Citoyens d’abord, croyants peut-être, laïques toujours
Ouvrage collectif sous la direction de Monique Cabotte-Carillon
(Ed. L’Harmattan, coll. Débats Laïques)
Assistant un jour, chez nos amis chrétiens des réseaux Parvis, à la présentation de l’excellent livre de Luc Chatel (pas l’ancien ministre !) Civitas et les Nouveaux fous de Dieu, je me suis laissé aller à dire, (plein de l’excessive révérence à laquelle se croient obligés les laïques incroyants devant les croyants), « Nous ne sombrerons pas dans l’anticléricalisme primaire ». Je fus aussitôt repris par un Monsieur respectable qui me lança « Au contraire, il faut savoir être anticlérical », ajoutant « Je suis dominicain ».
Et voilà pourquoi il importe de lire ce petit livre, issu du CEDEC, « chrétiens pour une église dégagée de l’école confessionnelle » – association dont le titre nous dit tout ! Il ne suffit pas en effet de proclamer que la laïcité est le cadre qui « permet toutes les convictions », si l’on n’est pas prêt soi-même à accueillir les plus proches des nôtres, parce qu’elles nous semblent paradoxales. Il faut reconnaître que le titre de cet ouvrage, qui sonne comme un slogan, a de quoi surprendre… pas seulement les cléricaux. Pour qui veut comprendre que la foi chrétienne ne se confond pas avec le cléricalisme catholique, voilà une lecture utile. Rassurons-nous : la collection « débats laïques » est dirigée par notre ami Gérard Delfau (auteur de La laïcité, défi du XXIème siècle), qui intervient d’ailleurs dans le corps de l’ouvrage.
Le livre comprend deux parties. La première est consacrée à rendre compte d’un colloque organisé à Tours le 14 novembre 2015 par le CEDEC, « acte de résistance », maintenu au lendemain de la tuerie du Bataclan. Après chaque intervention, les questions et réflexions du public sont relatées.
Didier Vanhoutte, organisateur, souligne notamment dans son introduction comment la citoyenneté est d’abord reconnaissance de la singularité, et cite le Manifeste de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité, (dirigé par Jean Reidinger) : « aucune Révélation ne doit prétendre avoir la primauté sur la loi commune, elle-même fondée sur les Droits de l’homme ».
Le premier intervenant, Michel Deheunynck, « un prêtre d’abord citoyen », est à la fois médecin de santé publique et prêtre (aumônier en milieu psychiatrique). On retiendra sa distinction nette entre foi – qui est d’abord foi en l’humanité, ensuite foi en Dieu – et religion, qu’il place au second rang, avec les dérives dogmatiques dont elle est capable. A sa dénonciation du catholicisme « identitaire » fait pendant sa célébration de l’école laïque. Comme nous, il lie d’ailleurs combat laïque et combat social, et déplore la situation précaire des prêtres retraités, ainsi que le peu de conscience sociale de ses collègues1.
Deuxième intervenant, Rachid Benzine, islamologue (IEP d’Aix-en-Provence, Faculté protestante de Paris) dénonce lui-aussi l’identitarisme religieux. Son propos (« Religion et laïcité, entre critique et conviction »), toujours intéressant, est à notre avis plus centré sur l’interconfessionnel que sur la laïcité. Notons une remarque stimulante sur la « judéisation » de l’islam (poids croissant des interdits rituels), en même temps que sa « christianisation » (divinisation du Prophète, alors qu’il n’y a qu’un Dieu).
Enfin, Gérard Delfau, complice de longue date du CEDEC, livre les réflexions que nous lui connaissons, solidement étayées sur l’histoire, à propos de « la laïcité dans le vivre-ensemble républicain ». On lui sait gré ici de son insistance sur ce qu’il appelle « la laïcité humanisme », que nous désignons nous-mêmes comme « les convictions laïques » – au grand dam des dogmatiques qui souhaiteraient réduire la laïcité au cadre juridique actuel, oublieux de l’histoire et négateurs du permanent combat des idées.
La deuxième partie de l’ouvrage présente le CEDEC. Né d’une réaction à la campagne politique de l’Eglise contre la loi Savary (2004), il souhaite, sans remettre en cause la liberté de l’enseignement, que l’Eglise cesse de se confondre avec l’école confessionnelle. Le Manifeste (2003) de l’Observatoire Chrétien de la Laïcité (dont fait partie le CEDEC) est présenté in extenso. Sont rappelées ensuite quelques prises de position (notamment approuvant la Charte de la Laïcité à l’école, dénonçant l’engagement de l’épiscopat contre la loi sur le « mariage pour tous », ou le verrouillage par la hiérarchie ecclésiale du nouveau statut de l’enseignement catholique, condamnant l’apartheid scolaire qu’aggraverait l’enseignement privé musulman.)
Un chapitre « témoignages » reprend deux conférences de Monique Cabotte-Carillon sur « laïque et chrétien » (l’ordre des termes est volontaire) et contre le statut scolaire (et concordataire) en Alsace-Moselle. On apprécie que des croyants se prononcent comme elle contre les « accommodements raisonnables » et pour la loi du 15 mars 2004.
La conclusion de Jacques Haab est un « petit cours de laïcité à des catholiques de bonne volonté », dont on retiendra la dénonciation très nette de l’usage du terme « laïcisme », qui n’est en rien le pendant du « cléricalisme », mais sert (à celui-ci !) à dévaloriser la laïcité.
Ma foi, j’aime bien l’expression « croyants peut-être » : je me sens en communion avec ces citoyens-là.
- Une information intéressante page18 : « les prêtres ne cotisent pas à la caisse d’allocations familiales, mais peuvent bénéficier de l’allocation logement, pourtant financée par elle »[↩]
7 commentaires
Rationaliste d’abord et avant tout.
ROLDYNA
Que de commentaires sur la laïcité alors que la chose est tellement claire!
Qu’on se réfère au texte de la loi de Décembre 1905 et on sait tout de suite quelle est la position de l’Etat et des Eglises et donc quel doit être le comportement du citoyen français.
L’Etat est d’une neutralité parfaite et son rôle est de préserver la liberté de pratiquer une religion ou non, ceci dans le cadre d’une liberté absolue de conscience.
Que veut-on démontrer de plus avec toutes ces interprétations inutiles?
On retrouve là toujours le même esprit de pinaillage qui ne mène à rien!
Ce n’est en rien du pinaillage que de rappeler que la loi de 1905 permet précisément toutes les options philosophiques et spirituelles, et surtout que, contrairement à ce que soutiennent les cléricaux, elle est une condition de la liberté de croire, et pas seulement de celle de ne pas croire. La laïcité est claire là-dessus, il est bon que tous les laïques (croyants ou non) le soient aussi.
que la foi (ou croyance) puisse être dissociée d’une religion relève pour moi de l’évidence. mais je ne suis pas « croyant » au sens commun du terme. ceci étant la loi de 1905 que je soutiens de toutes mes forces a été votée pour porter un coup d’arrêt au cléricalisme catholique. Et la hiérarchie de l’Eglise la combat toujours. partout où elle le peut..
Il est remarquable que les structures religieuses catholiques et musulmanes s’associent dans des combats communs contre le droit à l’IVG, le droit à l’euthanasie, le soutien à la « manif pour tous » anti-homo, le droit à la contraception etc…
que des pratiquants s’associent pour tenter de faire évoluer leurs religions c’est un fait. que les associations « laïques » fassent leur promotion je suis plus réservé.
salutations républicaines donc laïques
E. Bonnamour
L’objet du CEDEC et des associations amies est d’abord de défendre la laïcité et la citoyenneté, en tant que croyants, ce qui est la définition même de la laïcité. Voilà pourquoi l’UFAL fait leur promotion : c’est par la confrontation avec les lois de la République que les religions peuvent évoluer -ou plutôt se diversifier, car le CEDEC fait clairement passer la foi (personnelle) avant la religion (institution, dont vous rappelez à juste titre les tendances profondes).
Je suis désolé mais j’ai été éduqué dans la foi chrétienne, celle qui se dit catholique, et je sais combien les croyants et les religieux sont hypocrites et pervers. Ils professent l’amour, le bien et le désintéressement des biens matériels en public. Mais ils instillent la haine des athées, des agnostiques et des non-chrétiens, les pires étant les baptistes et les évangéliques américains qui exècrent d’ailleurs les catholiques, la croisade et la cupidité en privé. Je suis un bouffeur de curés et j’en suis fier!
Un anticlérical conséquent ne peut manquer de saluer les croyants qui ont clairement choisi le camp de la laïcité et de la République, et d’avoir pour leur foi personnelle autant de respect qu’il professe de mépris pour le cléricalisme et la calotte des religions instituées et de leur hiérarchie. Au CEDEC, on invite des athées à s’exprimer, comme relaté dans ce compte-rendu.