sont des puits artificiels de CO2. []
  16. GIEC AR6 Fig SPM10 « every tons of CO2
    emission add to global warming ». On lit que pour le SPP1-1,9 il ne faut émettre que 600 tonnes de CO2 d’ici à 2050 et que sur
    1990-2020 il y eu respectivement 1300 et 2450 Gt CO2 cumulé. Par ailleurs, su r la carte ci-dessus on lit que pour passer de 40
    GtCO2/an à (moyenne entre les deux SSP1) 10 GtCO2/an en 2050, il faut donc diviser les émissions par un facteur 4 en 30 ans.
    Du coup Le calcul est : [CO2eq]2050=1
    4[CO2eq]2020 sur 30 ans, soit
    (1−t
    100)30
    =1
    4⟺t=100×(1−30
    √1
    4) soit t≈4,6% par an. Nous avons affiné le calcul par rapport à celui
    proposé dans le précédent article « Made in France ». []
  17. Voir numéro précédent « Made in France » avec les accord CETA et TAFTA
    ou encore l’article https://www.ufal.org/developpement-ecologique-et-social/stoppons-le-neoliberalisme-pour-
    cause-de-salubrite-planetaire/ []

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