I trĂ©ma est une Ă©mission littĂ©raire de LaĂŻcidade , la chaine de baladodiffusion (podcast) de lâUFAL, prĂ©sentĂ©e par Emmanuelle Billier-Gauthier et animĂ©e par Philippe Foussier de lâUFAL Paris qui prĂ©sente des livres pour faire la RĂ©publique laĂŻque et sociale.
Dans I trĂ©ma #13 câest le livre de Caroline Fourest « GĂ©nĂ©ration offensĂ©e» qui fait lâobjet de la recension Ă Ă©couter sur toutes les plateformes.
De la police de la culture Ă la police de la pensĂ©e. Câest le sous-titre de ce livre de Caroline Fourest, qui narre « lâhistoire de petits lynchages ordinaires qui finissent par envahir notre intimitĂ©, assigner nos identitĂ©s, transformer notre vocabulaire et menacer nos Ă©changes ».
Nous avons probablement tous en tĂȘte le souvenir de tel spectacle censurĂ© ou de telle production littĂ©raire contestĂ©e. Lâun des mĂ©rites de ce livre consiste dĂ©jĂ Ă en dresser sinon une liste exhaustive du moins Ă illustrer le propos Ă travers de nombreux cas dâĂ©cole. Pour y avoir enseignĂ©, pour sây rendre frĂ©quemment, lâĂ©ditorialiste et rĂ©alisatrice Caroline Fourest Ă©voque souvent la rĂ©alitĂ© de lâAmĂ©rique du Nord. Les Etats-Unis et le Canada prĂ©figurent ce que lâEurope vivra un peu plus tard tant lâimprĂ©gnation culturelle du Nouveau monde sur le Vieux Continent est considĂ©rable.
Police de la culture
Les temps ont changĂ© depuis 50 ans. « En mai 1968, la jeunesse rĂȘvait dâun monde oĂč il serait interdit dâinterdire. La nouvelle gĂ©nĂ©ration ne songe quâĂ censurer ce qui la froisse ou lâoffense », remarque Caroline Fourest qui souligne lâinversion des rĂŽles : « Jadis, la censure venait de la droite conservatrice et moraliste. DĂ©sormais, elle surgit de la gauche. Ou plutĂŽt dâune certaine gauche, moraliste et identitaire ». Elle en dĂ©taille donc les exemples, en particulier sâagissant du concept dâappropriation culturelle, qui dĂ©nie Ă des personnes le droit dâarborer des tresses, de proposer un menu asiatique dans une cantine, dâorganiser des cours de yoga ou de suggĂ©rer lâĂ©tude dâune Ćuvre littĂ©raire ou artistique. La parole est confisquĂ©e selon lâorigine, le genre ou la couleur de peau. Sur les campus amĂ©ricains ou canadiens, les renvois dâenseignants qui contreviennent aux canons de cette jeunesse ne sont plus des cas isolĂ©s. La censure rode en permanence : « Cette police de la culture ne vient pas dâune Etat autoritaire mais de la sociĂ©tĂ© ». Le dĂ©voiement de combats anciens pour le fĂ©minisme, lâantiracisme ou pour les droits des personnes LGBT se gĂ©nĂ©ralise dans les milieux universitaires et militants et les rĂ©seaux dâinfluence sâĂ©tendent aux syndicats, aux partis politiques et au monde mĂ©diatique : « Ses cabales pĂšsent de plus en plus sur notre vie intellectuelle et artistique. Le courage dây rĂ©sister se fait rare ». En France aussi. En effet, les exemples sont multiples de telle ou telle institution qui cĂšde Ă la menace de groupes de pression. « Les inquisiteurs de lâappropriation culturelle fonctionnent comme les intĂ©gristes. Leur but est de garder le monopole de la reprĂ©sentation de la foi en interdisant aux autres de peindre ou dessiner leur religion », observe Caroline Fourest, qui montre aussi comment lâobsession racialiste habite la plupart du temps les motivations des censeurs. LâidentitĂ© est le maitre mot de ces fanatiques de lâethnicitĂ©. Le sĂ©paratisme est leur projet, lâapproche par lâintersectionnalitĂ© leur caution acadĂ©mique. Les exemples sont lĂ©gion, mais la maniĂšre dont la piĂšce Kanata dâAriane Mnouchkine, qui dĂ©peint lâoppression des peuples autochtones, a Ă©tĂ© censurĂ©e au Canada en dit long sur la façon dont cette gauche identitaire menace clairement la libertĂ© dâexpression au nom de sa VĂ©ritĂ©. Que la troupe du Théùtre du Soleil compte 24 nationalitĂ©s importe peu pour ces « talibans de la culture ». Aux yeux des censeurs, les rĂŽles doivent ĂȘtre jouĂ©s par des « racisĂ©s ».
Monde monoculturel
Le multiculturalisme institutionnel de lâAmĂ©rique du Nord a bien entendu favorisĂ© cette Ă©volution ; la maniĂšre dont il rĂ©pand son influence en Europe et en France mĂȘme nous prĂ©pare Ă de funestes perspectives. Caroline Fourest montre ainsi comment des mouvements comme la Brigade anti-nĂ©grophobie, le CRAN ou le Parti des indigĂšnes de la RĂ©publique propagent leur maniĂšre dâapprĂ©hender le monde. Les connexions avec lâislamisme sont lĂ©gion pour ces promoteurs dâun « monde monoculturel » qui rĂȘvent de la « retribalisation du monde ». En France, ses thurifĂ©raires convient dans leurs dĂ©bats des personnages aux profils douteux mais font interdire Mohamed Sifaoui ou la piĂšce de Charb. Des syndicats Ă©tudiants se font Ă lâoccasion le relais de la censure, tant les milieux universitaire sont contaminĂ©s par ces approches, Ă Paris 1, Ă Paris 8, Ă lâEHESS, Ă Normale Sup ou ailleurs : « La dĂ©rive dâune certaine jeunesse nâest pas seulement en cause. La dĂ©mission culturelle de certaines Ă©lites doit Ă©galement ĂȘtre interrogĂ©e. JusquâĂ quand va-t-on tolĂ©rer cette intimidation ? Ne voit-on pas oĂč elle mĂšne ? ».
Caroline Fourest, GĂ©nĂ©ration offensĂ©e, Grasset, 162 p., 17 âŹ, Le Livre de Poche, 160 p. 7,20 âŹ.