L’UFAL a répondu à un appel de Jean-Paul Delahaye, vice-président de La Ligue de l’Enseignement, à « s’unir pour défendre et promouvoir la laïcité ». La Ligue nous a répondu à son tour, longuement. L’UFAL poursuit ici le débat sous la plume de Charles Arambourou.

Chers amis de La Ligue de l’Enseignement,

L’UFAL a apprécié votre réponse argumentée et détaillé mais ses 6 pages sont loin d’avoir levé toutes nos interrogations. Trop de justifications tuent les justifications, et l’ancienneté des erreurs n’est pas une excuse absolutoire. Ce n’est pas le passé qu’il faut travailler, mais l’état de division idéologique et organisationnelle dans lequel il a laissé, « ici et maintenant » le mouvement laïque en France. Manifestement, bien des dérives sont à corriger. L’UFAL a, vous le reconnaissez, fait ce qui lui incombait en excluant les extrémistes de « Riposte laïque », qui ont rejoint la fachosphère. Nous attendons de la Ligue qu’elle tire les leçons du passé pour engager l’avenir.

Pour reprendre le titre de votre adresse, et au risque peut-être de vous décevoir, l’UFAL n’est pas friande du terme « unitaire », qui peut recouvrir bien des marchandises. Nous ne signons pas avec n’importe qui, nous ne voulons en tout cas pas « dialoguer avec tout le monde » (pour vous citer) – et cela peut rester notre principale divergence.

– L’invitation de Tariq Ramadan. Tariq Ramadan a toujours été pour nous, par les idées qu’il propage, un danger pour la République. Le projet politique des Frères musulmans n’est rien d’autre que de réaliser le califat, par des moyens moins violents (en France, du moins !) que Daesh, et y compris sur des portions limitées du territoire. Pour être vraiment laïque, il faut au moins savoir situer la ligne de front de la République : elle nous sépare de ces gens-là. La Ligue en a-t-elle conscience ?

Au demeurant, un laïque ne « dialogue » pas avec les religions. Chacun doit rester dans son rôle, parce que le cléricalisme, « ennemi » de la République (Gambetta) ne disparaître jamais, quel que soit le culte qui le porte. Evidemment, ne pas « dialoguer » n’empêche pas de « débattre », courtoisement quand c’est possible, notamment pour rabattre les prétentions des cultes et promouvoir les principes de la République.

Qu’on ne nous reproche pas de radoter : même si elle remonte à 20 ou 30 ans, cette « dévitalisation » de la laïcité par La Ligue, un de ses principaux porte-paroles, a eu des effets néfastes à long terme. Vos « positions actuelles » ne nous laissent pas sans mémoire.

– Sur la laïcité adjectivée on donnera acte à La Ligue de son absence de soutien à la « laïcité ouverte », et surtout de son mea culpa (le seul de toute la lettre) sur la « laïcité plurielle ». Mais nous sommes inquiets de voir La Ligue s’obstiner à citer ses positions de 1998, qui dénotent une grande confusion politique et philosophique entre la République (qui est indivisible et laïque), et la société (qui est plurielle, diverse, mosaïque, métissée, …)

Quelle portée prend aujourd’hui la phrase suivante (1998) de La Ligue : « garantir [le] pluralisme [de la société](…) contre la trop grande hégémonie d’une culture dominante dont l’universalité proclamée (sic) est travaillée par des tentations étatistes et nationalitaires » ? Impossible de plaider non-coupable : « l’universalité proclamée » de 1998 ne préparait-elle pas, au moins objectivement, sa critique actuelle comme « blanche, mâle, occidentale, coloniale » par les « Indigènes de la République » et leurs complices sociologistes ? L’universalisme est un principe de la République, non une « culture dominante » : comment l’avoir oublié en 1998 ?

– La loi du 15 mars 2004 : en 1998, la Ligue rejetait de même, comme relevant de « l’extrême droite ou de la droite extrême », « l’injonction faite aux musulmans à devenir invisibles, en effaçant tout signe extérieur de leur croyance, qu’il s’agisse d’un vêtement (le voile), d’un aliment (le halal) ou d’un lieu (la mosquée). » C’était oublier que le problème n’est pas « l’invisibilité des musulmans », mais le contraire : l’affichage ostensible par certains d’entre eux, pour raisons politiques, de signes auto-discriminants !

Doit-on comprendre alors que l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école par la loi de 2004 serait une initiative de « droite extrême » ? La position de La Ligue n’est toujours pas claire. Elle affirme ainsi avoir « parlé de laïcité plurielle en 1990 » « pour illustrer notre positionnement dans la vive polémique de l’époque à propos des trois jeunes filles gardant leur foulard [sic] dans le collège de Creil. » « Trois jeunes filles gardant leur foulard » : rien de plus, vraiment ? L’offensive islamiste autour du port du foulard dans les écoles publiques a duré de 1989 à 2004, et La Ligue n’a toujours pas compris ? Oui, encore un effort !

Dès 2003, la position de La Ligue, « ni voile, ni loi » était intenable : c’était laisser chaque chef d’établissement se débrouiller, en fonction des pressions locales ! Il est peu convaincant de reprendre ce slogan 13 ans après, et d’agiter toujours l’épouvantail d’une « loi d’interdiction », quand il s’agissait d’assurer la liberté de conscience (notamment des jeunes filles présentées à tort ou à raison comme musulmanes, et qui refusent de se voiler).

Plus récemment, en 2015, dans l’académie de Caen, la formation des intervenants de la Réserve citoyenne, normalement encadrée par La Ligue, a donné lieu à un diaporama très explicite dans lequel était évoquée une prétendue « crispation autour de l’islam » – y compris par les lois de la République ! Ce n’est pas une « rumeur », j’ai transmis la diapositive à La Ligue : sans réponse ! La voici donc à nouveau : tous les items en sont édifiants !

– Serment de Vincennes et dualisme scolaire. La Ligue nous rappelle que « 57 ans ont passé » depuis la pétition du CNAL contre la loi Debré : est-ce une manière de nous inviter à réviser nos analyses ? Toujours est-il que sa critique du dualisme scolaire n’est plus faite au nom de la laïcité (subventions publiques à l’école confessionnelle), mais parce qu’il « favorise une ségrégation sociale et culturelle qui ne peut que s’accentuer avec le développement d’établissements de diverses religions ou d’établissements commerciaux, parfois hors contrat et hors contrôle… ». Analyse juste : mais est-ce une raison pour laisser tomber l’essentiel du scandale, les quelque 11 à 17 Milliards d’Euros d’argent public versés chaque année à l’école privée, majoritairement confessionnelle ? Nous craignons un « recentrage » de La Ligue sur le seul « hors contrat » (dossier à suivre, nous en convenons).

– Campagne contre Baby-Loup. Il est osé d’affirmer que « le conflit entre la salariée et la direction de la Crèche pouvait se régler autrement que par les tribunaux », alors que c’est la salariée elle-même, soutenue par les réseaux islamistes, qui a décidé de recourir à la justice ! Le communiqué commun de La Ligue, la FNLP et la LDH, se réjouissait bien de l’annulation du licenciement : il était au moins prématuré ! Un récent communiqué de la FNLP nous confirme d’ailleurs qu’elle ne l’a toujours pas compris.

L’UFAL rappelle que la Cour de cassation a donné en assemblée plénière une définition des « entreprises de tendance laïque », dont l’objet est de « défendre et promouvoir la laïcité » – ce qui n’était pas applicable à une crèche. Mais un établissement confessionnel privé sous contrat n’est-il pas un « organisme de tendance » ? Et une association laïque ? Ce débat légitime est de ceux qu’il faut poursuivre entre nous, sans dommage, au contraire, pour l’action commune : à l’UFAL, nous n’hésitons pas à affirmer que, même si « la laïcité n’est pas une conviction », il y a des convictions laïques ! On ne nous fera pas croire qu’à La Ligue, le débat n’existe pas aussi.

– Affaire Badinter-islamophobie. Nous voulons bien admettre qu’il s’agissait d’un soutien à l’Observatoire de la Laïcité – point sur lequel nous ne serons pas d’accord avec La Ligue, même si l’UFAL n’a jamais demandé la tête de Jean-Louis Bianco. Mais on conviendra que la déclaration d’Elisabeth Badinter avait une autre portée que les luttes de pouvoir Bianco-Valls !

– Réécriture de la Charte de la laïcité à l’École. Nous accuser d’atteindre « les sommets de la mauvaise foi » n’est pas une réponse. Pas plus qu’énumérer les succès commerciaux de la publication de La Ligue (grandement facilités par le ministère), qui ne prouvent rien sur la qualité du document. Je propose de sortir ce sujet du contentieux, et de l’examiner sous un angle pratico-pratique (en encadré ci-après).

– A propos du « pédagogisme ». Enseignant moi-même depuis près d’un demi-siècle, notamment ancien professeur d’école normale, je remercie La Ligue de ses conseils pédagogiques. Mais dénoncer le pédagogisme n’est en rien réfuter la pédagogie, pas plus que la critique du scientisme ne vaut rejet de la science ! Accuser l’UFAL, qui comporte de nombreux pédagogues engagés, à tous niveaux (de la maternelle à l’Université), de « haine de la pédagogie » est plus que de la mauvaise foi, cela frise l’insulte.
Au contraire, et pour avoir assisté, en public, à des échanges musclés mais républicains entre Jean-Paul Delahaye et nos amis Kintzler, nous confirmons que le débat peut et doit avoir lieu, sans caricatures mais sans concession aux modes officielles.

Unir le combat laïque et le combat social : ce mot d’ordre de Jaurès, l’UFAL en a fait son identité d’association familiale laïque depuis sa fondation. La vitalité de nos prises de position sur les questions de familles et de protection sociale le montre. Et certes, en matière de combat social il y a aussi des points de divergence à travailler – mais à chaque jour suffit sa peine. Si cet objectif nous est commun, cela permet d’avancer.
Cette « réponse au carré » se veut toujours ouverte, mais sans angélisme. Les tensions politiques sociales, voire sécuritaires, sont trop fortes dans la société actuelle, où la République est directement mise en cause, pour que les Républicains authentiques n’identifient pas clairement et de façon commune qui sont leurs ennemis : voilà, chers camarades, l’essentiel de nos divergences passées, et sans doute un chantier pour l’avenir, à conduire sans sectarisme mais sans aveuglement.

Amitiés laïques et républicaines,

Charles ARAMBOUROU

 

Présenter la Charte de la Laïcité

J’effectue en ce moment (comme d’autres membres de l’UFAL) des séances de présentation de la Charte, où le matériel de La Ligue nous est « obligatoirement » fourni. Oui, le texte « officiel » est carrément imbuvable, et difficilement compréhensible, même par la plupart des familles, qui le signent pourtant en principe. L’initiative de La Ligue n’était donc pas dénuée de fondement, je le reconnais à l’usage. Cependant, la Charte que j’affiche est celle du ministère, pas le document de La Ligue, même si je me sers de ses autres matériels (dessins, affichettes).

Laissons de côté la qualité des dessins de La Ligue, plutôt bien faits, mais manifestement peu ouverts à la « diversité », voire non exempts de stéréotypes sexistes (remarque d’une enseignante). Parmi les vignettes proposées, il y en a même une qui fait dire « dieu » à deux personnages sur trois – la laïcité, ce serait donc dieu à l’école ? Plusieurs réservistes ont comme moi tiqué.

Je maintiens le décompte des termes, où la religion l’emporte sur la laïcité.

C’est surtout le contenu qui pèche. A force de simplifier, on a édulcoré, voire souvent fait du « bisounours » : par exemple la question des comportements d’exclusion réduite à des filles en robe rose qui disent « respect » devant une fille en robe bleue… C’est dérisoire, quand on sait ce que peuvent être l’exclusion ou le harcèlement, même dans les petites classes.

Il manque manifestement à la base une réflexion sur les principes de la République et la laïcité. La notion même de République (et d’école publique) demande à être précisée avant tout : ce n’est pas prévu. Par ailleurs, le principe de liberté de conscience et ses deux dimensions (penser/manifester) n’est absolument pas présenté ; celui d’égalité « en droit » l’est fort mal. L’expérience m’a prouvé pourtant que, dans un CM1 de « zone sensible », ces notions pouvaient être abordées et comprises.

En un mot, et pour formuler une critique positive, cet outil pour initier les petites classes à la laïcité est « largement perfectible ». Le fait qu’il soit labellisé officiellement par les rectorats, comme la « pensée unique », impossible à amender, le dessert considérablement. A partir des remontées de terrain et d’une réflexion plus approfondie sur les concepts, il faudrait le revoir.

C. A.

Militant laïque, professeur, puis haut-fonctionnaire, Charles Arambourou est actuellement magistrat financier honoraire. Il suit les questions de laïcité au bureau national de l’UFAL.

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