1. Qu’est ce que le brevet ? Qu’est ce que la connaissance ?

Le brevet doit être vu sous différentes formes et non pas une seule : celle imposée par le modèle capitaliste, à savoir : une protection du savoir qui permet de financer l’inventeur afin qu’il puisse poursuivre ses recherches.

Le brevet fait son apparition au cours du XIXe siècle, donc lorsque le pouvoir est passé à la bourgeoisie et qu’elle impose son paradigme, l’économisme, qui opère une réduction de tout à la seule fonctionnalité économique. L’invention du brevet, donc de la privatisation et de la marchandisation de la connaissance humaines, est la conséquence directe du changement de paradigme dans le domaine de la connaissance1.

Mais le brevet n’est pas un mode de protection de la connaissance, mais une forme d’accaparement et de privatisation de celle-ci. Il est toujours présenté comme une méthode qui permet de rémunérer l’inventeur et donc d’assurer le financement de celui-ci. Or, cette vision se heurte à plusieurs points :

1- Comme le brevet peut-être acheté, il est détenu par des personnes ou une entreprise qui peut ne pas être à l’origine de l’invention. De fait, cette possibilité de vendre et d’acheter un brevet (donc de la connaissance) s’oppose au fait que l’inventeur sera rémunéré et donc pourra poursuivre ses activités innovatrices (et c’est bien ce que l’on observe ! l’inventeur est spolié des résultats de son travail).).

2- Le droit d’auteur n’est pas un brevet (la confusion est savamment entretenue).

3- Posséder un brevet n’oblige absolument pas à l’appliquer, donc la notion de brevet devient une arme pour bloquer le développement de nouvelles technologies que l’on ne veut pas voir émerger ou se répandre dans la société : il suffit pour cela d’acheter les brevets et de ne pas les utiliser.

4- Le brevet est le moyen de se garantir que pour atteindre un même niveau technologique et scientifique, d’autres personnes devront dépenser (pour le contourner ou obtenir de mêmes résultats) autant ou plus de moyens, en terme humains, financier et temporel. Il est donc un frein considérable au développement égalitaire de l’humanité.

5- Il est une destruction toujours plus avancée de l’autonomie de l’individu (à la fois en tant que personne et en tant que membre d’un groupe) qui ne peut reproduire et fabriquer les objets (chez lui ou dans une coopérative industrielle, mais aussi une école, un centre de recherche, etc. ) selon ses besoins sous peine d’être poursuivi par la justice (qui réaffirme ainsi la perte d’autonomie, donc l’emprise des mécanismes capitalistes de domestication). Il est donc un moyen pour les tenants du capitalisme de s’imposer dans le quotidien des individus et de se rendre incontournable. On retrouve là la logique par laquelle le capitalisme s’impose : en faisant perdre l’autonomie aux individus (donc notamment leurs libertés d’actions en terme de fabrications, de réparations, de possibilités d’action, de savoirs, de savoir-faire, etc. ). Il est profondément conservateur des inégalités sociales et politiques.

6- Le brevet est contraire à la logique de la connaissance puisque le développement de la connaissance repose sur un facteur clé : l’échange et la communication, et plus cette liberté d’échange est grande, plus la connaissance se fructifie et joue son rôle dans le développement des individus et de la sociétés. Sans échange, la connaissance s’appauvrit, se stérilise, ne se transmet plus, disparaît et meurt en tant qu’élément de développement social et individuel. De fait, une analyse plus psychologique du brevet montre l’impossibilité du paradigme visant à la privatisation de la connaissance puisque cette logique est une logique de destruction et stérilisation.

7- La connaissance contenu dans un brevet a été créée par des personnes, or il est impossible de demander à des personnes « d’oublier » leur invention, donc cette privatisation de la connaissance ne repose sur rien de réaliste en termes humains. De fait, les clauses de protection, de non-concurrence, d’échanges et de copies, ne sont que des tentatives pour parer à l’impossibilité de privatiser la connaissance. Elles sont l’exemple de la psychologie propre à l’économisme : l’humain « acceptable » est un humain sans vitalité, sans mouvement, sans existence individuelle et sociale.

De fait, accepter l’argumentation qui explique que le brevet finance l’inventeur revient à penser le monde avec la vision et les concepts imposés par les capitalistes, donc ne peut conduire qu’à reproduire ce monde sous une forme atrophiée.

Tout ceci est d’autant plus important qu’un modèle alternatif est déjà existant : la recherche publique montre que la rémunération de l’invention peut être perçue comme un bien collectif ! Et qu’en tant que telle, le financement de l’invention peut ne pas être direct, mais indirect, c’est à dire par l’impôt, la redistribution et la mise à disposition des moyens matériels et humains accrus. Exactement comme le milieu artistique est financé par la redistribution (sous la forme du statut des intermittents créé en 1936 par le Front Populaire).

L’objection la plus souvent soulevée sur ce point est le fait qu’une telle organisation de la recherche et du développement passe par les grands organismes qui stérilisent l’initiative individuelle. Ce qui est tout à fait vrai dans la mesure où cette organisation de la R&D est totalisante : c’est à dire qu’elle opère une coupure stricte dans la population et la société (en terme de « qui est qualifié » pour participer à créer et inventer, en terme de financements et de moyens mis à disposition pour cette activité). La solution n’est donc pas de donner « durcir » le brevet, mais de repenser la perméabilité et l’organisation de la collaboration possible de toute personne avec ceux qui sont chercheurs, techniciens et ingénieurs en titre. Le chercheur n’est plus alors seulement celui qui « cherche », mais également celui qui certifie, apporte une expertise, collecte et assure la dynamique de collaboration entre tous les participants (qu’ils soient professionnalisés ou non).

2. Les problèmes soulevés par l’informatique pour le capitalisme

Le passage du « capitalisme fordiste » au « capitalisme cognitif » est en fait une accélération d’échelle : la reproductibilité des biens (qui était difficile et limitée jusque dans les années 1960) a connu un développement énorme dans ses possibilités grâce à l’automatisation, la robotique, l’électronique, et enfin le numérique.

L’application du droit de propriété d’un brevet avait autrefois une possibilité d’être effective matériellement dans la mesure où copier était un acte difficile, long, et donc repérable. Aujourd’hui, le standard technologique n’est plus à « la copie d’un original », mais à « la copie de la copie de l’original » ! Cette accélération des possibilités de recopier est telle que la pérennité du brevet n’a de sens qu’au niveau légal abstrait (avec toutes les contradictions qui ont été expliquées sur la nature réelle du brevet). Mais la fuite d’information, par l’échange de données (une clé USB peut contenir tous les plans de fabrication d’une voiture) ou la communication entre les personnes (qui peuvent voyager en quelques heures à l’autre bout du monde), rend impossible et caduque la politique du « containment » que le capitalisme tente d’imposer sur la connaissance au moyen des brevets (le terme « économie de la connaissance » montre bien l’obsession de privatiser ! ).

Les tentatives pour réguler l’échange de données sur Internet illustrent à quel point la connaissance pose un problème aux catégories du capitalisme que sont : le travail salarié, la propriété privée, le capital.

De fait, cette accélération dans les moyens numériques a provoqué l’entrée du capitalisme dans une crise grave (nommée par certains capitalisme « cognitif » ) : celle de la fin des conditions matérielles de la privatisation et du rationnement de la connaissance ; crise face à laquelle les tenants du capitalisme n’ont de cesse d’essayer de trouver des moyens conserver cette privatisation. O, ceci est un indice sur l’importance cruciale de la nature intrinsèque de la connaissance par rapport aux conditions favorables au développement du capitalisme.

3. Utilisation de la connaissance comme vecteur anti-capitaliste :

1- Pourquoi !?

Parce que la connaissance échappe au capitalisme au sens où elle procède d’une logique qui lui est contraire : elle se développe par l’échange, alors que sa privatisation conduit à sa stérilisation. De fait, la connaissance ne relève pas du paradigme de l’ère industrielle.

Ceci fait que la circulation, la liberté d’accès et les possibilités de collaboration à la connaissance sont des enjeux de société et donc un frein puissant contre la logique de fond du capitalisme qui vise à privatiser (ce qui est commun), séparer (ce qui est uni) et détruire l’autonomie des personnes (pour se rendre incontournable). La privatisation de la connaissance est une condition essentielle à la pérennité du capitalisme.

2- Pour qui et par quoi !?

Pour les individus, les groupes et la société. Et à partir du moment où un sujet couvre un tel enjeu pour le développement de la société, il devient un domaine que l’on ne peut gérer autrement que sous l’égide d’un service public ; étant entendu que contrairement à ce qui est trop souvent dit, le service public n’est pas qu’une préservation des acquis sociaux (militantisme de résistance), il est un instrument de transformation de la société dans le but de bâtir un projet alternatif de société humaine (militantisme de construction).

3- Pour quoi !?

Pour la totalité des logiciels dont une société a besoin.

Pour la gestion et l’extension d’Internet.

Pour la créativité industrielle et technologique.

Pour la santé.

Pour l’agriculture

Pour le vivant

4. Rôle et statut de la recherche publique dans un service public de l’informatique et dans une libéralisation de la connaissance

L’informatique peut être pris à titre d’exemple. Si l’on ne veut pas « stériliser » l’initiative individuelle, il faut établir des ponts entre les institutions (le service public) et les individus qui veulent prendre des initiatives pour développer la connaissance.

La recherche publique scientifique comporte des caractéristiques très intéressantes pour jouer le rôle de centralisateur. En effet, la collaboration fait partie de la culture de ces milieux, avec la mise en commun des connaissances et l’utilisation des compétences nécessaires où elles se trouvent.

Si l’on prend l’exemple de l’informatique et du développement des logiciels, la production de logiciel libre pourrait être coordonnée par une extension de l’INRIA. Ce service public de recherche, spécialisé dans l’informatique et les mathématiques appliquées, fournirait :

  1. – Un cadre collaboratif et centralisateur pour les développeurs (qu’ils soient des employés de l’INRIA ou des personnes extérieures à l’organisme),
  2. – Une expertise sur les développements (en terme d’architecture, de gestion, de non régression, d’optimisation, etc. ) car l’INRIA est déjç un lieu où se développe cette expertise et ce savoir faire (ceci afin d’assurer une bonne qualité à la production).
  3. – La publication des développements dans le domaine public (donc rendant possible la collaboration de personnes étrangères et l’utilisation des productions gratuitement partout dans le monde).
  4. – La gestion par un service public ayant pour but d’entrer dans le cadre du développement du pays dans son ensemble (ce qui n’existerait pas, ou en moins bien, si les développements étaient menés de manière isolée par une des administrations par exemple).

Ce système de collaboration permet :

  • De rompre avec l’isolement et la spécificité des secteurs de R&D en permettant à des citoyens de participer à la production de connaissance (nouveau rôle à intégrer à la culture des milieux scientifique).
  • D’assurer la qualité des connaissances puisque l’organisme, accueillant les collaborations, est déjà sur une base de qualité et de vérification scientifique.
  • D’en assurer la publication sous domaine public (donc la protection).
  • De garder la mémoire de la recherche et d’en garantir l’accessibilité des résultats dans le temps.

Ainsi, cette organisation de la production de la connaissance permet de sortir de l’opposition des tenants du capitalisme : « l’initiative individuelle est plus créatrice que la recherche publique qui est stérilisante », car l’initiative individuelle est libre et accueillie au sein de la R&D publique qui n’a pas le rôle de directeur-gestionnaire, mais avant tout ceux de coordinateur et d’assistance en apportant ses expertises et son savoir faire.

Il faut comprendre que produire un logiciel libre ne résout rien. La solution est dans la mise en place les conditions de production, de diffusion, de suivi, de maintenance et d’évolution des logiciels libres (une dynamique) qui permettra de dépasser le modèle actuel. Il s’agit donc de mettre en place les éléments d’une dynamique (la collaboration de quiconque voulant participer) et d’assurer la stabilité de cette dynamique (l’égide d’un service public d’une nation).

Ce modèle refondant la production de connaissances est également porteur d’une révolution sociale puisqu’il rompt avec la dictature du diplôme comme droit d’entrée dans la cours de la production de la connaissance. Il est donc une arme contre les conservateurs de l’ordre social (qu’ils soient de droite… ou de gauche ! ).

En effet, ce droit d’entrée stérilise le potentiel créatif et pratique d’un grand nombre de personnes. Il faut donc mettre un terme à la sous-utilisation du potentiel de créativité des français. En s’ouvrant et en prenant en charge la collaboration, ce modèle réaffirmerait à la fois le rôle clé de centralisateur de la recherche publique et de ses membres attitrés, tout en offrant la possibilité à tout un chacun de collaborer dans le domaine où il peut apporter quelque chose (qu’il le fasse dans le cadre de son travail ou non). Ceci assurerait une rupture dans la culture de la connaissance, et permettrait de « diffuser » et réactiver la recherche, appliquée ou fondamentale, et la R&D des nouveaux produits et services.

5. Sortir du brevet : comment produire la connaissance ?

En informatique, la notion de brevet peut être contournée simplement en produisant des logiciels libres de qualité et en offrant les conditions d’une dynamique de pérennisation de cette production.

Pour les autres secteurs, ceux qui suivent une logique de réduction temporelle des droits du brevet (en faisant passer par exemple la protection d’un brevet de 5 à 3 ans) n’ont absolument rien compris à la logique de fond du brevet qui est avant tout une stérilisation des moyens de production de l’accès à la connaissance. Ils n’en voient que la partie financière et commerciale (ils s’immergent dans le modèle dominant). Donc cette logique de réduction de la durée d’un brevet est une impasse.

Il y a aussi une impasse matérielle à mettre fin, de manière unilatérale, à la totalité des brevets en une seule fois puisque alors les efforts pour produire de la connaissance, sous domaine public, seraient à fournir en même temps et dans tous les secteurs d’activité, ce qui est matériellement impossible !

Une solution consisterait à supprimer les brevets secteurs après secteurs, en commençant par des secteurs où la production industrielle est relativement simple (pour pouvoir créer les usines) et où les connaissances initiales peuvent être facilement reproduites et améliorées.

Un secteur se prête bien à cette première levée des brevets : l’électroménager. Plusieurs avantages :

  • Des machines qui peuvent être améliorées plus facilement (robustesse, longévité, possibilité de réparations personnelles, etc. )
  • Ouvrir ces appareils n’étant pas compliqué, beaucoup de personnes pourront davantage collaborer à leurs améliorations.
  • Les possibilités informatiques permettent aujourd’hui de « passer commande d’un modèle » (exactement comme on passe commande d’une voiture avec telle ou telle option), donc de ne produire que ce qui est effectivement demandé par une personne (taille, options, etc ).
  • Leur production pourra être automatisée au maximum (donc gain en rapidité de production et flexibilité de cette production pour ne produire que les commandes de produits effectivement reçues).

La gestion de la collaboration pour la connaissance en R&D serait exactement la même que celle présentée plu haut pour les logiciels libres ! L’important étant d’assurer la pérennité d’une dynamique dans production de la connaissance.

6. Sortir du brevet : comment protéger contre le capitalisme ?

Il existe déjà des licences de type GNU, BSD ou copyleft qui placent les connaissances dans le domaine public.

Cependant, il s’agirait de proposer des licences « contaminantes » (il en existe déjà en informatique). Ce type de licence, qui serait donc publique, permet de dire que tout objet produit à partir d’une pièce sous cette licence passe lui-même sous cette licence (c’est à dire qu’il devient libre de droit). Les concepteurs de code qui veulent protéger leurs créations pour les exploiter font extrêmement attention à ce type de licence (et vérifient si une partie de leur produit ne contient pas un élément sous ce type de licence).

Cependant, ceci ne concerne que l’objet produit en lui-même, ce qui n’est pas suffisant. Les licences doivent prévoir des conditions pour leurs exploitations : type d’entreprise, répartition des salaires (avec des échelles maximales entre les salaires minimum et maximum en incluant les employés temporaires), contribution de l’entreprise au financement de l’état (pour financer la R&D, etc. ), représentation des employés dans les prises de décision, etc. Ceci afin de créer un mouvement alternatif de production des biens, courants ou non.

Il pourrait même y avoir des statuts types pour constituer des coopératives. Ces statuts seraient intéressants pour aider les citoyens à créer leurs propres activités.

7. Conclusions

Plusieurs points :

1- La production de la connaissance doit permettre une rupture avec le système capitaliste, donc permettre une alternative pour ceux qui le souhaite. Car il n’y aura pas de renversement du système, mais le passage à un autre. Il faut donc créer ces conditions.

2- La production des connaissances doit se faire dans le cadre d’un service public. Il s’agit donc d’une mutation de la recherche publique quoi doit développer de nouvelles compétences pour créer le cadre de cette collaboration et ainsi créer une dynamique. Ceci afin que l’initiative individuelle puisse trouver du répondant et du soutien.

3- La protection des connaissances techniques peut faire l’objet de licences qui posent des conditions à l’utilisation des connaissances mises à disposition. Ces conditions ne doivent en aucun cas se limiter à l’aspect financier, mais porter également sur la mise en pratique et les conditions sociales dans lesquelles a lieu la production (car sans de telles protections, cela reviendrait à faire de la recherche pour le capitalisme, au service de l’injustice sociale).

4- Des instituts technologiques pourraient être montés pour aider à développer une technologie relevant directement de l’écologie politique : « produire mieux, avec mieux, pour que cela soit réparer » ; en se plaçant non dans une optique purement « technique », mais dans une optique « d’usage » des produits (de quelles fonctionnalités l’individu, seul ou dans un groupe, a t-il besoin ? ), y compris (et surtout !) en ce qui concerne le quotidien des individus (car c’est là que les classes les plus défavorisées verront la différence).

1On rappellera que les changements dans la domination sociale, survenus entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe, conduisent à une modification du paradigme. En ce sens, ne considérer que l’aspect domination du pouvoir sur le plan économique et politique serait une réduction s’inscrivant directement dans la soumission au paradigme bourgeois de l’ère industrielle. Le renversement du paradigme de la noblesse par l’économisme est avant tout un renversement éthique (donc dans les repères concernant les rapports de l’existence, au monde naturel et à autrui).

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